Le gouvernement de coalition de Norvège propose d’augmenter les taxes sur les industries de l’aquaculture et des énergies renouvelables qui tirent profit des ressources naturelles, « bien commun » de la Norvège. Fait inhabituel, la Norvège présente un déficit dans le budget de l’année prochaine.
Le 28 septembre, le gouvernement norvégien a annoncé qu’il proposait de taxer les producteurs d’énergie renouvelable et l’industrie aquacole parce qu’ils réalisent des profits à partir des ressources naturelles de la Norvège. Le gouvernement a besoin de financer une augmentation des dépenses dans le budget de l’année prochaine.
Le gouvernement prévoit d’augmenter les recettes fiscales de 33 milliards de couronnes (3,1 milliards d’euros) par an, qui seront distribuées aux autorités locales et aux comtés.
Les dépenses de l’administration norvégienne devraient augmenter de 100 milliards de couronnes (9.5 milliards d’euros) l’année prochaine, en raison de la subvention sur l’électricité pour les ménages couvrant les augmentations du prix de l’énergie – environ 40 milliards de couronnes -, de la sécurité sociale, de projets de construction publique et de l’intégration des réfugiés ukrainiens.
Les budgets en Norvège présentent habituellement un excédent, de l’ordre de 10 à 20 milliards de couronnes, selon le ministre des finances Trygve Slagsvold Vedum. Mais le budget de l’année prochaine est déficitaire car les revenus n’augmentent pas aussi vite que les dépenses, ce qui justifie, selon les responsables, la nécessité de trouver des dizaines de milliards de couronnes supplémentaires.
Le ministre des finances a justifié que l’unique solution alternative à augmenter les impôts était de réduire les dépenses dans les domaines de la protection sociale, des retraites, de la santé ou de la police, ce qui n’est « pas compatible avec la société que nous souhaitons pour la Norvège ». Il est donc « approprié de collecter une plus grande partie des bénéfices des industries qui sont basées sur les ressources naturelles qui sont notre propriété commune », déclare M. Vedum.
Répartir les bénéfices des ressources naturelles
Pour ce faire, le gouvernement veut augmenter la taxe sur l’hydroélectricité et introduire une taxe sur la rente des ressources naturelles sur l’aquaculture et l’énergie éolienne. Cette taxe est une sorte d’impôt foncier que les entreprises paient lorsqu’elles utilisent des ressources naturelles et en tirent profit.
L’industrie de l’aquaculture, par exemple, utilise des ressources naturelles qui appartiennent à la société, les fjords et les zones maritimes, pour élever des saumons d’élevage qui sont considérés comme une rente de ressources. L’État délivre des permis d’aquaculture qui octroient un droit protégé d’exploitation indéfiniment. La rente de ressource dont bénéficie l’industrie aquacole est estimée à 11,8 milliards de couronnes (1,1 milliards d’euros) pour 2021, selon les statistiques norvégiennes.
Pour l’aquaculture, le taux effectif de la taxe sur la rente de ressources naturelles serait fixé à 40 % à partir de janvier 2023. Il s’appliquerait à la production de saumon, de truite et de truite arc-en-ciel au-delà de 4 000 tonnes par an, ce qui devrait exclure deux tiers des entreprises d’élevage, pour des recettes fiscales attendues jusqu’à 3,8 milliards de couronnes (362 millions d’euros) par an.
Les rumeurs à propos d’une « taxe saumon » destinée à compenser le déficit de l’État inquiétaient les autorités des côtes norvégiennes, les communautés et le secteur agricole.
Le secteur agricole était furieux de la proposition du gouvernement. Geir Ove Ystmark, responsable de Seafood Norway, Sjømat Norge, l’association nationale de l’industrie de la pêche et de l’aquaculture, a estimé que le gouvernement « va éteindre les lumières le long de la côte ». « Ils sont en train de massacrer la future industrie la plus importante de Norvège. C’est un cadeau à nos concurrents étrangers », a‑t-il déclaré au journal norvégien VG.
Le Premier ministre norvégien, Jonas Gahr Støre, et le ministre des finances ont annoncé les mesures mercredi matin, sans annoncer à l’avance les sujets abordés lors de la conférence de presse.
