À la demande de la Roumanie, le gouvernement ukrainien a supprimé la reconnaissance de la « langue moldave », héritage de l’ère soviétique, afin de renforcer les relations entre les deux pays. Mais le président ukrainien a tenu à rappeler qu’il ne faut pas laisser à la Russie la possibilité de s’emparer des problématiques de langue pour diviser.
Le premier ministre roumain, Marcel Ciolacu, et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, se sont rencontrés à deux reprises en moins de dix jours. Le 10 octobre, le président Zelensky s’est déplacé à Bucarest pour rendre visite au premier ministre Ciolacu.
Les responsables politiques de deux anciens pays de l’Union soviétique ont discuté de l’aide aux réfugiés, de la mise en place d’un corridor pour les exportations de céréales ukrainiennes, et de défense dans le contexte de l’invasion russe de l’Ukraine. Ils ont décidé d’élever leurs relations au niveau du partenariat stratégique, convenant que la Russie constituait la principale menace pour la sécurité de l’Union européenne et de la région de la mer Noire.
« J’ai rencontré le chef du gouvernement roumain, Marcel Ciolacu. Nous avons discuté du soutien à la défense de l’Ukraine et du renforcement de la coopération bilatérale dans le secteur de la défense. L’Ukraine et la Roumanie apportent une contribution essentielle à la sécurité alimentaire mondiale. Il est important que les accords visant à doubler le transit des produits agricoles ukrainiens par le territoire roumain soient mis en œuvre », a écrit Volodymyr Zelensky dans un message sur Telegram.
La Roumanie soutient l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe et a accueilli de nombreux réfugiés ukrainiens, dont environ 80 % étaient des femmes et des enfants. La Roumanie a fourni aux réfugiés ukrainiens une aide humanitaire d’urgence et un soutien à long terme pour favoriser leur intégration sociale et économique.
Mais le Premier ministre roumain a également mentionné l’importance de reconnaître les droits de la minorité roumaine en Ukraine en ce qui concerne leurs droits linguistiques, un héritage de l’ère soviétique qui pouvait tendre les relations entre les deux pays.
Aujourd’hui, la « langue moldave » n’est plus reconnue comme une langue par l’Ukraine et fait désormais uniquement référence au roumain.
La Roumanie voulait que l’Ukraine supprime la reconnaissance de la langue moldave
Au début de la semaine dernière, les deux parties ont souligné l’importance de garantir les droits de la minorité ukrainienne en Roumanie et de la minorité roumaine en Ukraine, selon la présidence ukrainienne.
La Roumanie accueille plus de 130 000 réfugiés ukrainiens, selon les données de juin 2023 de l’UNESCO. Dans le même temps, l’Ukraine compte plus de 150 000 Roumains d’origine. « En plus, de nombreux Roumains, d’origine roumaine, participent à la guerre en Ukraine », affirme Marcel Ciolacu.
Cependant, la législation de l’Ukraine, pays où vivent des minorités roumaine et moldave, reconnaissait l’existence d’une « langue moldave », ce qui a pu provoquer des tensions avec la Roumanie, Bucarest ne reconnaissant pas l’existence de cette langue.
Au sujet des discussions avec son homologue ukrainien, le Premier ministre Ciolacu a ajouté : « La langue moldave ne devrait plus exister, car elle n’a jamais existé. C’est une invention de la Fédération de Russie, surtout pour la Bessarabie, pour les citoyens roumains sur le territoire de la Bessarabie, afin qu’ils ne se s’appellent plus Roumains mais Moldaves ».
Sur X (ex-Twitter), le premier ministre a écrit que son gouvernement « est déterminé à travailler de manière constructive avec nos partenaires [ukrainiens] pour répondre aux attentes légitimes de la minorité roumaine en Ukraine en ce qui concerne la reconnaissance officielle de la langue roumaine et l’accès à l’éducation dans sa langue maternelle ».
Un héritage du temps de l’Union soviétique
La Bessarabie est une région historique qui couvre la majeure partie de l’actuelle Moldavie et certaines zones de l’Ukraine et de la Roumanie.
