En pleine crise économique, la Turquie veut multiplier sa taxe pour partir à l’étranger par dix

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19 juin 2024

Le ministère turc des Finances a enclenché des discussions visant à augmenter drastiquement le montant des frais de départ à l’étranger afin d’augmenter ses recettes publiques au moment où le pays fait face à une inflation record.

Deux avions de Turkish Airlines
Le gouvernement turc prévoit de décupler les frais de départ pour les citoyens voyageant vers des destinations internationales. | © Alireza Akhlaghi

Trouver des capitaux pour relancer son économie à la peine : la Turquie prévoit de lancer une série de taxes pour renflouer les caisses. Selon des informations obtenues par le média en ligne Ekonomim, l’un des éléments clés du plan d’augmentation des recettes fiscales, qui sera discuté au Parlement turc en septembre, concerne l’augmentation des frais de départs à l’étranger.

Les citoyens turcs qui s’envolent vers des destinations internationales doivent actuellement payer 150 lires turques (près de 4 euros) de taxes de départ, par personne. Cependant, le projet de réforme fiscale du gouvernement prévoit une augmentation drastique comprise entre 1 000 à 1 750 lires (entre 28 et 50 euros). Les frais de départ à l’étranger, qui étaient de 15 lires (0,50 centimes d’euros) en 2018, avaient déjà été portés à 50 lires (1,40 euros) en juillet 2019 avant d’atteindre les 150 lires en mars 2022.

Si la taxe est adoptée à 1 750 lires, elle augmenterait donc par 10.

37 millions d’euros de revenus

Un total de 1,3 milliard de lires (près de 37 millions d’euros) a été collecté grâce aux frais de départ à l’étranger en 2023 en Turquie. Au cours de la période janvier-avril 2024, un revenu de 427 millions de lires (12 millions d’euros) a été généré. Une partie des frais de départ à l’étranger est transférée à l’administration du développement du logement social (TOKI), gérée par le gouvernement Erdoğan.

Les citoyens turcs disposant d’un permis de séjour à l’étranger au moment de leur départ, les employés des entreprises de transport de marchandises et de passagers à des fins commerciales dans des véhicules routiers, maritimes, aériens et ferroviaires, ainsi que les enfants de moins de 7 ans sont actuellement exonérés du tarif.

Le 1er mai dernier, c’est l’Allemagne qui avait décidé d’augmenter ses taxes sur les vols internationaux de 19 % pour atteindre entre 15,53 et 70,83 euros par passager, selon l’itinéraire. Une décision vivement critiquée par l’Association du transport aérien international (IATA), qui expliquait que cette augmentation rendra l’Allemagne moins compétitive dans des domaines économiques clés tels que les exportations, le tourisme et l’emploi.

« Alors que les performances économiques de l’Allemagne sont anémiques, affaiblir sa compétitivité en augmentant les taxes sur l’aviation relève de la folie politique. Le gouvernement devrait donner la priorité aux mesures visant à améliorer la position concurrentielle de l’Allemagne et à encourager le commerce et les voyages. Au lieu de cela, il a opté pour une prise d’argent à court terme qui ne peut que nuire à la croissance à long terme de l’économie », a déclaré Willie Walsh, directeur général de l’IATA dans un communiqué.

La taxe de départ allemande concerne tous les voyageurs, contrairement à la Turquie qui, comme l’Iran, ne taxe que ses citoyens. En effet, en Allemagne, en France ou encore en Angleterre, les taxes de départ se répercutent directement sur le prix des billets d’avion, pour tous les voyageurs. En Turquie, des guichets spéciaux sont prévus dans les aéroports pour permettre aux citoyens turcs d’aller payer leur taxe de départ. D’autres pays comme l’Espagne, le Portugal, la Suisse ou encore l’Irlande ne disposent quant à eux, d’aucune taxe sur les départs internationaux.

Une taxe sur la respiration

Le parti de gauche Cumhuriyet Halk Partisi (CHP), principal parti d’opposition au pouvoir en place en Turquie, a demandé le retrait total des frais de départs à l’étranger. S’exprimant sur le sujet, Aykut Kaya, député du CHP à Antalya, a déclaré sur le réseau social X : « Le coût des voyages a déjà augmenté. Cette austérité sera-t-elle toujours imposée aux citoyens ? Si les choses continuent ainsi, de nouvelles taxes créatives telles que la « taxe sur la respiration » pour les ménages pourraient faire partie du paquet fiscal préparé par notre ministre du Trésor et des Finances ».

L’administration turque, qui se prépare notamment à supprimer de nombreuses exemptions fiscales afin d’augmenter ses recettes publiques, avait récemment débattu un plan de taxation des transactions financières et des cryptomonnaies, finalement abandonné le 13 juin dernier. Selon le média turc Sozcu, une série de nouvelles taxes serait en préparation, concernant notamment les coursiers à moto travaillant à titre individuel ou encore une demande d’impôt anticipé pour les professions telles que les avocats, les médecins et les architectes.

Le taux d’inflation officiel de la Turquie a atteint un niveau record de 75,45 % le mois dernier selon les données publiées par l’Institut turc des statistiques, qui précise que les domaines les plus touchés concernent l’éducation, le logement et la restauration

« Le pire est derrière nous », a déclaré le ministre des finances, Mehmet Şimşek, dans un message publié sur le réseau social X après l’annonce des données. « Nous entrons dans le processus de désinflation. La baisse permanente de l’inflation commencera en juin », a précisé le ministre, ajoutant que le gouvernement réduirait les dépenses pour aider à maîtriser les prix.

L’un des taux d’inflation les plus élevés au monde

L’effort de maîtrise de l’inflation par des taux d’intérêt plus élevés constitue un changement radical de la part du président Recep Tayyip Erdoğan, qui avait auparavant demandé à la banque centrale de maintenir des taux bas pendant des années afin de stimuler l’économie.

La banque centrale a maintenu son taux d’intérêt de référence lors des deux dernières réunions et teste d’autres mesures pour freiner la croissance des prêts, déclarant après une réunion sur les taux le mois dernier que des coûts d’emprunt plus élevés auraient un « effet retardé » sur l’inflation, comme rapporté par le Financial Times. La banque s’attend à ce que l’inflation annuelle des prix à la consommation ralentisse à 38 % d’ici la fin de l’année.

Mais les taux d’intérêt plus élevés n’ont pas dissuadé les consommateurs turcs de dépenser plutôt que d’épargner. Les données du PIB publiées par l’Institut turc des statistiques ont montré que la consommation des ménages a fait un bond de 7,3 % au premier trimestre, alimentant une expansion de 5,7 % de l’économie de pays.

La Turquie a maintenant l’un des taux d’inflation les plus hauts au monde, devancée par le Zimbabwe, l’Argentine, le Soudan et le Venezuela, selon les données du Fonds Monétaire International (FMI).

Julie Carballo

Julie Carballo est correspondante pour Newsendip.

Auparavant, elle a notamment travaillé pour Le Figaro et au bureau de Rome pour l'AFP.