En Argentine, les réseaux sociaux et les sites internet des médias d’information du service public sont momentanément interrompus afin de procéder à une « réorganisation ». Alors que le président Javier Milei souhaite privatiser une grande partie du secteur public, cette décision survient aussi quelques mois après la fermeture de l’agence de presse Télam, et s’inscrit dans une atmosphère incertaine sur le contrôle des médias publics d’information par le gouvernement et d’une éventuelle censure.
L’information de l’arrêt des publications fut annoncée par la Radio y Televisión Argentina, l’entreprise publique qui gère la télévision publique, la radio nationale et des stations telles que FM Clásica, FM Rock ou encore FM Folclórica dans un communiqué publié mardi. La mesure restera en vigueur « jusqu’à ce que les processus de travail et de production de contenu soient réorganisés ».
La mention « site en reconstruction » apparaît désormais sur tous les sites internet des médias d’informations du service public.
Bien que les tenants et aboutissants de cette « réorganisation interne » restent encore flous, les réactions ont suscité des inquiétudes quant au contrôle du gouvernement sur les médias et sur la possibilité que cela représente une nouvelle étape vers la privatisation du service public d’information. Ce fut l’une des premières promesses que Javier Milei ait cherché à réaliser depuis son accession à la présidence fin 2023.
Les syndicats ont été les premiers à critiquer ouvertement l’arrêt temporaire des publications par le gouvernement en alertant contre ce qu’ils considèrent être une étape de plus vers une censure autoritaire.
Sur X, la FATPREN, la Fédération Argentine des Travailleurs de la Presse, a publié une déclaration « exprimant [leur] répudiation du silence des réseaux sociaux » et qualifiant la mesure de « mouvement illégal » du gouvernement Milei pour contourner le Congrès afin de mettre en place une « censure » dans les médias du service public. Ils ont également appelé les sénateurs à rejeter la privatisation afin de « défendre la souveraineté de l’information. »
Les attaques de Milei contre le service public
Ce n’est cependant pas la première intervention du gouvernement Milei auprès de médias d’information détenus par l’État argentin. En février, le gouvernement a annoncé la fermeture de la plus grande agence de presse publique d’Amérique latine, Télam, fournissant un plan de départs volontaires à la retraite avant de procéder au licenciement du personnel. Selon La Nación, au moins 47 % des 770 travailleurs ont déjà négocié leur départ de l’agence de presse.
Le président Milei a justifié sa décision ultra-libérale en qualifiant l’agence de presse de « propagande kirchnériste », en référence au mouvement politique dirigé par l’ancienne présidente de centre-gauche Cristina Fernandez de Kirchner.
Cette accusation avait été rejetée par les journalistes de l’agence, qui, dans une interview avec la BBC, l’ont qualifiée de « réductionniste, » affirmant que l’agence de presse « précède la création du kirchnérisme » et qu’elle a un « traitement [de l’information] strictement professionnel. »
La fermeture a été dénoncée par un syndicaliste comme une « attaque sans précédent contre la liberté d’expression en Argentine. » SiPreBa, le syndicat de la presse de Buenos Aires, a publié une déclaration en réponse : « La fermeture de Télam ne serait pas seulement illégale mais aussi illégitime. Ce serait une attaque contre l’ensemble du système médiatique, public et privé, le pluralisme et le fédéralisme. »
Selon le président Milei, la Televisión Pública est également une « machine de propagande » qui dépeint son parti négativement 75 % du temps, ce qui l’incite à avancer sur son vaste programme de privatisation des services publics argentins tout en avançant la solution comme une réponse au manque de pluralisme dans les médias.
Dans une interview avec le Reuters Institute, la journaliste et professeure Natalí Schejtman a soutenu que les médias publics sont « stratégiques pour la démocratie » et devraient être améliorés pour remplir ce rôle, plutôt que d’être supprimés complètement.
Le 30 avril, le Comité pour la protection des journalistes, une organisation américaine à but non lucratif promouvant la liberté de la presse, a publié une déclaration exhortant le président Javier Milei à cesser immédiatement d’attaquer les journalistes en Argentine. Cette déclaration est intervenue après qu’un rapport de la FOPEA, une organisation argentine pour la liberté de la presse, a signalé 17 attaques contre la presse entre le 19 mars et le 18 avril, au cours desquelles le président a utilisé des termes tels que « corrompus, » « menteurs, » et « extorqueurs » pour décrire les journalistes.
Un coup de pouce législatif pour le projet de loi de privatisation de Milei
Les législateurs en Argentine débattent du « Projet de loi de bases, » un ensemble législatif comprenant 230 réformes que le président a eu du mal à faire passer au Congrès. Le projet de loi a été retoqué et renvoyé pour réécriture en février.
La loi proposée, qui accorderait au président Milei des pouvoirs spéciaux pour privatiser les entreprises publiques et initier un nouveau programme d’investissement et une réforme du travail, a été approuvée par la chambre basse du parlement avec 142 voix pour et 106 contre en avril et attend maintenant l’approbation du Sénat. Pendant ce temps, des manifestants se sont réunis devant le Congrès contre la législation proposée.
UNI Global Union, un syndicat international des travailleurs des services publics, a publié un communiqué le 6 mai appelant à la solidarité internationale avec les syndicats en Argentine pour protéger la radiotélévision publique et préserver la démocratie, qualifiant le corpus de projet de loi d” »attaque contre la démocratie ».
« Réorganisation » : comme lors de la dictature ?
Certains critiques des mesures sont même allés jusqu’à faire des allusions entre les réformes de M. Milei et la dictature de 1976. Manuela Castañeira du Mouvement Socialiste (MAS) a publié sur X : « Il fait aussi des allusions à la dictature de ’76 en utilisant le concept de “processus de réorganisation”. Il est clair que la liberté d’expression et le droit à l’information sont incompatibles avec son gouvernement. »
Mme Castañeira fait référence au Processus de Réorganisation Nationale, la dictature militaire qui a gouverné l’Argentine du coup d’État de mars 1976 à décembre 1983 caractérisée par une forte censure et des violations des droits de l’homme.