Le roi de Malaisie s’est dit préoccupé par les débats actuels sur l’utilisation du mot « Allah » qui, selon lui, pourraient nuire à l’unité nationale s’ils n’étaient pas résolus rapidement.
Dans un discours prononcé le 5 juin, à la veille de la célébration de son anniversaire, le sultan et roi Abdullah Shah a appelé à la prudence pour ne pas faire des questions religieuses une source de controverse et de différends politiques.
« Je souhaite rappeler que toute polémique liée à la religion peut finir par allumer la flamme de l’hostilité entre les populations si elle n’est pas traitée immédiatement », a déclaré le roi.
« La polémique sur l’utilisation du mot “Allah” n’est pas un débat terminologique ou linguistique. […] Il s’agit de la foi des musulmans et toute confusion entraînera des calamités », a‑t-il ajouté selon The Star, un journal malaisien anglophone.
Cette déclaration fait suite au débat sur l’utilisation du mot « Allah » pour les non-musulmans et à un arrêt historique de la Haute Cour autorisant les non-musulmans à utiliser ce mot dans le contexte de leur religion.
En Malaisie, la Constitution fédérale stipule que l’islam est la religion officielle de la Fédération constituée de treize États et trois territoires fédéraux. La constitution stipule également que les autres religions peuvent être pratiquées en paix et en harmonie dans n’importe quelle partie de la Fédération.
Des CD utilisant le mot « Allah » dans un contexte chrétien saisis en 2008
En 1986, une directive du ministère de l’intérieur avait interdit l’utilisation des mots « Allah », « Baitullah » (Maison de Dieu), « Kaabah » (le site le plus sacré de l’islam) et « Solat » (le rituel de la prière, les termes ayant des orthographes différentes en français) par les non-musulmans. À l’époque, le gouvernement avait justifié cette décision par la nécessité d’éviter toute confusion au sein des communautés musulmanes et chrétiennes et pour préserver l’ordre public.
Mais en 2021, dans une affaire qui a débuté il y a quinze ans, la Haute Cour de Kuala Lumpur a jugé que les non-musulmans pouvaient utiliser ces mots. La Cour n’a examiné que la législation et s’est abstenue de débattre des questions théologiques.
En 2008, Jill Ireland, une chrétienne issue d’une tribu autochtone du Sarawak, le seul État de Malaisie à majorité chrétienne, a vu les douaniers de l’aéroport de Kuala Lumpur saisir huit CD apportés de l’Indonésie voisine – le bahasa malais et le bahasa indonesia sont des langues très proches – avec un objectif éducatif sur la chrétienté parce qu’ils utilisaient les mots « Allah » dans un contexte religieux chrétien.
Mais Mme Ireland est allée devant le tribunal pour faire valoir que ses droits constitutionnels n’étaient pas respectés.
La communauté chrétienne de Sabah et de Sarawak, deux États situés sur l’île de Bornéo, utilise le mot « Allah » pour le mot « Dieu » depuis des générations dans la pratique de leur religion. Les premières preuves historiques remontent à 1629.
La Haute Cour a ordonné au ministère de l’intérieur de restituer les CD en 2014.
En 2021, la juge Nor Bee Binti Ariffin a conclu que le gouvernement, avec la manière dont l’interdiction était rédigée, n’imposait pas une interdiction totale des quatre mots. De plus, l’utilisation de ces mots n’a pas causé de problèmes entraînant des troubles à l’ordre public, selon le jugement de la Cour.
Elle a également ajouté que l’interdiction de ces mots dans les publications chrétiennes est « si scandaleuse dans son mépris de la logique qu’aucune personne sensée n’aurait pu arriver à la décision » que le ministre en fonction au moment de la confiscation des CD avait prise.
Deux jours après la décision confirmant le droit constitutionnel de Mme Ireland à pratiquer sa religion, le gouvernement malaisien a déposé un appel qui devait être examiné en mai dernier.
Clarification des règles pour l’utilisation du mot « Allah »
Mais le ministère de l’intérieur a finalement annoncé qu’il renonçait à contester la décision.
Si ce rebondissement marque très probablement la fin d’un feuilleton judiciaire long de 15 ans, les critiques du gouvernement ont estimé que cela compromettait la position de l’islam dans le pays.
Le chef de l’opposition, Hamzah Zainudin, s’est dit « choqué et déçu » par la décision du gouvernement de retirer l’appel sans aller jusqu’au bout de toutes les procédures judiciaires à leur disposition. Lorsque le gouvernement de coalition de droite a fait appel en 2021, M. Hamzah était alors ministre de l’intérieur.
Il a souligné que le comité des fatwas du Conseil national des affaires religieuses islamiques (MKI) avait décidé en 2018 que le mot « Allah » était un mot sacré qui ne pouvait pas être utilisé avec d’autres religions.
Dans la décision de la plus haute juridiction du pays, la juge a montré que les États de Sarawak et de Sabah se sont vu garantir la liberté de religion avant de rejoindre la Malaisie en 1963.
Le roi a déclaré que toutes les parties devaient adopter une approche responsable et ordonnée et s’imprégner d’un grand esprit de tolérance lorsqu’elles traitent de cette question sensible.
Pour Al-Sultan Abdullah, le gouvernement doit harmoniser la situation actuelle et veiller à ce que le mot « Allah » soit utilisé dans le bon contexte, en tenant compte de la sécurité nationale et du bien-être de la communauté musulmane, alors que, dans le même temps, « les autres religions puissent toujours être pratiquées dans la paix et l’harmonie ».
Le Premier ministre Datuk Seri Anwar Ibrahim a déclaré que son cabinet proposerait des changements pour supprimer des inconsistances afin qu’il soit clair que le mot « Allah » ne peut pas être utilisé par les non-musulmans dans la péninsule et qu’il sera autorisé sous certaines conditions dans le Sabah et le Sarawak.