Après la révolution russe de 1905, un mouvement nationaliste qui s’est développé en Bessarabie a déclaré son indépendance en 1918 et a voté en faveur de l’union avec la Roumanie. Le traité de Paris de 1920 a confirmé cette unification, mais l’Union soviétique n’a jamais reconnu les droits de la Roumanie sur la province. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Roumains ont occupé la Bessarabie, mais l’Union soviétique s’en est emparée en 1944.
La majorité ethnique de la Moldavie partage des nombreux liens aussi bien linguistiques que culturels avec de nombreux Roumains. Mais pendant l’occupation de la Bessarabie, les Soviétiques ont affirmé que les Moldaves et les Roumains étaient différents et avaient deux langues différentes, poussant l’une qui s’écrivait avec l’alphabet cyrillique au lieu de celle avec l’alphabet latin.
La Bessarabie est restée divisée après les déclarations d’indépendance de l’Ukraine et de la Moldavie en 1991.
Mais en Ukraine, dont la langue s’écrit avec une variante de l’alphabet cyrillique, certaines écoles enseignent encore la langue dite moldave, en particulier dans les régions de Tchernivtsi et d’Odessa, des oblasts frontaliers avec la Roumanie et la Moldavie et qui font partie de la Bessarabie.
Mais en 2021, l’Ukraine s’est déclarée ouverte à la suppression de la reconnaissance de la langue moldave à la demande de la Roumanie, qui espérait que cela se produise rapidement.
Pour l’Ukraine, une question non urgente dans un pays en guerre
Dans une interview accordée à la chaîne d’informations roumaine Digi24 lors de son voyage, le président Zelensky n’a pas vu d’inconvénient à ce changement, mais a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une question urgente pour un pays en guerre. « Je suis favorable à la décision de renforcer notre partenariat et de résoudre ces questions. Je suis désolé de ne pas pouvoir toujours penser à ces questions. Pour un pays en guerre, ceci n’est pas un problème », a‑t-il déclaré.
Il a également tenu à rappeler que la langue n’était pas un obstacle à l’unité et à la coopération, en faisant référence aux minorités russophones de son pays, que la Russie a utilisées comme prétexte pour l’envahir : « Nous l’avons vu à maintes reprises, la Russie s’empare de toutes les questions politiques, en particulier lorsqu’il s’agit de la langue. Elle a dit que nous avions un problème avec les russophones du Donbas. Non. Maintenant, ils les ont tués, même s’ils ont dit que le plus gros problème était que les personnes en Ukraine qui parlaient russe n’étaient pas autorisées à parler russe. Toute cette rhétorique, sur la religion, la langue, les minorités, sont des sujets qui, si la Russie les entend, lancent une forte campagne de désinformation. […] Ne donnez pas à la Russie la possibilité de diviser car nous sommes sur la même barricade. »
Le 18 octobre, lorsque M. Ciolacu s’est rendu à Kiev pour rencontrer des responsables dans les domaines de la défense, de l’agriculture, des transports, de l’énergie, des affaires intérieures et de la santé, le communiqué de presse roumain n’a pas manqué de souligner que la visite « avait deux objectifs clairs – la promotion des droits des Roumains en Ukraine et la signature d’importants accords bilatéraux ».
Et le 19 octobre, le gouvernement ukrainien a officiellement supprimé l’existence de la langue moldave.
« Désormais, il n’y a plus qu’une seule langue officielle au niveau international – la langue roumaine. Je pense que cette invention de la Fédération de Russie a été supprimée par la décision du gouvernement ukrainien », a déclaré M. Ciolacu.
En Moldavie, la déclaration d’indépendance de 1991 faisait du roumain la langue officielle du pays, tandis que la constitution de 1994 fait référence à la « langue moldave ». Mais la présidente moldave Maia Sandu a signé en mars une loi établissant le roumain comme langue officielle du pays.
La région séparatiste de Transnistrie, soutenue par la Russie, continue de reconnaître le moldave comme l’une de ses langues officielles.
Contributions de Jennifer Shoemaker