Les Pays-Bas stoppent à nouveau les adoptions internationales

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29 mai 2024

Il n’est désormais plus possible aux Pays-Bas d’adopter d’enfants venant de l’étranger, faute de pouvoir empêcher les fraudes et les abus. Une décision qui s’inscrit dans un contexte de prise de conscience en Europe de nombreux problèmes ignorés durant des décennies.

une petite fille adoptée avec ses parents adoptifs
D’après Unicef, au Cambodge, 85% des des « orphelins » placés dans un orphelinat ont au moins un de leur parent en vie tandis que 70% des orphelinats ont été ouverts sans autorisation officielle. Des parents pauvres font confiance aux « intermédiaires » et placent leurs enfants dans ces structures dans l’espoir de leur donner une éducation et un accès à une vie meilleure, sans savoir que leur enfant peut être adopté et leur être enlevé. | © Pavel Danilyuk

Le 21 mai 2024, le gouvernement néerlandais annoncé mettre un terme de manière définitive aux adoptions d’autres pays. La raison ? Des abus structurels systémiques que le gouvernement ne parvient pas à stopper.

Des cas de corruptions, de traites et de vols d’enfants, ou encore de falsifications de papiers officiels avaient déjà fait surface en 2021, après la sortie d’un rapport d’un comité, qui examinait la question à la suite d’une requête du gouvernement.

Ce rapport du comité Joustra révèlait des décennies d’abus et identifiait également les acteurs et leurs responsabilités, amenant le gouvernement à stopper les adoptions internationales une première fois en février 2021.

Après une pause de presque 2 ans, les adoptions avaient de nouveau été autorisées dans 6 pays fin 2022. Les adoptions internationales vers l’Afrique du sud, les Philippines, la Thaïlande, Taiwan, le Lesotho et la Hongrie, avaient repris avec plus de contrôle et un système réformé autour d’une institution centrale en cours de création.

Un contrôle impossible ?

Le projet de réforme devait également concerner les intermédiaires, ces larges groupes associatifs ou médiateurs privés sans véritable supervision. Beaucoup d’entre eux, des médecins, des avocats ou même des criminels étaient impliqués dans les abus dénoncés.

Sans contrôle de l’État, ils pouvaient alors profiter de la situation pour kidnapper les enfants ou mentir aux parents sur la finalité de l’adoption.

« Les intermédiaires faisaient souvent partie de l’élite locale et pouvaient utiliser leurs relations pour éviter les poursuites pénales. Des enquêtes sur les abus ont été ouvertes dans certains pays, mais les abus étaient difficiles à prouver et les enquêtes ont rarement abouti à des condamnations », dénonce la commission Joutra.

Le rapport dénonce bien plus la responsabilité des intermédiaires que celle d’un gouvernement qui a pourtant ignoré les différentes plaintes durant des décennies. Le comité Joustra a prouvé que le gouvernement néerlandais était au courant des problèmes liés aux adoptions internationales dès les années 1960.

Le plan de réforme ne s’est jamais concrétisé et est donc désormais abandonné.

Une remise en question des pratiques en Europe

Les familles néerlandaises déjà impliquées dans le processus d’adoption internationale, qui dure entre 3 et 4 ans en moyenne, pourront continuer leur démarche mais aucune nouvelle demande ne sera acceptée, a annoncé le ministre Weerwind.

Même en limitant les adoptions à un petit nombre de pays, le gouvernement néerlandais estime qu’il ne peut empêcher des risque d’abus inhérents au système d’adoption inter-pays.

Cette état d’esprit est de plus en plus commun en Europe. Le Danemark et la Belgique ont eux aussi constaté leur impuissance à contrôler la légalité des adoptions à l’étranger, malgré la convention de la Haye de 1993, adoptée par 105 pays.

En novembre dernier, la Norvège avait annoncé qu’elle envisageait de suspendre temporairement les adoptions d’enfants étrangers. En 2021, la Suède avait lancé une enquête sur ses activités en matière d’adoption internationale, notamment concernant des enfants chiliens enlevés sous la dictature de Pinochet entre les années 70 et 90.

En Suisse, le gouvernement a même présenté ses excuses aux adoptés affectés par des fraudes car certains adultes n’avaient aucun moyen de connaître leur origine car leur papiers d’adoption avaient été falsifiés.

En Occident, le complexe du sauveur « blanc »

La mentalité liée aux adoptions internationales a beaucoup évolué ces dernières années. Le comité Joustra déclare dans son rapport que les parents adoptifs, le gouvernement, les intermédiaires, étaient tous persuadés de réaliser une bonne action, en partant « du principe que ces enfants seraient nécessairement mieux lotis dans le monde occidental plus riche ».

Aujourd’hui, ces bonnes intentions sont remises en cause notamment par la dénonciation du complexe du sauveur « blanc », selon les termes de l’auteur nigériano-américain Teju Cole dans un essai de 2012. Cette notion était encore inconnue dans les années 80, quand l’adoption internationale était un « phénomène de société », selon un rapport du gouvernement français sur les adoptions internationales.

Cette prise de conscience mêlée à des facteurs extérieurs comme une meilleure régulation des naissances, une meilleure prise en charge des enfants dans les pays d’origine, la hausse de l’adoption au niveau national dans les pays d’adoption mènent à une baisse des adoptions à l’étranger. De 1 700 en 1981, on décompte seulement 145 adoptés internationaux en 2019 aux Pays-Bas.

De plus, Statistics Netherlands (CBS) déclare que les enfants adoptés à l’étranger sont plus susceptibles d’avoir besoin d’une aide psychologique ou encore d’éprouver des sentiments de solitude et d’épisodes de dépression.

Le gouvernement néerlandais d’extrême droite y voit dans ces statistiques que l’intérêt des enfants est mieux servi lorsqu’ils peuvent être pris en charge en toute sécurité dans leur pays d’origine.

Aude Brès

Aude est rédactrice pour Newsendip. Elle est diplômée de l'université de la Sorbonne.