L’aquaculture est le deuxième secteur d’exportation de la Norvège et une telle annonce a ébranlé les marchés. L’indice principal de la Bourse d’Oslo a fortement chuté et était en baisse de 1,7 % à la clôture mercredi. Jeudi soir, l’indice des produits de la mer a perdu 24,8 % par rapport à mercredi matin avant l’annonce.
Le milliardaire norvégien Gustav Magnar Witzøe, 29 ans, qui a hérité en 2019 de SalMar, l’un des plus grands producteurs mondiaux de saumon d’élevage, avait menacé de quitter le pays avec sa fortune si une taxe sur les rentes était mise en place. Les actions de SalMar ont plongé de 30 % mercredi.
Le député Rasmus Hansson, premier représentant des Verts élu au parlement en 2013, a salué la mise en place d’une taxe sur l’aquaculture, car « l’industrie agricole a pu se mettre des sommes énormes dans les poches parce qu’elle peut utiliser la nature appartenant à la communauté ».
La plus grande contribution proviendrait de l’augmentation de la taxe sur les rentes de l’hydroélectricité
L’introduction d’une « taxe saumon » fait beaucoup de bruit, mais elle ne générerait néanmoins qu’une petite partie des 33 milliards de couronnes que le gouvernement doit trouver pour 2023.
La proposition concernant l’énergie éolienne terrestre mettrait en œuvre la même taxe sur la rente de ressource naturelles que pour l’aquaculture, appliquée aux parcs éoliens qui ont plus de 5 turbines ou une capacité installée d’au moins 1 MW. Elle pourrait rapporter environ 2,5 milliards de couronnes par an, selon le gouvernement.
« Après de nombreuses années d’inégalités croissantes, il est vital que ceux qui ont le plus, et dans de nombreux cas ont gagné beaucoup plus ces dernières années, contribuent davantage. Un élément important de cette démarche sera de veiller à ce que les valeurs qui proviennent de nos ressources naturelles soient distribuées plus équitablement qu’aujourd’hui », a déclaré le premier ministre.
Le gouvernement veut également instaurer une taxe temporaire sur l’énergie éolienne et l’énergie hydraulique, une « contribution aux prix élevés » de l’électricité. Cette taxe extraordinaire constituerait la première source de recettes fiscales du paquet de mesures et pourrait rapporter environ 16 milliards de couronnes (1,5 milliard d’euros) par an. Elle consisterait principalement en une taxe de 23 % sur la partie du prix qui dépasse 70 øre (7 centimes) par kWh.
Pendant que « les prix élevés de l’électricité rendent la situation difficile pour beaucoup » en ce moment, ils fournissent également « des niveaux de revenus supplémentaires significatifs pour ceux qui produisent et vendent l’électricité », a justifié le premier ministre lors de la conférence de presse.
Les producteurs d’énergie ont en effet bénéficié de la récente flambée des prix du marché de l’électricité alors que l’inflation en Norvège a augmenté de 6,5% en septembre par rapport à l’année dernière. Mais les entreprises du secteur de l’énergie estiment que la taxation allongera la durée de la crise énergétique et génère de l’incertitude pour l’investissement dans les énergies renouvelables. Pour M. Vedum, les entreprises resteront rentables, mais les bénéfices seront réduits.
Cette annonce intervient alors que la Norvège tente d’amorcer la transition des combustibles fossiles aux énergies renouvelables. Toutefois, « l’argent du pétrole doit être réduit », indique le communiqué, en référence au fonds pétrolier norvégien, la gigantesque réserve financière du pays évaluée à près de 12 000 milliards de couronnes (1 100 milliards d’euros) qui finance près de 20 % du budget du gouvernement.
Le deuxième contributeur le plus important à cette augmentation des recettes fiscales serait la taxe sur la rente des ressources pour l’industrie hydroélectrique, qui passerait de 37 % à 45 % par an. Les recettes fiscales sont estimées ici à 11 milliards de couronnes par an (1 milliards d’euros).
Les collectivités locales et les comtés qui bénéficient de la vente des licences de production aux sociétés d’énergie verront également une déduction de leur subvention l’année prochaine, ce qui permettrait au gouvernement d’économiser 3 milliards de couronnes en 2023.
Les propositions de taxes sur les énergies renouvelables et l’aquaculture présentées par le gouvernement de coalition doivent encore être approuvées par le Storting, le parlement norvégien.