Dark
Light

Un téléphone portable sur 4 au Brésil est vendu illégalement 

4 minutes de lecture
2 avril 2024

Quatre milliards de réaux échapperaient à la fiscalité brésilienne chaque année dû à un manque de surveillance autour de ces produits de contrebande.

Deux smartphones Android.
Les téléphones mobiles légaux représentaient 25 % du marché brésilien fin décembre 2023. | © Rami Al-zayat

Le volume de téléphones portables vendus illégalement au Brésil a plus que doublé en un an seulement, affirme l’association des fabricants de produits électroniques du pays (Abinee), d’après une enquête réalisée par la société d’études de marché IDC.

Selon les données publiées mardi dernier, le nombre d’appareils illégaux est passé de 10 % du marché total de la téléphonie mobile au Brésil en 2022 à 25 % au dernier trimestre 2023, clôturant l’année avec un total de 6.2 millions de téléphones vendus illégalement.

Abinee estime que 90 % du total des smartphones introduits clandestinement au Brésil sont vendus 38 % moins cher que les prix pratiqués sur le marché officiel. Le Xiaomi Redmi Note 12 serait le roi de ce marché noir, vendu jusqu’à deux fois moins cher que son prix de marché via des canaux illégaux.

750 millions d’euros échappent au fisc

Par conséquent, 4 milliards de réaux (un peu moins de 750 millions d’euros) échapperaient à la fiscalité brésilienne chaque année. « Le modèle brésilien facilite la vente de produits illégaux : il permet à certains revendeurs de se soustraire aux vérifications », a déclaré Humberto Barbato, président de l’Abinee, lors d’une conférence de presse mardi dernier.

Mercado Livre, le plus important site e‑commerce d’Amérique latine, a déclaré qu’il agissait « de manière proactive » pour empêcher les tentatives d’utilisation abusive de sa plateforme, comme rapporté par le quotidien Globo.

« Dès qu’un produit irrégulier est identifié sur la plateforme, l’annonce est supprimée et le vendeur est averti, et peut même être définitivement banni », a indiqué l’entreprise dans un communiqué, rappelant qu’elle collabore régulièrement avec Anatel, l’agence nationale brésilienne des télécommunications, pour lutter contre la commercialisation de marchandises irrégulières.

Amazon a quant à lui déclaré qu’il exige contractuellement que tous les produits proposés sur le site disposent des licences, autorisations, certifications et approbations nécessaires, ainsi que des déclarations attestant qu’ils sont conformes aux lois en application.

« Tout manquement à ces obligations contractuelles pourra entraîner la suspension et l’interruption des ventes, la destruction conséquente de tout stock existant dans les centres de distribution Amazon sans droit à remboursement, ainsi que le blocage des comptes des vendeurs », a déclaré la société.

Un matériel illégal principalement produit en Chine

« Les contrôles frontaliers ne sont pas suffisants pour enrayer ce phénomène de contrebande qui s’aggrave d’année en année », a déploré Humberto Barbato. « Le consommateur est le plus grand perdant car il fait face à des risques de sécurité et se retrouve sans assistance technique : nos autorités doivent prendre des mesures plus drastiques », a‑t-il précisé.

Abinee a également tenu à rappeler aux consommateurs que ces appareils importés illégalement ne sont pas certifiés par l’Agence nationale des télécommunications (Anatel) et donc, pas soumis à des tests de sécurité ou de fonctionnement. Il est de ce fait, impossible de définir la part des produits de contrefaçon dans ces mises en marché illégales.

Et même si les opérations de la police militaire sont régulières dans le pays, ce marché noir n’a jamais cessé d’être approvisionné. L’opération permettant à ces produits d’arriver au Brésil est complexe et les contrebandiers modifient régulièrement leurs itinéraires.

Selon le Forum national contre la piraterie et l’illégalité (FNCP), le matériel illégal et les contrefaçons sont principalement produits en Chine. De là, pour contourner les contrôles, ils sont souvent envoyés vers d’autres destinations d’Amérique du Sud, principalement au Paraguay, en Bolivie, en Guyane, en Guyane française ou au Suriname, avant d’entrer dans le pays.

Les produits en provenance de Guyane, Guyane française et du Suriname entrent au Brésil par les rivières du Nord et débarquent généralement au port de Belém, dans le Pará. Les marchandises qui atterrissent en Bolivie ou au Paraguay arrivent par la route.

Une activité semblable au trafic de drogue

« L’exportation de contrefaçons et l’offre mondiale de produits illégaux sont comparables au trafic de drogue. Il s’agit d’une activité extrêmement rentable, dans laquelle les gangs internationaux gagnent beaucoup d’argent », expliquait Richard Fernando Amoedo Neubarth, délégué des douanes du Service fédéral du Brésil dans le port de Santos, au micro de CNN en 2021.

« Ici, au port de Santos, nous disposons de 15 scanners, nous recevons les images en temps réel. Depuis le centre d’exploitation du port, nos analystes d’image peuvent identifier les marchandises de contrefaçon », précise Neubarth.

A São Paulo, 15 000 tonnes de marchandises transitent par le port de Santos chaque année : l’agence des douanes y inspecte plus de 800 000 conteneurs par an. Compte tenu de la quantité de marchandises, les autorités brésiliennes utilisent un système informatique pour identifier les navires qui présentent un risque élevé de contenir des produits illégaux, mais elles ne peuvent inspecter qu’une fraction des conteneurs d’expédition.

En conséquence, le port est devenu une plaque tournante de la contrebande, et ces réseaux emploient toute une série de tactiques différentes pour faire entrer leurs marchandises en douce dans le pays.

Selon une enquête réalisée par le média brésilien Folha, les contrebandiers ne se contentent pas de remplir des conteneurs de produits de contrebande en espérant qu’ils passent inaperçus, ils remplacent également des produits de grande valeur par des produits de faible valeur dans le port. Ils déchargent rapidement des conteneurs de produits électroniques à leur arrivée pour les remplacer par des balles de ping-pong par exemple. Lorsque les autorités douanières inspectent la cargaison, les produits électroniques ont disparu depuis longtemps.

Les conséquences des produits illégalement importés sur l’économie du pays sont graves et la législation rend également parfois difficile la lutte contre la contrefaçon. Dans de nombreux cas, la marque biaisée doit présenter un constat d’inauthenticité ou demander au tribunal de saisir la marchandise illégale interceptée par les autorités. Si ce n’est pas fait, la marchandise suit son chemin et sera mise sur le marché.

Julie Carballo

Julie Carballo est correspondante pour Newsendip.

Auparavant, elle a notamment travaillé pour Le Figaro et au bureau de Rome pour l'AFP.