Une loi destinée à protéger les droits des communautés indigènes du Chili est utilisée par des petits groupes pour revendiquer l’autonomie sur des milliers d’hectares de mer, suscitant la controverse autour d’une utilisation abusive de la législation. Les demandes ont exacerbé les différends et amené les travailleurs de la filière pêche et aquaculture à manifester pour protéger leurs emplois.
Le 3 juin, la Commission régionale pour l’utilisation des rivages (CRUBC) du Chili – l’organe gouvernemental chargé de gérer et de réglementer les zones côtières dans la région des Lacs – a examiné cinq demandes visant à transférer 3 000 hectares de mer aux communautés indigènes.
Après près de cinq heures de débats au milieu des tensions régionales et des manifestations de syndicats de travailleurs, quatre des cinq demandes ont été rejetées par une large majorité des voix, permettant aux travailleurs de continuer à utiliser la zone contestée pour l’aquaculture.
Mais les groupes indigènes ont menacé de judiciariser le processus, avertissant que cet appel n’était « que le début » de leur tentative de reprendre le contrôle de zones ancestrales.
Les communautés ethniques Huilliche d’Antünen Rain et de Pu Wapi, appartenant au groupe indigène Mapuche, ont tenté de revendiquer les espaces côtiers des îles Huichas et Cisnes dans la région d’Aysén au sud du pays en vertu de l’Espace côtier maritime des peuples autochtones (ECMPO) du Chili.
Mais la grande majorité des entités gouvernementales, des maires et des particuliers ont considéré cet requête comme une mauvaise utilisation de la loi Lafkenche, affirmant que l’extension de l’ECMPO serait disproportionnée par rapport au nombre de personnes demandant l’utilisation exclusive de la mer.
En février, la demande des deux communautés, totalisant seulement 38 personnes, pour le contrôle de plus de 621 000 hectares de mer autour de ces mêmes îles avait déjà été rejetée. Bien qu’elles considèrent ces zones côtières vitales pour leurs activités culturelles, sociales et économiques, leur demande aurait mis en péril les emplois de plus de 5 000 personnes.
Les demandes rejetées le 3 juin concernaient une zone plus petite de 3 000 hectares, mais elles ont néanmoins entraîné la suspension des autorisations pour l’industrie aquacole. Dans la région des Lacs,1 000 000 hectares sont sous le coup d’une instruction et 387 demandes de concessions aquacoles sont suspendues par la loi Lafkenche.
Protection des droits des populations indigènes
La loi Lafkenche est une législation adoptée au Chili en 2008 dans le but de protéger les droits ancestraux des populations indigènes Lafkenche, en particulier en ce qui concerne l’utilisation et la conservation des zones maritimes côtières essentielles à leur mode de vie et à leurs pratiques culturelles. Un aspect clé de la loi est l’ECMPO, qui permet aux communautés autochtones de demander la reconnaissance légale des Espaces maritimes côtiers des peuples indigènes.
Bien que la législation ait été considérée comme une étape importante pour reconnaître et promouvoir les intérêts de minorités au Chili, en garantissant que leur mode de vie lié à l’espace côtier puisse se perpétuer, les tensions récentes avec les travailleurs mettent en lumière ce qu’ils considèrent comme une utilisation abusive de la loi.
Les revendications ont créé des tensions régionales entre les communautés, les travailleurs de l’industrie du saumon, les pêcheurs et les parlementaires. Des employés de la salmoniculture, ainsi que d’autres travailleurs aquacoles, se sont rassemblés à Quellón en avril et à Puerto Montt en mai pour manifester contre les demandes d’ECMPO.
« Nous espérons que le gouvernement aura la solidité et la responsabilité d’assurer le bien commun, et non de générer davantage de perturbations du travail, ce qui aggraverait la situation régionale », a déclaré la porte-parole du syndicat du saumon, Marta Oyarzo.
Cependant, le résultat du vote n’a pas affaibli la résistance des communautés indigènes, qui ont averti que leurs requêtes ne sont « que le début. »
Les revendications territoriales des Mapuches ces dernières années ont pu générer des conflits entraînant des morts et l’annonce d’un état d’urgence dans certaines zones du pays.
« La mer est pour tout le monde »
Les parlementaires considérent que l’extension de l’ECMPO dans ces zones côtières revendiquées serait une mauvaise application d’une loi destinée à protéger les droits des indigènes au détriment des travailleurs de l’industrie du saumon et des pêcheurs artisanaux, dont les moyens de subsistance seraient menacés.
La majorité de l’opposition a souligné des manquements dans les requêtes : le manque de clarté sur l’utilisation prévue de la zone et son chevauchement avec des réserves nationales, telles que la réserve nationale des Guaitecas.
Un avocat d’AquaChile, la plus grande ferme de saumon du Chili, avait précédemment fait valoir en avril que l’allocation de zones côtière dans le sud du Chili aux peuples indigènes devrait être suspendue jusqu’à ce que les défauts de la loi Lafkenche soient rectifiés. « La mer est pour tout le monde », a‑t-il affirmé, ajoutant que les demandes étaient « des déviations de l’inspiration de la loi. »
Ce point de vue a été repris après le vote la semaine dernière par le directeur territorial de SalmonChile, Tomás Monge, qui a demandé que la loi soit temporairement suspendue.
« Indépendamment de l’issue du vote, l’interprétation large de la loi Lafkenche a généré de grands conflits et des incertitudes. Par conséquent, en tant que syndicat, nous pensons qu’il est nécessaire qu’aucun nouvel ECMPO ne continue d’être étudié et qu’un moratoire soit établi, à la fois sur les nouvelles demandes et sur le traitement des demandes déjà en cours », a expliqué M. Monge.