Au Portugal, le Président a relancé le débat sur les réparations de la colonisation

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8 mai 2024

Le président portugais a déclaré que des réparations étaient nécessaires en raison des crimes commis par son pays pendant la traite transatlantique des esclaves et l’ère coloniale, relançant un débat qui prend de l’ampleur parmi les anciens pays colonisés. L’extrême droite dit envisager une action pénale contre le président pour « trahison à la patrie ».

Marcelo Rebelo de Sousa, Président du Portugal
Marcelo Rebelo de Sousa, Président du Portugal | © Présidence de la République portugaise

« Nous devons payer le prix » de notre passé colonial, déclarait Marcelo Rebelo de Sousa, Président du Portugal, le 23 avril dernier, précisant que le pays devrait chercher des moyens de réparer les crimes commis pendant la traite transatlantique des esclaves et l’ère coloniale. M. Rebelo de Sousa avait alors ajouté que le Portugal pourrait utiliser plusieurs méthodes pour payer les réparations, telles que l’annulation de la dette des anciennes colonies et l’octroi d’un financement.

Quelques jours après les déclarations publiques du Président, le gouvernement informait via un communiqué publié le 27 avril qu’aucun processus de réparation pour les crimes commis pendant l’esclavage transatlantique et l’ère coloniale n’avait été engagé.

Le Conseil des ministres a expliqué vouloir « approfondir les relations mutuelles, le respect de la vérité historique et une coopération de plus en plus intense et étroite, fondée sur la réconciliation de peuples frères ». Il a toutefois ajouté qu’il n’avait « pas de processus ou de programme d’actions spécifiques » pour le paiement des réparations, notant que cette ligne de conduite avait été suivie par les gouvernements précédents.

Il a également qualifié les relations avec les anciennes colonies de « vraiment excellentes », citant notamment la coopération dans des domaines tels que l’éducation, la culture et la santé, en plus de la coopération financière, budgétaire et économique.

« Les réparations sont en cours »

Le chef d’État portugais a néanmoins réitéré ses propos lors d’une visite au Cap-Vert pour les commémorations du 50ème anniversaire de la libération du camp de concentration de Tarrafal, le 1er mai dernier. Interrogé par plusieurs médias dont RFI, Marcelo Rebelo de Sousa a souligné que les réparations accordées aux anciennes colonies doivent être le fruit de la coopération entre le Portugal et ses dernières.

« Les institutions internationales viennent de lancer un appel pour que le Nord soutienne le Sud. Pour le Portugal, il n’y avait aucun doute sur le fait de donner la priorité aux États lusophones, qui ont obtenu leur indépendance après avoir été des colonies, a‑t-il expliqué, les réparations sont en cours, mais elles continueront d’être effectuées. C’est un processus, il se développe. »

De retour au pays après avoir participé aux célébrations portugaises du 50e anniversaire de la révolution du 25 avril 1974, qui a apporté la liberté au Portugal et à ses anciennes colonies, le chef d’État de Sao Tomé, Carlos Vila Nova, a reconnu que les actes de maltraitance et de violence de la colonisation n’ont pas été résolus. « Il y a eu des colonisateurs et des pays colonisés. Dans notre cas, le Portugal a colonisé cinq pays d’Afrique et cette colonisation fait maintenant partie de notre histoire. La décolonisation a peut-être été résolue, mais les actes de maltraitance, de violence et autres qui ont eu lieu ne l’ont pas été », a‑t-il déclaré.

Une action pénale pour « trahison à la patrie »

Au Portugal, les propos du Président Rebelo de Sousa, issu du parti socialiste, ont suscité de vives critiques de la part des partis de droite, notamment de la Chega, parti d’extrême droite.

Le président de la Chega, André Ventura, a accusé Marcelo Rebelo de Sousa d”  »ouvrir la boîte de Pandore » avec la question des réparations coloniales. « Il faut savoir que le Portugal est allé aux quatre coins du monde (…) Je ne sais pas pourquoi nous ne faisons pas une liste des barrages, des universités, des routes et des musées que nous avons construits dans ces pays pour qu’ils puissent nous les rendre », a déclaré M. Ventura dans une interview accordée à CNN Portugal.

Le dirigeant de la Chega a également déclaré que le parti discutait de la possibilité d’intenter une action pénale sans précédent contre le président de la République pour « trahison à la patrie », sur la base de l’article 130 de la Constitution. Le groupe parlementaire du parti se réunira avec des experts et prendra une décision cette semaine.

