Moscou a décidé d’interdire l’accès à la version russe du site Internet de Radio Prague International, une station de radio publique tchèque. Les autorités viseraient un reportage publié en 2001, mais la décision a été prise en mai 2021, au moment des plus fortes tensions entre la République tchèque et la Russie depuis 30 ans.
Depuis le 15 juillet 2021, le site Internet de Radio Prague International n’est plus accessible en Russie. Roskomnadzor, le service fédéral russe supervisant les médias et l’information, a inclus le site web dans son registre des noms de domaine interdits, censurés pour avoir diffusé des informations interdites en Russie.
Radio Prague International, la station de radio officielle de la République tchèque créée en 1936, publie des contenus en tchèque, allemand, anglais, espagnol, français et russe. Seule l’accès à la version russe est bloquée dans la fédération de Russie.
« Nous considérons le blocage du service russe de la Radio tchèque comme un acte de censure sans précédent. Cette mesure est antidémocratique et porte atteinte à tous les principes de la liberté d’expression », a déclaré le chef du service de presse de la radio.
Radio Prague International n’était pas informée de l’interdiction
Rospotrebnadzor, une agence fédérale chargée du « contrôle du bien-être et des droits des consommateurs et de la protection des citoyens », a pris la décision d’inclure une page du site web dans la liste des contenus interdits de Roskomnadzor. Le site étant hébergé avec un protocole sécurisé, le nom de domaine entier doit être bloqué.
Roskomnadzor est censé informer le propriétaire du site Web de sa décision et lui demander de retirer le contenu avant de le mettre sur la liste noire. Cependant, la station de radio affirme n’avoir reçu aucun avertissement.
La censure serait due à un article sur la mort de Jan Palach en 1969 publié en 2001, il y a vingt ans.
RosKomSvoboda, une organisation russe non gouvernementale qui défend la liberté d’information, a été la première à faire état de cette situation. Elle écrit que la censure est motivée par ce contenu spécifique, une information relayée par les médias tchèques et Radio Prague International elle-même. Contactée par Newsendip, RosKomSvoboda n’a pas répondu à nos questions.
Étudiant tchèque de 20 ans, Jan Palach est mort en s’étant immolé sur la place Venceslas à Prague en janvier 1969. Il protestait contre la censure et l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie en 1968. Cette année-là, les forces armées du pacte de Varsovie avaient mis fin au Printemps de Prague, une période au cours de laquelle certaines réformes avaient permis à la population tchécoslovaque de bénéficier de plus de droits démocratiques que l’URSS ne pouvait tolérer.
Plusieurs immolations ont suivi son geste. Jan Palach est devenu un symbole international de la résistance au totalitarisme soviétique.
Le contenu faisant l’apologie du suicide interdit en Russie
Roskomnadzor a le pouvoir d’interdire les contenus montrant des « images pornographiques », « les manières de fabriquer et d’utiliser des stupéfiants », ou « les manières de se suicider, ainsi que les appels au suicide ». La radio n’est pas d’accord avec une telle raison car elle « a simplement énoncé les faits d’auto-immolation de Jan Palach ».
L’article retranscrit du reportage radio détaille le geste en ces termes : « Il a enlevé son manteau, a sorti la bouteille qu’il avait apportée, a versé le liquide sur lui et a craqué une allumette ». Il y est également écrit que Jan Palach, alors qu’il se trouvait à l’hôpital où il est décédé trois jours plus tard, a déclaré : « Je ne veux pas que quelqu’un d’autre meure ». Enfin, l’article conclut que « la plupart des gens considèrent ces actions comme de l’héroïsme, mais beaucoup insistent encore sur le fait qu’il serait préférable de montrer activement son opposition sans se suicider. Les morts ne peuvent guère changer quoi que ce soit ».
Selon Izvestia, un journal russe de premier plan créé en 1917, le nombre d’articles que Roskomnadzor a interdits ou supprimés en raison de leur contenu mentionnant le suicide a doublé en un an. Entre janvier et juin 2020, 10 100 sites, posts ou pages individuelles ont été bloqués par Roskomnadzor pour avoir fait l’apologie du suicide. Au cours du premier semestre de 2021, 22 600 messages ou sites web ont été restreints par les autorités russes. En Russie, l’augmentation est analysée comme une conséquence de la pandémie de COVID-19.
Bien que le site web ait été interdit en juillet, la décision avait été prise en mai, quelques jours après que la Russie a inscrit la République tchèque sur une liste d” »États inamicaux », avec les États-Unis. En fait, les tensions entre la Russie et la République tchèque ont été fortes ces derniers mois.
La République tchèque accuse la Russie de l’explosion d’un entrepôt d’armes en 2014
En avril 2021, la République tchèque a accusé la Russie d’être à l’origine d’explosions dans le petit village de Vrbětice, près de la frontière slovaque. En 2014, deux dépôts de munitions, prétendument destinés aux troupes ukrainiennes qui combattent l’armée russe, ont mystérieusement explosé.
Quelques jours plus tard, le Premier ministre tchèque Andrej Babiš a déclaré que le pays soupçonnait un service de renseignement militaire russe d’avoir planifié ces explosions. Une série d’expulsions de diplomates de la part des deux camps a rapidement fait monter la tension. Ainsi, la République tchèque a décidé d’annuler les discussions visant à acheter le vaccin russe contre le COVID-19.
Outre la version russe de Radio Prague International, le site web de Komanda 29 a également été censuré. Ce groupe d’avocats russes spécialisés dans les droits de l’homme est accusé d’avoir des liens avec une ONG tchèque considérée comme une organisation indésirable en Russie. L’équipe de Komanda 29 a cessé ses activités pour éviter de faire face à des poursuites pénales.
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Sources et liens utiles :
- Ян Палах и его последователи, Radio Prague International, janvier 2001
- Роспотребнадзор заблокировал статью о Яне Палахе, которого в Чехии считают национальным героем, RosKomSvoboda, juillet 2021
- Клик отчаяния : Роскомнадзор зафиксировал двукратный рост суицидальных публикаций в Сети, Izvestia, juillet 2021