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Libéralisation de la vente d’alcool en Suède : l’exception du Systembolaget en sursis ?

5 minutes de lecture
16 octobre 2024

Un projet de loi présenté par le gouvernement suédois propose de modifier le monopole d’État sur la vente d’alcool pour aider les petits producteurs locaux. Mais avant de pouvoir être adopté, ce plan controversé, entre intérêts économiques et sanitaires divergents, devra obtenir le feu vert de Bruxelles et des États membres de l’UE.

Magasin de vente d'alcool en Suède
Magasin de vente d’alcool en Suède géré par le Systembolaget | © Systembolaget

En juin dernier, le gouvernement suédois a annoncé son intention de permettre aux petites brasseries, distilleries et vignerons de vendre leurs produits, à petite échelle, directement aux clients à partir du 1er juin 2025. Les représentants suédois espéraient obtenir le feu vert de la Commission européenne le 8 octobre dernier mais il leur faudra désormais attendre au moins jusqu’au 8 janvier prochain, en raison d’une objection surprise émise à la dernière minute par le Portugal.

La mesure marquerait un tournant important dans le pays où les ventes d’alcool sont contrôlées par un monopole d’État de longue date, connu sous le nom de Systembolaget, qui maintient un contrôle strict sur la vente d’alcool.

Le Systembolaget, une exception à la libre circulation de l’UE

En Suède, la vente de boissons alcoolisées contenant plus de 3,5 % d’alcool par volume est uniquement réservée à une chaîne de magasins de détail appartenant à l’État.

Les bars et restaurants sont autorisés à vendre de l’alcool pour la consommation sur place, mais les bouteilles doivent être ouvertes par le personnel et les clients ne sont pas autorisés à emporter leurs boissons hors des locaux.

Et dans une lettre adressée à la Commission européenne à laquelle Newsendip a eu accès, le ministère de l’économie du Portugal explique que le monopole du Systembolaget en Suède représente une restriction à l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne : la libre circulation des marchandises entre les pays.

La Suède et la Finlande sont les seuls pays à bénéficier d’une exception autorisant les monopoles publics sur l’alcool, Systembolaget en Suède et Alko en Finlande, dans le cadre de leur adhésion à l’UE en 1995.

Une proposition discriminatoire envers les producteurs étrangers pour le Portugal

Mais le Portugal considère aussi que la proposition de loi sur la vente des exploitations agricoles se montre incompatible avec cette exception.

En outre, le pays juge la proposition discriminatoire envers les producteurs étrangers étant donné que la vente d’alcool est réservée aux producteurs suédois. L’association professionnelle européenne des viticulteurs et des groupes de vignerons espagnols avaient également fait part de son mécontentement à la Commission européenne.

En effet, la proposition ne respecterait pas, selon eux, des conditions de concurrence équitables sur le marché de l’UE. En particulier, la proposition suédoise donnerait aux producteurs suédois de bière, de vin et de spiritueux la possibilité de vendre de l’alcool à la fois par l’intermédiaire du monopole national de l’alcool et directement aux consommateurs.

Il s’agirait d’un droit qui n’est pas accordé aux producteurs d’alcool d’autres pays de l’UE et qui irait donc à l’encontre du principe de l’égalité des chances sur le marché de l’UE. De son côté, le gouvernement suédois avance que les limites de volume de production pour être considéré une petite brasserie ou distillerie indépendante sont ouvertes aux producteurs suédois comme étrangers.

Lorsqu’un pays membre de l’UE émet des réserves, les fonctionnaires de Bruxelles disposent automatiquement d’un délai de trois mois pour réexaminer le dossier. « L’État membre concerné, en l’occurrence la Suède, doit tenir compte de l’avis détaillé », a déclaré Johanna Bernsel, porte-parole du département du marché intérieur de la Commission européenne.

La fin du Systembolaget ?

De son côté, le gouvernement suédois a affirmé dans sa communication à la Commission européenne que la Suède ne souhaitait pas introduire un nouveau canal de vente et qu’il s’agissait simplement d’une vente à petite échelle.

