Bien que William Lai Ching-te ait remporté l’élection présidentielle en janvier, le Parti démocrate progressiste a cependant perdu le contrôle du parlement. Les premiers jours de l’administration de Lai ont été marqués par des conflits internes, des manifestations dans le pays et des intimidations de la Chine qui rendent les perspectives de l’administration du nouveau président incertaines.
Le président Lai Ching-te a à peine eu le temps de prendre ses fonctions que le corps législatif taïwanais était déjà agité par des conflits.
Le mandat de Lai marque la troisième présidence consécutive du Parti démocrate progressiste (DPP), qui défend la démocratie à Taïwan face aux intimidations de la Chine. Toutefois, le DPP a perdu sa majorité au parlement en janvier.
Les électeurs sont en effets déçus par les actions du parti au pouvoir depuis 2016, et ce mécontentement a permis au Kuomintang (KMT) et au Parti du peuple taïwanais (TPP) de gagner en puissance, en unissant leurs forces pour promouvoir en commun leurs idées.
Le DPP perd la confiance de jeunes taïwanais confrontés au chômage en échouant à résorber la hausse des prix de l’immobilier et des loyers et qui ne parvient pas à augmenter les bas salaires dans un pays affichant une croissance économique annuelle de 2%.
Cette frustration est dirigée contre le DPP pour son incapacité à résoudre ces problèmes économiques, en particulier de la part de la génération Z, qui ne se souvient pas du passé autoritaire du Kuomintang qui gouvernait l’île sans partage jusqu’au début des années 90. Mais c’est le TPP qui a le plus profité de ce mécontentement, recueillant 3,69 millions de voix en janvier.
Chaos au sein du corps législatif
Le parti de droite Kuomintang, autrefois dirigé par Chiang Kai-shek et qui avait fui la révolution communiste chinoise à Taïwan mais désormais favorable à un rapprochement avec la Chine, et le Parti populaire, le 3ème groupe le plus représenté mais avec seulement 8 sièges sur 118, ont tenté de faire adopter par le parlement une réforme législative qui réduirait considérablement le pouvoir de l’exécutif.
L’opposition vise à renforcer le pouvoir du parlement en proposant plus de capacités de contrôle de ce dernier. Elle a également soumis une mesure controversée, dite d” »outrage au Congrès », qui vise à criminaliser les fonctionnaires et élus reconnus coupables de fausses déclarations devant le parlement.
Après avoir remporté la présidence par une faire marge et perdu sa majorité parlementaire, le président Lai se trouve dans une position affaiblie face à l’opposition politique interne et aux intimidations chinoises.
Le DPP considère que la manière dont le KMT et le TPP tentent de faire passer un projet de loi si importante sans le processus de consultation habituel constitue un « abus de pouvoir inconstitutionnel » et s’inquiète de l’absence de freins et de contrepoids dans le projet de loi. Le 17 mai, de violentes échauffourées ont éclaté au sein du parlement entre les législateurs, dont plusieurs ont été hospitalisés.
Mais le conflit ne se limite pas au parlement. En réponse aux propositions législatives, des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour protester contre la tentative du KMT d’accroître les pouvoirs d’investigation du corps législatif, ainsi que contre un projet d’infrastructure controversé qui relierait les côtes est et ouest de l’île par des lignes ferroviaires à grande vitesse.
« L’indépendance de Taïwan est une impasse »
Dans son discours d’investiture, le président a déclaré que « l’ère glorieuse de la démocratie taïwanaise est arrivée. » Il a délibérément appelé son voisin « Chine » plutôt que « le continent » ce qui a incité la Chine à dénoncer la nouvelle administration comme « séparatiste » et à lancer une nouvelle salve d’intimidations en guise de « punition. »
En 24 heures la semaine dernière, le ministère de la défense taïwanais avait détecté 49 avions chinois transportant des munitions réelles, ainsi que 19 navires de guerre chinois et sept navires de garde-côtes près du détroit de Taïwan.
« L’indépendance de Taïwan est une impasse, » a déclaré le porte-parole du ministère chinois des affaires étrangères, Wang Wenbin, lors d’une conférence de presse jeudi dernier. Il a averti que « les forces séparatistes indépendantistes de Taïwan seront écrasées et ensanglantées par la tendance historique à la réunification complète de la Chine. »
Le nouveau président taïwanais est entre deux feux : le mécontentement national et la pression militaire exercée par son voisin qui a justifié les exercices militaires comme étant « totalement nécessaires » pour « sauvegarder la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale. »
Le parti communiste chinois au pouvoir a refusé de reconnaître l’indépendance de l’île, jurant de s’en emparer par la force si nécessaire. L’Armée rouge a reçu pour instruction du gouvernement de se préparer à une invasion d’ici à 2027 selon le département d’État des États-Unis.
« Nous nous sommes habitués aux menaces de la Chine »
Bien que ces provocations aient attiré l’attention du monde entier, elles n’ont pas déconcerté les habitants de Taïwan, dont beaucoup ont poursuivi leur vie quotidienne comme à l’accoutumée. Les habitants interrogés par Reuters ont insisté sur le fait qu’ils ne se sentaient pas sérieusement menacés par les exercices de la Chine, affirmant qu’ils étaient devenus routiniers et que si la Chine voulait s’emparer de Taïwan, elle l’aurait déjà fait.
Chen Sian-en, propriétaire d’un atelier de réparation de pneus, a déclaré qu’il a vécu des provocations « de l’enfance à l’âge adulte, nous nous sommes habitués aux menaces » de la Chine et que les exercices militaires « n’affectent pas vraiment [leur] vie quotidienne. »
Le marché boursier taïwanais n’a pas non plus vacillé et les importations de pétrole et de gaz naturel se sont poursuivies normalement, les réserves étant suffisantes pour répondre à la demande intérieure. Vasu Menon, directeur général de la stratégie d’investissement chez OCBC à Singapour, a déclaré que les investisseurs ne s’attendaient pas à une escalade significative des tensions.
Toutefois, la pression exercée sur M. Lai, élu avec seulement 40 % des voix, pour qu’il gère l’intensification de la pression chinoise reste importante. Les navires militaires chinois ont franchi la ligne médiane du détroit de Taïwan, la frontière théorique entre la Chine et Taïwan.
Le président Lai récemment opté pour un ton conciliant et reste ouvert aux négociations avec la Chine, déclarant lors d’une conférence du DPP dimanche qu’il espérait « renforcer la compréhension mutuelle et la réconciliation grâce aux échanges et à la coopération avec la Chine… et avancer vers une position de paix et de prospérité commune. »