La « crise des méthamphétamines » aux Fidji entraîne une augmentation record des cas de VIH

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23 mai 2024

Les Fidji ont demandé l’aide des Nations unies pour faire face à la recrudescence des cas de VIH et de sida, alimentée par la montée en flèche du trafic de méthamphétamine dans le pays.

centre de santé aux Fidji
Un centre de santé récemment rénové à Nausori, aux Fidji, visité par le Premier ministre Sitiveni Rabuka le 19 mai 2024 | © Gouvernement des Fidji. Illustration

À la demande du Premier ministre des Fidji, Sitiveni Rabuka, le directeur régional du Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida pour l’Asie-Pacifique, Eamonn Murphy, s’est rendu sur l’archipel en début de mois pour y mener des discussions de crise avec les hauts responsables du gouvernement et du secteur de la santé.

Dans une interview accordée au média néo-zélandais 1News, M. Murphy a déclaré que l’épidémie de VIH/sida aux Fidji était « extrêmement alarmante ». L’année dernière, l’archipel a enregistré 82 décès dus au VIH/sida et 415 nouveaux cas pour une population de près d’un million de personnes. À titre de comparaison, la Nouvelle-Zélande a enregistré 97 nouveaux cas, pour une population de plus 5 millions de personnes. M. Murphy a confirmé que la « crise de la méthamphétamine », comme la surnomme désormais les médias du Pacifique, était responsable de l’accélération de la hausse des infections.

« Nous voyons des jeunes, des adolescents, mourir du VIH aujourd’hui et c’est choquant et alarmant… Nous voyons des enfants de 10 et 12 ans arriver dans des cliniques avec des tests positifs à cause de la consommation de drogues », a‑t-il déclaré.

L’une des évolutions les plus inquiétantes qui contribue à l’accélération des taux de contaminations de VIH concerne le « bluetoothing » : une pratique qui consiste à partager son sang pour se droguer lorsque les quantités de méthamphétamine sont limitées. « Ce n’est pas seulement le VIH qu’ils s’injectent, mais aussi d’autres maladies, l’hépatite et toute une série d’autres morbidités, de sorte qu’il s’agit d’une transmission directe qui accélère une épidémie comme celle-ci », a précisé M. Murphy, s’inquiétant d’une possible contamination du phénomène vers d’autres pays du Pacifique.

M. Rabuka a déclaré que le gouvernement et les partenaires de développement envisagent de créer des centres de réadaptation.

Préoccupations pour les territoires du Pacifique

En novembre dernier, le bureau régional d’Asie pacifique des Nations Unies avait publié un communiqué pour faire part de ses préoccupations en matière de santé publique à mesure que la consommation de méthamphétamine augmentait dans la région.

« Les pays et territoires insulaires du Pacifique, situés entre deux des plus grands marchés de drogue, à savoir l’Asie de l’Est et du Sud-Est et les Amériques, ne sont pas à l’abri des défis posés par la croissance des marchés de la méthamphétamine et de la kétamine et par l’émergence d’autres drogues synthétiques. Bien que le cannabis reste la drogue la plus consommée, la consommation de méthamphétamine a augmenté ces dernières années, comme l’ont signalé les Samoa et les Fidji », peut-on lire sur le document.

« Au premier semestre de cette année, nous avons déjà enregistré plus de cas de méthamphétamine qu’au cours de toute l’année dernière », a noté Lanieta Bainiua, directrice du Bureau des stupéfiants de la police fidjienne, durant un atelier organisé par le bureau des Nations Unies. « Nous avons également saisi une quantité importante de kétamine destinée à un usage non médical, ce que nous n’avions pas vraiment vu auparavant aux Fidji. Il est clair que le marché de la drogue évolue et nous devons calibrer nos efforts pour réduire le problème de la drogue à mesure que de nouveaux médicaments émergent sur le marché. »

Venti Chandra, responsable scientifique de la police fidjienne, a quant à elle partagé des informations sur le profilage physique et médico-légal des drogues durant l’atelier, expliquant que même s’ils disposent des capacités médico-légales nécessaires pour détecter des drogues comme la méthamphétamine et la kétamine, la détection d’autres drogues synthétiques reste limitée. Elle a notamment appelé à un renforcement des capacités médico-légales des autorités nationales de la région pour mieux comprendre l’ampleur du problème de la drogue.

« Un enfant sur trois est un trafiquant de drogue »

Des représentants de Drug Free Fiji, une organisation non gouvernementale qui travaille avec les communautés locales, ont noté une augmentation de la consommation de méthamphétamine dans le pays, en particulier chez les jeunes qui s’injectent principalement la drogue à l’aide de seringues. « Il est plus important que jamais de collaborer avec les communautés locales et le secteur de la santé publique pour prévenir les crises de santé publique avant qu’elles ne surviennent. Le nombre de personnes infectées par le VIH a augmenté ces dernières années et, même si les causes ne sont pas clairement déterminées, elles peuvent être en partie attribuées à l’augmentation de la consommation de drogues », ont-ils précisé au cours de l’atelier.

« Nous avons mené une enquête dans certaines communautés en 2019 et avons constaté qu’un enfant sur trois est un trafiquant de drogue, a déclaré Kalesi Volatabu, fondateur de Drug Free Fiji. Ces dernières années, nous avons également observé que davantage de jeunes, y compris des écoliers, consommaient de la méthamphétamine, partageant généralement une seringue entre cinq personnes. »

Ilisapeci Veibuli, directrice du Centre de crise des femmes des Fidji, interrogée par le média néo-zélandais 1news, a observé avec inquiétude la montée rapide de la consommation de méthamphétamine et affirme qu’elle est maintenant normalisée. « Les gens le font en public, ils n’ont pas peur de la loi », a‑t-elle déclaré, « j’ai l’impression que cela concerne tous les foyers et toutes les communautés : les villages, dans les écoles, les enfants l’utilisent, les étudiants l’utilisent. »

Pio Tikoduadua, ministre de l’Intérieur du pays, a publié un communiqué vendredi dernier pour annoncer l’utilisation d’armes à feu comme moyen de dissuasion face à la recrudescence de la vente et consommation de drogues. Plus tôt cette année, près de cinq tonnes de méthamphétamine en provenance du Mexique ont été trouvées dans deux maisons de l’archipel.

La drogue comme échappatoire

Le problème de la consommation excessive de drogues dures aux Fidji ne date cependant pas d’hier. Selon l’Institut pour la paix des États-Unis, les arrestations liées à la drogue aux Fidji ont été multipliées par 9 entre 2009 et 2018, et les arrestations liées à la méthamphétamine, par 6 entre 2009 et 2019.

S’adressant à l’Université nationale de Fidji le mois dernier, Josua Naisele, directeur du Conseil consultatif sur la toxicomanie, a déclaré que les étudiants commençaient par fumer des cigarettes et consommer de l’alcool et du “kava”, une boisson locale à base de plantes aux propriétés sédatives, anesthésiques et euphorisantes, avant de se livrer à la drogue dure, a rapporté la Fiji Broadcasting Corporation.

Le directeur a précisé que certains étudiants consomment de la drogue à cause de la pression de leurs proches, certains l’utilisent comme échappatoire face à leurs problèmes tandis que d’autres sont des victimes ou survivants de maltraitance, d’abus sexuels ou de négligence.

Julie Carballo

Julie Carballo est correspondante pour Newsendip.

Auparavant, elle a notamment travaillé pour Le Figaro et au bureau de Rome pour l'AFP.