Plus de 900 millions de personnes en Afrique dépendent de solutions de cuisson entraînant de nombreux problèmes de santé publique et de pollution. Le sommet qui s’est déroulé à Paris a permis de soulever des fonds pour remplacer les foyers de cuisson des pays en développement, tout en soulevant quelques questionnements…
L’une des solutions pour lutter contre le réchauffement climatique se trouverait-elle dans les cuisines africaines ? C’est la conviction de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), qui a réuni le 14 mai dernier à Paris chefs d’États, ministres, organisations internationales, entreprises et investisseurs lors du sommet sur la cuisson propre en Afrique, co-présidé par la présidente de la République Unie de Tanzanie, Samia Suluhu Hassan, le premier ministre norvégien, Jonas Gahr Støre et le président du groupe de la Banque africaine de développement, le Dr Akinwumi A. Adesina.
Au programme du plus grand rassemblement jamais organisé autour de l’objectif commun de faire progresser l’accès à la cuisson propre en Afrique : la recherche de sources de financement pour remplacer les foyers de cuisson des pays en développement.
Un demi-million de décès prématurés chaque année
Selon l’AIE, en 2022, environ 2,3 milliards de personnes dans le monde n’avaient pas accès à des installations de cuisson propres. Près de quatre personnes sur cinq en Afrique, soit 900 millions d’individus, dépendent de solutions de cuisson non hygiéniques, qui sont souvent dangereuses à utiliser tels que le kérosène, le charbon de bois ou encore les excréments d’animaux. L’absence de modes de cuisson propres a de graves conséquences sur la santé, entraînant problèmes respiratoires, vasculaires et cancers. Les femmes et les enfants seraient les plus touchés, avec près d’un demi-million de décès prématurés chaque année, rien qu’en Afrique.
Ces types de cuisson sont également désastreux pour le climat. Ils représentent l’une des principales sources d’émissions de carbone et tueraient environ quatre millions de personnes chaque année dans le monde, en raison de l’inhalation de fumées et d’émanations nocives. Le commerce du charbon de bois par exemple, qui accélère la déforestation, a récemment fait l’objet d’un décret en Ouganda interdisant de couper des arbres à des fins commerciales.
Des moyens de cuisson « propres » peuvent réduire la consommation de combustible de 30 à 60 %, entraînant une réduction du nombre de décès dus aux maladies liées à la fumée et une diminution des émissions de gaz à effet de serre et de carbone, selon la Clean Cooking Alliance. « La communauté internationale ne peut atteindre son objectif de lutte contre le changement climatique sans s’attaquer à la façon dont les gens cuisinent », précise l’organisation à but non lucratif.
« Si la maison de votre voisin brûle, vous devez l’aider. L’Afrique est notre voisine », déclarait Fatih Birol, directeur exécutif de l’AIE, à Euronews avant l’événement. « Les solutions sont bien connues et nous affirmons que notre objectif premier est de garantir un accès abordable et rapide à des solutions de cuisson plus propres et modernes – qui comprennent la biomasse dans les fours à haut rendement, le biogaz, le bioéthanol, le gaz de pétrole liquéfié (GPL), l’électricité – qui peuvent toutes apporter des avantages en termes de santé, de productivité, d’égalité des sexes, de préservation des forêts, de biodiversité et de réduction des émissions », a‑t-il précisé durant le sommet.
Un système de « crédits carbone »
Le coût de la résolution de ce problème est « relativement faible » selon l’AIE, qui estime que 4 milliards de dollars d’investissements sont nécessaires chaque année pour permettre à tous les Africains d’avoir accès à des combustibles de cuisson propres d’ici à 2030. Pour ce faire, l’AIE veut miser sur un système de « crédits carbone » – ces unités équivalentes à une tonne de CO2 capturée dans l’atmosphère, vendues à des entreprises en échange du financement d’un projet vertueux de captation de carbone.
Une stratégie qui porte ses fruits puisque la société pétrolière TotalEnergies, habituée aux premières places des classements rassemblant les plus gros pollueurs, a annoncé un investissement de plus de 400 millions de dollars dans le développement du gaz de pétrole liquéfié (GPL) pour la cuisson, en marge du sommet.