Les changements proposés visent principalement à aider les producteurs locaux qui, selon la législation suédoise actuelle, ne sont pas autorisés à vendre directement aux consommateurs. Les exploitations locales, souvent trop petites pour une distribution nationale, doivent dépendre du magasin Systembolaget le plus proche pour écouler leurs stocks. Ils bénéficieraient également de taxes plus faibles sur les ventes d’alcool, pouvant être réduites de moitié pour les plus petites productions.

Le Premier ministre Ulf Kristersson, qui défend ces réformes depuis 2023, s’est attardé sur l’importance de cette mesure lors d’une récente conférence de presse. « Il s’agit d’une réforme de la liberté. La Suède ressemblera un peu plus au reste de l’Europe, où il est possible de faire du tourisme et à la fois du shopping », a‑t-il déclaré.

La situation juridique reste cependant complexe et incertaine et « il y a un risque que la proposition du gouvernement soit jugée incompatible avec le droit de l’UE », écrit le Conseil législatif suédois dans un communiqué publié le 10 octobre dernier.

Interrogé par Newsendip, Ponthus Jessmor, secrétaire politique pour les questions d’alcool et de drogues auprès de l’association IOGT-NTO en Suède, explique que ces complexités trouvent leur origine dans le droit européen. « Nous constatons que les arguments du gouvernement suédois reposent sur des arguments faibles et mal étayés et qu’ils ont ainsi fait un travail de mauvaise qualité », précise-t-il.

La proposition du gouvernement suédois affirme que les ventes d’alcool directes à petite échelle ne constituent pas des « ventes au détail habituelles » et n’auraient donc pas d’impact sur le monopole de Systembolaget.

Des intérêts sanitaires et économiques

Si l’objection du Portugal envers la réforme est motivée par des considérations économiques – en particulier les opportunités limitées pour les producteurs étrangers – elle trouve également un écho auprès d’acteurs de la société civile qui souhaitent préserver le monopole du Systembolaget. Ils soutiennent que le maintien d’un traitement équitable pour tous les producteurs est essentiel pour le Systembolaget et donc la préservation de la santé publique.

« L’introduction des ventes agricoles, conformément aux modifications proposées à la loi sur l’alcool, abolirait de fait le monopole de Systembolaget sur la vente au détail. La proposition, si elle est adoptée, modifierait donc fondamentalement la politique suédoise en matière d’alcool, ce qui aurait probablement des conséquences négatives sur la santé publique, ajoute Ponthus Jessmor. On estime que la dissolution du monopole suédois de l’alcool entraînera une augmentation de la consommation d’alcool en Suède de plus de 30% et une augmentation des décès liés à l’alcool de 1 000 personnes par an. »

« L’un des aspects clés du système de monopole est qu’il supprime tout intérêt pour le profit provenant de la vente d’alcool et donne la priorité à la protection de la santé publique. De même, en raison du manque d’intérêt pour la recherche de profits, les incitations en magasin telles que les ventes promotionnelles et les campagnes publicitaires sont actuellement inexistantes », conclut le représentant de l’IOGT-NTO qui milite pour prévenir des dangers liés à l’alcool.

« Nous avons beaucoup de lobbies car il y a beaucoup d’argent à se faire dans l’industrie de l’alcool, cela concerne en particulier les fabricants de spiritueux », a déclaré Robert Adrell, vendeur et président du syndicat de représentants du personnel du Systembolaget, interrogé par le média suédois Accent Magasin.

En 2020, l’IOGT-NTO avait dénoncé les efforts d’ingérence politique du géant de la vodka Absolut, filiale du groupe français Pernod-Ricard, qui venait alors de créer un « nouveau groupe de pression » pour, selon les informations de l’association, s’immiscer dans l’élaboration de la politique suédoise en matière d’alcool.

Julie Carballo

Julie Carballo est correspondante pour Newsendip.

Auparavant, elle a notamment travaillé pour Le Figaro et au bureau de Rome pour l'AFP.