Un ancien espion chinois en Australie a révélé des méthodes utilisées par la police secrète chinoise pour traquer et enlever des dissidents à l’étranger, exposant ainsi les opérations de renseignement et de contrôle de la diaspora chinoise à l’étranger, ce qui suscite des inquiétudes en Australie sur sa sécurité nationale.

Une enquête menée par le programme de la télévision publique australienne Four Corners affirme avoir des preuves des missions d’un ancien espion qui devrait traquer les dissidents au régime et à les renvoyer en Chine.
Cet homme 39 ans, connu sous le pseudonyme d” »Eric », a fui la Chine pour l’Australie l’année dernière après que l’une de ses couvertures a été compromise. Plutôt que de continuer à coopérer avec ses supérieurs, Eric a saisi sa chance de s’affranchir d’une profession dans laquelle il ne se serait jamais investi pleinement. Selon ABC, il « a toujours eu l’intention de tourner le dos à la Chine ».
Après son arrivée en Australie, il a divulgué à l’ASIO, l’agence de sécurité nationale australienne, des informations sur les tactiques utilisées par la police secrète chinoise pour traquer les dissidents. Il a justifié ses actes en déclarant que « le public a le droit de connaître ce monde secret ».
Le « département le plus obscur du gouvernement chinois »
Passionné par la démocratie occidentale lorsqu’il était étudiant, Eric s’est retrouvé sous surveillance policière et arrêté par les autorités chinoises.
Pour éviter la prison, il n’a alors eu d’autre choix que de travailler pour le Bureau de protection de la sécurité politique, également connu sous le nom de « 1er Bureau ». Il y a travaillé comme espion entre 2008 et 2023, chargé de traquer et d’attirer les dissidents du régime chinois vers des pays où ils pourraient être kidnappés.
L’unité de protection de la sécurité politique du ministère de la sécurité publique, est l’un des principaux outils de répression du gouvernement chinois, responsable de l’espionnage politique national et de la réduction au silence des détracteurs du gouvernement de Xi Jinping.
Ces dernières années, l’accent mis sur la sécurité politique, considérée comme le « fondement de la sécurité nationale » par le ministère de la défense, s’est intensifié pour assurer la survie du régime, rehaussant au passage la campagne du gouvernement contre la « subversion et la destruction » du système.
Le bureau gère la police secrète « la plus redoutée » de Chine, une branche puissante des renseignements chinois, et c’est la première fois qu’une personne issue du 1er bureau s’exprime publiquement sur le sujet.
« Éric » décrit le bureau de la protection de la sécurité politique comme le « département le plus obscur du gouvernement chinois ».
Retrouver des dissidents dans différents pays
Dans ses révélations à Four Corners, le lanceur d’alerte décrit des missions au cours desquelles il fut ordonné de trouver des dissidents à travers les frontières, que ce soit en Thaïlande, en Inde, au Canada ou encore en Australie.
Eric aurait par exemple été chargé de s’occuper d’un dissident un peu trop bruyant, Edwin Yin, qui publiait des vidéos en ligne critiquant le président Xi Jinping et sa fille.
Le Youtuber a fui la Chine en 2018 et affirme être poursuivi par les autorités chinoises depuis lors, déclarant qu’il ne se sent pas en sécurité en Australie. La Chine affirme qu’il est traqué par les autorités pour fraude, mais le dissident insiste sur le fait qu’il est victime d’un coup monté.
Finalement, Eric a renoncé à recueillir des informations sur le militant politique, affirmant qu’il était « trop rusé » pour être attiré à l’étranger en vue d’un enlèvement. Cette affaire montre néanmoins la portée mondiale des services de renseignement chinois dans leur tentative de répression des dissidents politiques.
La répression sous Xi Jinping
Depuis son entrée en fonction en 2012, le président Xi Jinping a porté les agences de renseignement du pays à un niveau sans précédent et les experts ont mis en évidence une tentative calculée de freiner la résistance à l’étranger.
Le président a lancé l’opération Sky Net en 2015 pour traduire en justice les fonctionnaires corrompus qui ont fui à l’étranger. Cette opération s’inscrit dans le cadre d’une campagne anticorruption plus vaste, l’opération Fox Hunt, qui a été accusée d’être une « campagne mondiale contre la diaspora du pays » par Christopher Wray, le directeur du FBI.
Au cours de la dernière décennie, plus de 12 000 fugitifs présumés ont été renvoyés en Chine dans le cadre de l’opération Sky Net, révélant ainsi que, comme le rapporte ABC, « presqu’aucune dissidence n’est tolérée et Xi a resserré son emprise sur la population chinoise à l’étranger ».
Toutefois, la révélation soudaine d’enlèvements par des Chinois sur le territoire australien a suscité des inquiétudes quant à la sécurité nationale du pays. Le parti d’opposition australien en profite d’ailleurs pour remettre en question l’assouplissement des relations du gouvernement avec la Chine.
De « graves inquiétudes » concernant la sécurité nationale de l’Australie
Le mois dernier, l’ONG de défense des droits de l’Homme Safeguard Defenders a publié un rapport détaillant 283 cas de retours extrajudiciaires d’au moins 56 pays. Les personnes ont été renvoyés en Chine pour avoir commis des délits d’ordre économique.
Laura Harth, directrice de campagne de Safeguard Defenders, qui a rédigé le rapport, souligne que ces opérations, qu’elles aient réussies ou échouées, bafouent de manière flagrante la souveraineté de l’Australie.
En réponse à ces révélations, la coalition politique d’opposition Alliance a exigé des explications de la part de la police fédérale à la suite du renouvellement de trois accords entre des agences conjointes australienne et chinoise, sans avoir tenu compte des récents rapports faisant état de « graves inquiétudes ».
Après avoir expiré l’année dernière, les accords incluent une déclaration d’intention avec le ministère chinois de la sécurité publique pour lutter contre la criminalité transnationale et renforcer la coopération policière, ainsi que des accords pour lutter contre la criminalité économique et le trafic de stupéfiants.