Le Premier ministre norvégien, Jonas Gahr Støre, a quant à lui déclaré que « la Norvège est un fervent défenseur de la cuisson propre », s’engageant à investir 50 millions d’euros dans « cette cause importante ».
« La France investira 100 millions d’euros sur cinq ans dans les modes de cuisson propres et se mobilisera encore davantage à travers le Pacte de Paris pour les peuples et la planète », a annoncé le président Français Emmanuel Macron, lors du sommet.
Au total, des financements et des investissements d’une valeur de 2,2 milliards de dollars ont été mobilisés auprès de sources gouvernementales et du secteur privé, et beaucoup ont annoncé leur intention d’accroître leur soutien à la cuisson propre en Afrique à l’avenir.
Ces nouvelles annonces s’ajoutent à l’engagement pris par le Groupe de la Banque africaine de développement lors de la COP28 de consacrer 2 milliards de dollars à la cuisson propre sur une période de 10 ans et viendront renforcer l’aide directe au développement déjà disponible par l’intermédiaire d’autres sources gouvernementales et multilatérales. S’exprimant lors du sommet à Paris, le président du Groupe, le Dr Akinwumi Adesina, a déclaré que l’institution consacrerait désormais 20 % de l’ensemble de ses financements de projets énergétiques à la promotion d’alternatives sûres pour la cuisson.
« L’attention doit maintenant se porter sur la mise en œuvre des engagements et des résultats – une tâche que les coprésidents du sommet s’engagent à soutenir », a conclu l’agence.
La présidente tanzanienne Samia Suluhu Hassan a appelé à une réorganisation du Fonds africain de développement de la Banque africaine de développement (BAD) afin d’y inclure 12 milliards de dollars pour réaliser la cuisson propre pour tous les pays à faibles revenus d’ici 2030. « L’insuffisance des financements et le manque de sensibilisation aux opportunités économiques offertes par le secteur de la cuisine et des modes de cuisson propres entravent les efforts visant à étendre les interventions. En outre, le développement des solutions nécessaires est limité par l’insuffisance de la recherche et de l’innovation », a‑t-elle ajouté.
Seuls 38 % des participants originaires d’Afrique
Certains groupes de la société civile sont montés au créneau pour dénoncer le choix de Paris comme lieu de rassemblement. « Nous ne comprenons pas qu’un sommet d’une telle importance pour l’Afrique se tienne en dehors du continent. La décision d’accueillir le sommet en France n’inspire pas confiance et ne donne pas une impression positive. Elle suggère plutôt que les Africains ne maîtrisent pas l’ordre du jour d’une question extrêmement importante pour eux. Ceci, par conséquent, affaiblit un sommet bien intentionné. La France est engagée dans des projets d’expansion et d’exploration du pétrole et du gaz à travers l’Afrique, contribuant ainsi à la pauvreté énergétique et à la crise climatique auxquelles le continent est actuellement confronté », peut-on lire dans un communiqué de Power Shift Africa, un groupe de réflexion fournissant des analyses sur le changement climatique, les énergies renouvelables et le développement durable en Afrique.
Mohammed Adow, directeur du groupe, s’est notamment étonné que les résolutions adoptées lors du sommet aient été élaborées par un groupe « d’hommes riches du Nord ». « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une approche centrée sur les femmes, qui place leurs besoins au premier plan, et non ceux d’un secteur privé avide de profits. Il est de plus en plus évident que la plupart des femmes qui ont les moyens et l’accès au gaz pour cuisiner pourraient également avoir les moyens et l’accès à la cuisson électrique, qui peut être alimentée par des énergies renouvelables. C’est sur ce point qu’il faut se concentrer », a‑t-il ajouté.
Joab Okanda, conseiller principal de Christian Aid, une organisation caritative britannique luttant contre la pauvreté dans le monde, a déclaré que ce n’était pas une coïncidence que le sommet se tienne en France. « Nous devons nous demander quel est l’ordre du jour de ce sommet. S’agissait-il vraiment d’un sommet pour l’Afrique ou d’un sommet pour continuer à extraire de l’Afrique ? », s’est-il interrogé sur le réseau social X.
Seuls 38 % des participants au sommet étaient originaires d’Afrique, dont 14 femmes africaines, sur une liste de 84 participants.