André Ventura estime que les propos du Président le placent en première position sur le podium des « pires présidents » de l’histoire du pays. Le député a également révélé avoir reçu « des dizaines de lettres et de messages » d’anciens combattants et de rapatriés qui « n’ont pas reçu un centime et ont tout perdu » et qui se demandent comment « on peut laisser passer les paroles du Président ».

En mars dernier, le président portugais Marcelo Rebelo de Sousa a invité Luís Montenegro, chef de file de la coalition de centre-droit Alliance démocratique à former un gouvernement après avoir remporté des élections serrées. L’Alliance démocratique a obtenu 80 sièges sur les 230 que compte le parlement, sans parvenir à obtenir une majorité gouvernementale. La coalition de centre-droit a été suivie de près par le parti socialiste, avec 78 sièges, et le parti d’extrême droite Chega, avec 50 sièges.

Le Président portugais fait référence aux crimes de la période coloniale, au cours de laquelle le pays possédait le Brésil, de grandes parties de l’Afrique côtière comprenant l’Angola, la Guinée, le Mozambique, le Cap-Vert et Sao Tomé-et-Principe, ainsi que des parties du continent asiatique comme certaines zones de l’Inde ou encore le Timor Oriental.

Si le Brésil a proclamé son indépendance en 1822, il faudra attendre le 25 avril 1974, quelques mois après la révolution des œillets du Portugal, qui a renversé la plus longue dictature fasciste d’Europe et instauré la démocratie, pour voir se dessiner la décolonisation des pays africains et la fin de l’empire en Afrique.

Du XVe au XIXe siècle, 6 millions d’Africains originaires de colonies portugaises ont été enlevés et transportés de force à travers l’Atlantique par des navires portugais et vendus comme esclaves, sur le continent américain, notamment au Brésil.

Un fonds mondial de réparation

Ces déclarations interviennent dans un contexte où les organisations de la société civile réclament de plus en plus que d’anciennes puissances coloniales dédommageant les pays qu’ils ont occupés.

En octobre dernier, dans un discours prononcé lors d’un banquet organisé en son honneur au Kenya, le roi Charles III a évoqué les « actes de violence odieux et injustifiables » commis par la Grande-Bretagne à l’encontre des Kényans au cours de leur lutte pour l’indépendance, mais il s’est abstenu de présenter des excuses, bien que des groupes de défense des droits de l’homme l’aient exigé peu de temps avant sa visite.

Alors que le président du Kenya, William Ruto, a salué le « courage exemplaire » du roi, qui a su reconnaître des « vérités gênantes », il a ajouté que « beaucoup reste à faire pour obtenir des réparations complètes ». La Commission kényane des droits de l’homme (KHRC) avait exhorté le roi Charles à présenter des « excuses publiques sans équivoque », quelques jours avant sa visite.

Des dirigeants africains sont à la tête d’un mouvement mondial de plus en plus important qui réclame des réparations pour la traite des esclaves et les injustices commises à l’époque coloniale. « Il est temps que l’Afrique, dont les fils et les filles ont vu leurs libertés contrôlées et ont été vendus comme esclaves, reçoive également des réparations », a déclaré le président du Ghana, Nana Addo Akufo-Addo, lors d’une conférence sur les réparations qui s’est tenue à Accra, en novembre dernier.

A la suite de la conférence, l’Union africaine (UA) et la Communauté des Caraïbes (CARICOM), qui compte 20 membres, se sont associés pour former ce que Monique Nsanzabaganwa, vice-présidente de la Commission de l’UA, a appelé « un front uni » afin d’assurer la création d’un fonds mondial de réparation.

Mme Nsanzabaganwa a souligné que « la demande de réparations n’est pas une tentative de réécrire l’histoire ou de poursuivre le cycle de la victimisation. Il s’agit d’un appel à reconnaître la vérité indéniable et à réparer les torts qui sont restés impunis pendant bien trop longtemps et qui continuent de prospérer aujourd’hui. »

Les modalités de fonctionnement du fonds mondial n’ont, à ce jour, pas encore été définies.

Julie Carballo

Julie Carballo est correspondante pour Newsendip.

Auparavant, elle a notamment travaillé pour Le Figaro et au bureau de Rome pour l'AFP.