Les relations tendues entre les deux pays voisins se sont intensifiées cette semaine en raison de différends frontaliers et nationaux.
Une rencontre tendue mardi a marqué un nouveau chapitre dans la querelle persistante entre Haïti et son voisin hispanophone, la République dominicaine. Des Haïtiens armés et des civils dominicains se sont affrontés cette semaine à leur frontière, qui a récemment été fermée par la République dominicaine en raison d’un conflit sur le détournement de la rivière du Massacre (río Dajabón ou río Masacre en espagnol).
Bien qu’aucune victime n’ait été à déplorer, Homero Figueroa, porte-parole du gouvernement dominicain, a déclaré qu’il s’agissait d’une « mauvaise interprétation » des limites de la frontière par les ressortissants haïtiens, qui l’ont franchie et ont bloqué le chemin d’un véhicule militaire dominicain, et a qualifié cet acte de « provocation ».
De son côté, le ministère haïtien des affaires étrangères a affirmé que la République dominicaine avait interprété l’événement comme une incursion et avait réagi en violant le territoire haïtien. Selon Reuters, Jean-Junior Joseph, porte-parole du gouvernement haïtien, a déclaré que les ministres des affaires étrangères des deux pays s’étaient entretenus et avaient convenu que tous les efforts devaient être faits pour calmer la situation. « Nous préférons la voie du dialogue et de la consultation », a déclaré M. Joseph.
Le différend frontalier, qui a débuté par la construction d’un canal sur le sol haïtien, a commencé à se tendre lundi, chaque partie accusant l’autre d’avoir pénétré illégalement sur son territoire.
L’incident de mardi s’est produit quelques jours après que le président dominicain Luis Abinader a rencontré le président américain Joe Biden à la Maison Blanche, où ils ont discuté de la situation sécuritaire en Haïti.
Le dernier clash entre les deux pays, qui partagent l’île d’Hispaniola, s’est déroulé à proximité de ce qui est appellé la pyramide 13, près de la ville haïtienne de Ouanaminthe. Il existe 311 pyramides marquant la frontière actuelle entre Haïti et la République dominicaine, chacune étant numérotée et distinguée en territoire dominicain ou haïtien.
La pyramide 13 est également l’endroit où la République dominicaine construit un mur à l’intérieur de son territoire pour empêcher les Haïtiens sans papiers d’entrer. De l’aveu même des autorités dominicaines, ce mur semble avoir rendu la séparation entre la République dominicaine et Haïti confuse.
Désaccord sur un traité de paix
Ces derniers mois, la République dominicaine a renforcé la sécurité de ses frontières et l’expulsion d’Haïtiens face à l’aggravation de la violence des gangs en Haïti. À la mi-septembre, la République dominicaine a annoncé la fermeture complète de la frontière et le refus de délivrer des visas aux Haïtiens en raison de la construction d’un canal par les Haïtiens qui détournent l’eau de la rivière du Massacre vers leur pays.
Selon les autorités dominicaines, cette action viole un traité de paix signé en 1929 entre Haïti et la République dominicaine.
Selon le Congrès nord-américain sur l’Amérique latine (NACLA), un centre de recherche à but non lucratif, la construction du canal a commencé en 2018 et la République dominicaine a commencé à prendre des mesures pour annuler le projet en 2021.
Il a été arrêté en raison de la pression dominicaine et de l’assassinat du président haïtien en 2021, mais Haïti a relancé le projet en août dernier suite à un mouvement populaire.
Des relations tendues entre Haïti et la République dominicaine
Haïti était toujours en état de crise humanitaire en 2022, selon Human Rights Watch, en raison de l’extrême pauvreté du pays et d’un tremblement de terre en 2021 qui a touché 800 000 personnes. L’accès à l’eau potable est limité à deux tiers de la population. Le rapport de Human Rights Watch indique que 40 % du pays souffre d’insécurité alimentaire et que 22 % des enfants souffrent de malnutrition.
Après la fermeture de la frontière par la République dominicaine en septembre, un expert des Nations unies sur Haïti, William O’Neill, a demandé au pays de reconsidérer sa décision et de rouvrir les négociations, compte tenu des problèmes du pays voisin.
« Des produits essentiels comme la nourriture, l’équipement médical et les fournitures sont importés en Haïti depuis la République dominicaine », a déclaré M. O’Neill. Environ 25 % de la nourriture seraient importée du pays voisin. « Des vies sont en jeu », a‑t-il ajouté.
Haïti souffre également de l’incertitude politique, depuis que son précédent président, Jovenel Moïse, fut assassiné en 2021 et qu’aucun président n’a été élu depuis. Plus de 2 400 personnes ont été tuées en Haïti depuis le début de l’année 2023 dans un contexte de violence généralisée des gangs, y compris des centaines de personnes tuées lors de lynchages par des milices, a déclaré l’ONU vendredi dernier.
Historiquement, Haïti et la République dominicaine entretiennent des relations difficiles. La République dominicaine a obtenu son indépendance à partir de 1844 et s’est caractérisée par le manque de considération de ses dirigeants à l’égard des Haïtiens.
En 1937, l’ancien président de la République dominicaine, Rafael Trujillo, avait ordonné le meurtre d’au moins 14 000 Haïtiens vivant à la frontière nord-ouest lors du « Massacre dupersil ».
En 2013, la plus haute juridiction de la République dominicaine avait décidé que les enfants nés dans le pays de parents haïtiens ne seraient pas considérés comme des citoyens dominicains, ce qui concerne tous ceux nés après 1929, laissant des centaines de milliers de personnes sans citoyenneté.
La République dominicaine avait malgré tout été l’un des premiers pays à aider Haïti après le tremblement de terre dévastateur de 2010.