Dark
Light

Un Néerlandais sur deux d’origine chinoise se sent victime de discrimination

4 minutes de lecture
25 mars 2024

Une étude menée par des universités hollandaises démontre que plus d’une personne sur trois originaire d’Asie du Sud-Est se dit victime de discrimination aux Pays-Bas. C’est la première étude de cette ampleur dans le pays.

Vue sur les rues du quartier chinois d'Amsterdam.
Le « quartier chinois » d’Amsterdam est composé d’entreprises et de résidents de nombreuses cultures asiatiques différentes telles que la Thaïlande, la Malaisie et l’Indonésie ainsi que la Chine | © Helanhuaren

« Rouleau de printemps » ou encore « Ching Chang Chong » seraient des mots régulièrement lancés aux Néerlandais d’origine asiatique.

En effet, plus d’une personne sur trois (36%) originaire d’Asie du Sud-Est déclare avoir récemment été victime de discrimination aux Pays-Bas, selon une étude commandée par le ministère des Affaires sociales et dirigée par l’Université d’Amsterdam et l’Université des Sciences Appliquées de Fontys.

Les chercheurs ont examiné l’ampleur, la nature et l’étendue de la discrimination perçue à l’encontre des Néerlandais issus de l’immigration d’Asie du Sud-Est : les personnes d’origine chinoise (81 735 aux Pays-Bas), d’origine indonésienne (352 266) et d’autres origines originaires d’Asie du Sud-Est (130 279).

Une situation amplifiée par la crise du Covid-19

Parmi les 2 505 Néerlandais originaires du sud-est de l’Asie interrogés, ce sont les personnes d’origine chinoise qui subiraient le plus souvent des comportements discriminants : plus de la moitié d’entre elles ont déclaré en avoir récemment été victimes.

La proportion est plus faible chez les personnes issus de l’immigration indonésienne (une sur six, soit 16 %), une ancienne colonie des Pays-Bas.

Les motifs de discrimination les plus fréquemment mentionnés par les personnes interrogées au cours des 12 mois précédant cette étude étaient « l’origine » (75 %) et la « couleur de peau » (43 %). En particulier, les personnes que d’autres pensent être d’origine chinoise (même s’il y a ici souvent une méconnaissance : dans de nombreux cas, ces personnes n’ont aucune origine chinoise) subissent des moqueries ou des insultes dans la rue. Parmi les mots fréquemment employés, on retrouve souvent : « ni hao », « rouleaux de printemps », ou encore « ching chang chong ».

De nombreux participants à l’étude ont déclaré qu’ils se sentaient davantage discriminés depuis la crise du Covid-19, comme si on « leur reprochait la pandémie ». Un certain nombre d’entre eux se sentaient, en revanche, moins discriminés car ils estimaient qu’il y avait moins de possibilités d’être discriminés (principalement parce qu’il y avait moins de contacts entre les gens pendant les confinements).

C’est la première fois qu’une recherche approfondie est menée sur l’expérience de la discrimination au sein de cette communauté aux Pays-Bas. Les études antérieures se sont souvent concentrées sur la discrimination à l’égard des personnes d’origine marocaine, turque ou surinamaise, précise le chercheur en sociologie de l’Université d’Amsterdam Allard Feddes.

« Une minorité modèle »

« Comme on sait actuellement peu de choses sur la discrimination perçue à l’encontre des Néerlandais originaires d’Asie du Sud-Est, on sait peu de choses sur les causes et les conséquences de ce phénomène, explique le chercheur Yong-Qi Cong de l’Université d’Amsterdam. Nos recherches montrent que les personnes qui subissent beaucoup de discrimination se sentent en moins bonne santé mentale et physique. »

La chercheuse Iris Andriessen de l’Université des Sciences Appliquées de Fontys précise que : « Les personnes d’origine asiatique sont souvent considérées comme une “minorité modèle”, l’idée commune étant que ces personnes se portent bien et prospèrent aux Pays-Bas. Les recherches actuelles offrent donc des raisons d’ajuster cette image de ‘minorité modèle’, notamment lorsqu’il s’agit de l’idée qu’elles ne sont pas victimes de discrimination. »

La discrimination ne se limite pas aux propos offensants. Certains se sentent également désavantagés, par exemple dans la recherche d’un emploi ou d’un logement.

Des résultats qui, selon la ministre des Affaires sociales Karien van Gennip, ne sont « malheureusement pas une surprise » pour les Néerlandais d’origine asiatique. « L’ampleur de cette discrimination est désormais visible pour tous. Elle apporte une reconnaissance, mais elle nous donne surtout une tâche en tant que société. »

À la suite de ces résultats, la plateforme de connaissances pour une société inclusive organisera des réunions dans les municipalités hollandaises pour « sensibiliser les populations locales ». En outre, le coordinateur national contre le racisme et la discrimination examinera comment les résultats « peuvent conduire à un renforcement » du prochain programme national contre ces problèmes.

Des conclusions similaires en France et aux États-Unis

Une étude similaire menée par le CNRS et soutenue par le Défenseur des droits rapporte que les personnes d’origine asiatique vivant sur le territoire français font face à un racisme « banalisé » et rarement dénoncé.

Cette étude qualitative réalisée sur 32 personnes conclut qu’il existe des spécificités propres aux expériences de racisme anti-Asiatiques, comme la « banalisation » et « le caractère ordinaire » de leurs manifestations, souvent exprimées « sous la forme de l’humour », a résumé l’une des co-auteures de l’étude, Simeng Wang, directrice de recherche au CNRS, interrogée par France Inter.

Simeng Wang cite, elle aussi, le terme de « minorité modèle » qu’elle juge responsable du manque de réaction face au racisme anti-asiatique. « Cette étiquette qui enferme les personnes asiatiques dans des stéréotypes positifs les poussent à minimiser ces discriminations », précise-t-elle.

L’étude montre également que la pandémie de Covid-19 a accéléré une prise de conscience de ces discriminations. Simeng Wang parle de « catalyseur dans la prise de conscience », individuelle ou collective, des discriminations, chez les jeunes enquêtés.

Les situations sont également perçues différemment selon l’origine des personnes interrogées. Ainsi, celles d’origine japonaise se mettent davantage « à distance du racisme anti-Asiatiques, en associant ce dernier aux personnes issues d’autres pays asiatiques ». En revanche, pour celles « descendant de réfugiés politiques de l’Asie du Sud-Est, l’entrecroisement entre l’histoire familiale et l’histoire coloniale les prédispose aux réflexions et débats sur les rapports sociaux de race », selon l’étude.

Même constat côté américain : une étude du Pew Research Center menée en 2023 indique qu’environ six adultes asiatiques sur dix (58 %) déclarent avoir déjà été victimes de discrimination raciale ou traités injustement en raison de leur race ou de leur origine ethnique. Cela inclut 53 % des adultes asiatiques qui déclarent avoir été victimes de discrimination raciale de temps en temps et 5 % qui déclarent en être régulièrement victimes.

Julie Carballo

Julie Carballo est correspondante pour Newsendip.

Auparavant, elle a notamment travaillé pour Le Figaro et au bureau de Rome pour l'AFP.