Des ventes de fraises en Suède seraient liées à un réseau sophistiqué de crime organisé, dont les membres les plus importants utiliseraient les stands de fraises pour blanchir de l’argent. Ismail Abdo, dit « La Fraise », est le leader présumé d’un groupe criminel soupçonné d’avoir infiltré le marché de la fraise à plusieurs endroits en Suède comme à Uppsala, Örebro et Helsingborg.

Au cours du mois de juin, des officiers de police et des inspecteurs de l’environnement ont effectué des descentes coordonnées dans 15 points de vente saisonniers de fraises dans plusieurs villes.
Dans la ville d’Helsingborg, la police a par exemple découvert une série d’infractions qui ont donné lieu à 14 arrestations et à la confiscation de l’équivalent de 180 litres de fraises.
Les médias suédois ont indiqué que les entreprises, dépourvues de permis d’exploitation, employaient des enfants de moins de dix ans et impliquaient des jeunes dans des activités qui soutenaient indirectement les activités des gangs.
En effet, ces interventions s’inscrivent dans une stratégie plus large de lutte contre l’économie criminelle qui aurait infiltré les marchés suédois des baies, des fruits et des légumes, alimentant ainsi les guerres de gangs qui ont fait de la Suède le troisième pays d’Europe pour le nombre de meurtres par arme à feu.
« La fraise »
Ismail Abdo, alias « La Fraise », est une figure centrale de la brutale guerre des gangs en Suède.
Il est soupçonné d’utiliser les stands de fraises pour blanchir des dizaines millions de dollars chaque année.
Le marché suédois des fraises représente environ 900 millions de couronnes suédoises par an (80 millions d’euros), sans pouvoir véritablement compter les ventes informelles de particuliers et autres points de vente éphémères durant la haute saison dans un pays qui produit 15 à 20 000 tonnes de fraises par an.
Les activités lucratives du gang ont été accusées d’être une façade pour des activités criminelles plus profondes, notamment le trafic d’armes et de stupéfiants, la traite des êtres humains et les assassinats.
M. Abdo, qui s’est installé en Turquie pour éviter d’être arrêté, a récemment été capturé dans la ville d’Adana et libéré sous caution, malgré son implication présumée dans des crimes et un conflit en cours avec Rawa Majid, alias le « Renard kurde », qui figure sur la liste rouge d’Interpol, pour le contrôle du marché suédois de la drogue.
Cette querelle a entraîné une flambée de violence depuis la fin de l’année 2022, compliquant encore davantage les efforts déployés pour traduire Abdo en justice.
Mais l’influence d’Abdo et Majid dépasseraient largement les frontières de la Suède, ou encore d’un simple marché de la fraise.
Le réseau Foxtrot de Majid et le réseau Rumba d’Abdo auraient été des groupes recrutés par l’Iran pour commettre des attentats contre des israéliens et des dissidents iraniens. L’homme politique suédois Alireza Akhondi, député du Parti du centre, pense que ces gangs sont liés à Téhéran par les activités de contrebande de drogue du Corps des gardiens de la révolution islamique.
Les services de renseignement suédois et israélien ont par ailleurs accusé l’Iran d’utiliser des réseaux criminels pour cibler les intérêts israéliens en Suède après la découverte d’un engin explosif dans l’enceinte de l’ambassade d’Israël en janvier dernier.
Daniel Stenling, chef de l’unité de contre-espionnage du service de sécurité suédois (SÄPO), a réitéré ces accusations contre l’Iran lors d’une conférence de presse en mai, affirmant que son agence « peut établir que les réseaux criminels en Suède sont utilisés par procuration par l’Iran ». L’agence a également confirmé que des gangs utilisent des enfants dans des activités menaçant la sécurité en Suède.
Les consommateurs invités à la vigilance
Gunnar Strömmer, ministre suédois de la justice, a déclaré : « Personne ne devrait pouvoir continuer à contrôler et à participer à des crimes en Suède depuis l’étranger en toute impunité. Le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour favoriser la coopération judiciaire entre les pays. »
Avec des liens présumés du commerce de la fraise à des activités criminelles violentes, les autorités suédoises ont incité les consommateurs à prêter attention à la provenance de leurs fraises.
Le directeur de l’hypermarché Maxi ICA d’Helsingborg, Magnus Carlsson, a expliqué à l’administration de la ville d’Helsingborg que les criminels profiteraient du commerce des fraises en vendant sur les marchés des fraises étrangères moins chères qui sont reconditionnées dans des cartons suédois.
L’Agence suédoise de l’agriculture a invité les consommateurs et les jeunes revendeurs à être vigilants et à s’assurer qu’ils traitent avec des intermédiaires légitimes, afin de ne pas contribuer à des sources de revenus des gangs.
La ville d’Helsingborg a suggéré aux acheteurs de n’utiliser que les numéros d’entreprise commençant par 123 sur Swish, une plateforme de paiement mobile très répandue en Suède, et de savoir que les places de Rådhustorget et Gustav Adolfs torg sont les seuls points de vente du centre-ville où il est permis de vendre des fraises en plein air.
Une industrie de travailleurs exploités
Aftonbladet, l’un des plus grands quotidiens scandinaves, a également rapporté que des personnes vulnérables, souvent des migrants arrivant en Suède, sont attirées dans ce commerce lucratif par de « fausses promesses d’emploi et de logement ».
L’enquête de la police a notamment révélé que des enfants et des adolescents travaillaient illégalement sans contrat de travail, que des migrants n’avaient pas de permis de séjour, que des infractions mineures à la législation sur les stupéfiants avaient été commises et que des atteintes à l’ordre public avaient été commises.
Outre le crime organisé, l’industrie des baies est également touchée par l’exploitation de la main-d’œuvre étrangère, les cueilleurs de fraises étant souvent recrutés en Thaïlande et en Inde. Selon le journal Expressen, les cueilleurs thaïlandais sont contraints de travailler sept jours sur sept, parfois plus de 15 heures par jour, alors qu’on leur avait promis de bonnes conditions de travail, un logement et de la nourriture.
L’exploitation des travailleurs migrants originaires d’Asie est devenue un problème pour d’autres pays nordiques, la Finlande ayant décidé de ne plus délivrer de visas pour la cueillette des baies aux cueilleurs thaïlandais cette année, afin de s’assurer qu’ils ne soient pas la cible de trafiquants d’êtres humains.
Alors que la saison des fraises bat son plein, l’Agence suédoise de l’agriculture et les services de répression des fraudes a invité les vendeurs et les acheteurs à s’assurer de la légitimité de leurs transactions.