Un projet de loi visant initialement à rendre les véhicules brésiliens plus écologiques prévoit désormais une « taxe sur les chemisiers » de 20 % sur les achats internationaux d’une valeur allant jusqu’à 50 dollars destinée à aider les entreprises brésiliennes à rivaliser avec des produits importés moins chers.
La Chambre des députés du Brésil a approuvé le 11 juin une nouvelle taxe sur les achats internationaux allant jusqu’à 50 dollars et plus connue sous le nom de « taxe sur les chemisiers ». La mesure a été adoptée à une large majorité de 380 voix pour et 26 contre.
Faisant initialement partie du projet de loi sur la mobilité verte et l’innovation (MOVER) visant à dynamiser l’industrie automobile brésilienne en encourageant l’achat de véhicules propres, l’inclusion de cette taxe a ajouté une nouvelle couche de complexité à une proposition législative aux multiples facettes.
MOVER, également appelé projet de loi (PL) 914⁄24, a été conçu pour favoriser le développement de véhicules moins polluants en offrant des incitations financières et en réduisant la taxe sur les produits industrialisés.
Cependant, la taxe sur les achats internationaux a été ajoutée tardivement au projet de loi, à la demande du député Átila Lira du parti de droite des Progressistes, qui est le rapporteur du projet de loi.
Une taxe sur les importations de biens de consommation
Dans le jargon politique brésilien, l’inclusion d’une mesure sans rapport avec le sujet de la loi initiale est appelée « tortue ». Comme si on avait trouvé une tortue dans un arbre : si elle est là, c’est que quelqu’un l’a mise.
Cette manœuvre législative a fait sourciller et a suscité des critiques de la part de divers secteurs, beaucoup s’interrogeant sur le bien-fondé de lier la taxation des produits importés à un projet de loi sur l’environnement.
La semaine dernière, le rapporteur du Sénat, Rodrigo Cunha du parti de droite Podemas, a décidé de retirer la taxe, ce qui a suscité une controverse et un nouvel examen par les parlementaires. La Chambre a de nouveau approuvé le projet de loi, y compris les modifications apportées par le Sénat.
Pour qu’elle entre en vigueur, la loi doit encore être approuvée par le Président Lula.
Si la mesure est maintenue, elle imposera une taxe à l’importation de 20 % sur les achats internationaux d’un montant supérieur ou égal à 50 dollars.
Cette taxe devrait avoir un impact significatif sur les consommateurs qui achètent fréquemment sur les très populaires plateformes asiatiques de commerce en ligne Shein, AliExpress ou encore Shopee. Le terme « taxe sur les chemisiers » est né en raison du volume élevé d’achats de vêtements sur ces plateformes.
Malgré le mécontentement de consommateurs, le politologue Ueber José de Oliveira considère cette taxe comme une mesure protectionniste nécessaire. « L’industrie nationale et le commerce de détail ne peuvent pas rivaliser avec les bibelots chinois », a‑t-il affirmé au média brésilien A Vírgula, critiquant l’idée d’un marché autorégulé comme une « folie idéologique ».
L’économiste Clóvis Vieira soutient également ce point de vue, estimant que si la taxe n’augmentera pas de manière significative les recettes publiques, elle renforcera la compétitivité des entreprises locales. M. Vieira a souligné que l’exonération fiscale actuelle pour les achats internationaux fausse le marché et désavantage les producteurs nationaux.
L’industrie nationale brésilienne est en déclin, sa contribution dans le produit intérieur brut étant passée de 36 % en 1986 à environ 11 % aujourd’hui. M. Oliveira estime que, parallèlement à la taxation des ventes au détail, il est indispensable d’investir dans l’industrie des biens d’équipement afin de réduire la dépendance à l’égard des biens importés.
S’opposer à la « fast fashion »
Le projet de taxe a suscité des réactions négatives, en particulier de la part des détaillants étrangers et des consommateurs qui profitent de produits à bas prix.
Shein, qui s’adresse au Brésil principalement aux personnes avec peu de pouvoir d’achat, a critiqué le projet de loi affirmant que la taxe augmenterait considérablement les coûts pour les consommateurs.
Selon la plateforme chinoise de commerce en ligne Shein, une robe qui coûte actuellement 82 réaux (14 euros) pourrait passer à plus de 98 réaux (environ 17 euros) en raison de la nouvelle imposition.
En réponse à cette nouvelle mesure, AliExpress s’est dit « surpris » et a affirmé que la taxe affecterait principalement les plus pauvres du pays, tout en décourageant les investissements étrangers.
Malgré sa popularité, Shein a fait l’objet d’un examen minutieux en raison de violations présumées du droit du travail et de son modèle de « fast fashion » nuisible à l’environnement. Les critiques affirment que les pratiques commerciales de l’entreprise, qui impliquent une production rapide de vêtements à bas prix, contribuent à une dégradation significative de l’environnement.
Le président de l’Institut brésilien de planification et de fiscalité João Eloi Olenike a pris également position contre l’exonération fiscale accordée aux vendeurs étrangers, estimant qu’elle crée un déséquilibre dans la concurrence.
Dans une interview accordée à la BBC, il explique que si un détaillant brésilien importe de Chine un article qui est également vendu par Shein au Brésil depuis la China, l’entreprise brésilienne devra faire face à une fiscalité plus élevée, alors que Shein bénéficie d’exemptions qui lui permettent d’éviter ces coûts supplémentaires, lui conférant alors un avantage concurrentiel par rapport aux entreprises locales.
Le projet de loi dans son ensemble, y compris le programme de mobilité verte et d’innovation, vise à allouer 19,3 milliards de réaux (environ 3,3 milliards d’euros) en incitations fiscales jusqu’en 2028 pour promouvoir la production de véhicules propres.
Toutefois, l’inclusion de la taxe sur les importations des biens de consommation courante a déplacé une grande partie de l’attention et du débat.
Après des consultations avec son ministre des finances et des délibérations de M. Lira avec les dirigeants du corps législatif, le président Lula s’est engagé à ne pas opposer son veto à la mesure, bien qu’il ait précédemment menacé de le faire.
Les pouvoirs exécutif et législatif, où les partis de droite dominent, semblent être parvenus à un consensus sur le taux d’imposition de 20 %, qu’ils considèrent comme un pas vers le protectionnisme économique et le soutien à l’industrie nationale.
Cependant, Clóvis Vieira estime que cette taxe était considérée comme une nouvelle mesure impopulaire de Lula.