La récente escalade des combats entre les groupes militants au Soudan s’est étendue à la ville d’El-Fasher, la dernière zone de sûreté pour les civils, ajoutant 505 000 personnes aux 9 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays depuis le début du conflit. Selon les organisations de défense des droits de l’Homme, les enfants sont les plus durement touchés par la famine et le manque de soins de santé consécutifs à la récente résurgence de la violence.

Le 15 avril 2023, un conflit dévastateur a éclaté au Soudan, marquant l’intensification d’une lutte de pouvoir entre deux factions militaires rivales, les Forces armées soudanaises, dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de soutien rapide (RSF), un groupe paramilitaire autonome dirigé par le chef Mohammed Hamdan dit « Hemedti ». Depuis avril de cette année, le conflit s’est étendu à El-Fasher, la capitale du Darfour Nord au Soudan.
Alors que les combats s’intensifient, les groupes de défense des droits de l’Homme ont exprimé leur inquiétude sur le fait qu’ils pourraient exacerber les tensions ethniques, alors que de vieilles blessures autour de la violence ethnique et de crimes contre l’humanité sont rouvertes dans le pays.
« L’enfer sur terre »
La ville d’El-Fasher est devenue le dernier épicentre d’un conflit qui dure depuis des décennies au Darfour, car elle est la dernière ville gérée par les forces armées soudanaises. Depuis le 10 mai, le siège imposé par RSF a provoqué une pénurie de nourriture et de médicaments qui menace la vie de centaines de civils si l’aide n’est pas acheminée.
D’anciens chefs politiques de groupes rebelles du Darfour, comme Minni Minnawi, ont rompu des mois de neutralité en rejoignant les Forces armées soudanaises en réponse aux attaques répétées des Forces de sécurité soudanaises. Minnawi a décrit la situation à Al Jazeera, affirmant que les morts de civils sont la preuve que « l’objectif de ceux qui attaquent el-Fasher est d’exterminer la ville ».
En raison du blocus qui empêche les groupes et les convois d’aide internationale d’entrer, les civils du Darfour doivent compter sur des groupes de jeunes qui risquent leur vie pour mettre en place des cliniques médicales et des cuisines pour nourrir la population.
Des représentants des Nations unies ont qualifié la situation à El-Fasher d”« enfer sur terre » et ont averti que des crimes génocidaires pourraient être commis. Mais le conflit lui-même n’est pas le pire aspect de la crise.
Selon l’UNICEF, l’effondrement des soins de santé et de l’aide internationale, conjugué à une grave malnutrition et à la plus grande crise de déplacement d’enfants au monde (4 millions), risque de tuer bien plus d’enfants que les combats.
Les enfants sont des « cibles faciles »
Les Nations unies ont indiqué en mars que 3,7 millions d’enfants souffrent de malnutrition aiguë et que plus de 730 000 souffrent de malnutrition aiguë sévère (MAS), la forme de malnutrition la plus mortelle qui nécessite un traitement spécialisé et ininterrompu pour sauver des vies.
Le manque d’espaces sûrs pour les enfants devient de plus en plus urgent. Depuis le début des combats l’année dernière, non seulement les civils sont pris entre deux feux, mais les militants prennent délibérément pour cible les camps de déplacés et les centres médicaux.
L’organisation médicale humanitaire Médecins sans frontières (MSF) a rapporté le 28 mai que l’hôpital sud d’El Fasher avait traité 979 blessés au cours des deux semaines précédentes et avait enregistré 134 décès. L’hôpital a été touché par des tirs de mortier et des bombardements le 25 mai, conséquence directe de l’assaut intensifié des forces de sécurité sur la ville, qui a débuté le 10 mai.
La situation est également critique dans le camp de déplacés d’Abu Shouk, qui abrite des victimes du conflit du Darfour des années 2000, où les bombardements aveugles et les abus signalés de la part des forces de sécurité ont poussé environ 60 % des résidents à fuir le camp. Le 23 mai, le camp a été envahi par les forces de sécurité, ce qui a donné lieu à des meurtres, des pillages, des arrestations et des incendies généralisés.
« Nous voyons un bain de sang se dérouler sous nos yeux à El Fasher », déclare Claire Nicolet, responsable de programme MSF pour le Soudan.
Dans ce contexte humanitaire dégradé, les enfants sont de plus en plus vulnérables à l’exploitation et deviennent des « cibles faciles » en tant qu’armes de guerre, a expliqué Siobhán Mullaly, rapporteur spécial des Nations unies.
Le recrutement d’enfants soldats au Darfour, ainsi que l’enlèvement de jeunes filles à des fins d’esclavage sexuel, ont fortement augmenté depuis la flambée de violence de l’année dernière. En raison du manque d’accès à l’aide humanitaire, les enfants pourraient rejoindre les groupes armés pour survivre, a‑t-elle ajouté.
Un conflit multidimensionnel
Plus d’un an de combats depuis avril 2023 ont tué plus de 15 500 personnes, selon les données ACLED (Armed Conflict Location & Events Data) en date du mois d’avril.
Un accord de cessez-le-feu a été rompu après que les dirigeants du Darfour se sont trop rapprochés de l’armée. Les luttes de pouvoir qui ont suivi l’éviction de l’ancien président Omar al-Bashir et la concurrence entre les forces armées soudanaises et les forces de sécurité soudanaises ont réduit à peau de chagrin les espoirs d’une transition démocratique avec une dimension interethnique, en particulier à cause de la communauté Masalit, un groupe ethnique non arabe, prise pour cible par les forces arabes.
Le conflit, qui a éclaté en 2003, a connu une nouvelle escalade en 2023, les violences ethniques à l’encontre des Masalit.
Les combats en cours ont placé le Soudan sur la liste de surveillance d’urgence de l’International Rescue Committee, car la détérioration de la crise humanitaire a entraîné le déplacement de 5,9 millions de personnes à l’intérieur du pays depuis avril 2023, qui viennent s’ajouter aux 9,6 millions de personnes déjà déplacées. Plus de la moitié de la population du Soudan, soit environ 24,8 millions de personnes, a désormais besoin d’une aide humanitaire.
Chaque jour, environ 1 000 nouveaux réfugiés traversent la frontière pour se réfugier au Tchad, qui compte désormais plus de réfugiés que tout autre pays d’Afrique, dont 600 000 Soudanais, bien qu’il soit l’un des cinq pays les plus pauvres du monde.