L’arrestation d’une figure du syndicalisme militaire en Serbie dans un contexte de militarisation

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1 mars 2024

Novica Antić, président de l’Union militaire serbe, a été mis en garde à vue pendant 48 heures lors d’une perquisition de sa résidence. L’arrestation de Novica Antić, qui critique ouvertement la direction de l’armée serbe, met en lumière les tensions qui se développent entre les syndicalistes et l’Agence de sécurité militaire, dans un contexte de militarisation accrue du pays.

Défilé militaire des soldats serbes en 2014.
Défilé militaire à Belgrade en 2014 | © Marko Vucicevic

Mardi, la Direction de la police criminelle de Serbie a arrêté et fouillé la maison de Novica Antić, deux semaines après que Miloš Vučević, le ministre de la Défense, a révélé son objectif de dissoudre les syndicats pour les militaires. Il a été libéré hier en même temps que deux autres responsables du syndicat, Predrag Jevtic et Duško Tolmač, niant les accusations de détournement de fonds en attendant leur procès.

Selon le frère de M. Antić, Vaso Antić, le nombre exact de personnes arrêtées n’est pas connu à ce jour, mais il soutient que de nombreux membres du syndicat à travers le pays ont été visés par des perquisitions. Il évoque une « pression classique sur le syndicat militaire », tandis que l’avocat de M. Antić, M. Lunić, affirme qu’il s’agit d’une arrestation politique avec une justification limitée.

Ce n’est pas la première fois qu’Antić fait du bruit, ayant déjà été renvoyé deux fois de l’armée ces dernières années. La semaine dernière, le président du syndicat a déclaré publiquement que la direction actuelle du ministère de la défense avait davantage endommagé l’armée serbe au cours des cinq dernières années que n’importe quelle guerre à laquelle la Serbie avait participé.

L’arrestation de mardi intervient deux semaines après que le ministre de la défense a qualifié les syndicats militaires de « plus grande stupidité du monde » dans une interview accordée à Euronews Serbie et a exprimé son intention de les dissoudre. Selon lui, le rôle de l’armée est de défendre le pays et ne nécessite pas de représentation publique. L’Organisation européenne des associations et syndicats militaires (EUROMIL) a toutefois affirmé que le droit à l’activité syndicale dans les forces armées était un droit constitutionnel en Serbie.

EUROMIL est une organisation d’associations démocratiques de personnel militaire provenant de 20 pays européens. En contact officiel avec l’Union européenne et l’OTAN, elle s’occupe de défendre les conditions de travail et les droits des soldats.

En France, les syndicats sont interdits dans l’armée française par l’article L.4121–4 du code de la défense. Mais en 2014, la Cour européenne a condamné la France, estimant que cette interdiction absolue des syndicats au sein de l’armée française contrevient à l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.

De nos jours, les militaires français ont effectivement le droit de former des associations professionnelles, mais les syndicats leur restent toujours interdits. L’Association de défense des droits des militaires (Adefdromil) ne se présente pas en tant que syndicat, mais existe néanmoins dans le but d’assurer la protection des intérêts des militaires français.

En Allemagne, en Belgique et aux Pays-Bas, les personnels militaires peuvent librement adhérer à n’importe quel syndicat, qu’il s’agisse d’une organisation strictement professionnelle ou affiliée à une centrale civile même si dans leur grande majorité, les militaires allemands adhèrent à une association professionnelle.

Qui est Novica Antić ?

Novica Antić a fondé l’Union militaire de Serbie (VSS) en 2012 avec un groupe de collègues après avoir servi dans l’unité criminelle pour une formation spéciale, puis dans le service de prévention de la criminalité de la police militaire.

Il a reçu de nombreux prix et reconnaissances en Serbie, ainsi que de la part d’organisations publiques et militaires russes, notamment la médaille d’Officiers de russie. Les organisations d’anciens combattants en Russie et la VSS ont signé des accords de coopération officiels en 2018 pour assurer la protection des droits et des intérêts légitimes des anciens combattants.

Mais fin 2018, le président du syndicat a perdu son grade et sa fonction dans l’armée serbe en raison des déclarations publiques qu’il a faites au nom de l’Union militaire, critiquant la gestion du ministère de la Défense. La rétrogradation était justifiée par sa « violation du principe d’impartialité et de neutralité politique. » M. Antić, en réponse, a qualifié cette rétrogradation publique d’acte de « violence et de comportement criminel », et l’a utilisée pour mieux faire connaître les objectifs du VSS.

En 2020, Antić a de nouveau accusé l’armée de politisation et de subordination complète à Aleksandar Vučić, le président de la Serbie. Ses déclarations controversées se sont poursuivies en 2022 lorsqu’il a déclaré que l’armée était confrontée à la plus grande crise de management du personnel de l’histoire.

Bien que le tribunal administratif de Serbie ait déclaré illégale la décision de mettre fin à ses fonctions en février 2023, et que le syndicat de la police l’ait loué en tant que « lanceur d’alerte », Antić a néanmoins fait face à son deuxième licenciement de l’armée en 2023. Avec son arrestation cette semaine, la trajectoire de sa carrière est désormais incertaine.

Droits syndicaux des militaires dans les Balkans

La première confrontation avec le ministère de la Défense a coïncidé avec une prise de conscience régionale sur les conditions des officiers servant dans les armées des Balkans. En octobre 2018, l’EUROMIL avait organisé une table ronde sur le syndicalisme militaire.

Des membres des syndicats militaires serbes, ainsi que des représentants du ministère serbe de la Défense, ont discuté des droits fondamentaux du personnel militaire. Le VSS a dénoncé « une grave violation des droits » et a souligné la réticence des autorités à réagir en conséquence. Les syndicats militaires du Monténégro, de Macédoine et de Hongrie ont également participé à la discussion sur la sauvegarde des droits de l’homme dans l’armée, identifiant des problèmes similaires à ceux de l’armée serbe.

Alors que la Serbie insiste actuellement sur sa neutralité militaire et n’a pas l’intention de rejoindre l’OTAN, l’adhésion à l’UE reste un objectif déclaré pour le pays. L’organisation de telles réunions et les critiques accrues d’Antić soulignent également l’intégration des normes et valeurs euro-atlantiques en matière de démocratisation et de responsabilité. Pour Rajkovcevski Rade, chercheur à la Faculté des études de sécurité de Skopje en Macédoine, estimait dans un article publié dans la bibliothèque universitaire JSTOR que cela montrait un changement important dans la culture militaire du pays.

La militarisation au détriment de la démocratisation

Cependant, l’arrestation d’Antić cette semaine implique que la critique concernant le leadership et la culture militaires ne sont toujours pas facilement tolérées. L’occidentalisation de la Serbie n’est peut-être pas aussi évidente qu’il n’y paraît, car le président serbe maintient également ses relations avec la Russie, refusant d’adhérer aux sanctions de l’UE et continuant à s’appuyer sur l’armement et les services de renseignement russes.

Sur fond d’accusations d’abus de pouvoir et de privation des droits fondamentaux, l’armée serbe connaît une militarisation accrue sous l’administration d’Aleksandar Vučić.

Malgré une importante opposition publique, le président Vučić a tenté de rétablir le service militaire obligatoire en 2022. Même des personnalités de droite comme Antić ont perçu cette démarche comme un « effort de bas niveau » pour aborder des problèmes du pays sous un angle nationaliste. Les organisations non gouvernementales ont critiqué cette politique, la qualifiant de régressive liée à des valeurs patriarcales et militaristes.

Le 14 janvier, le président a également annoncé une augmentation des dépenses militaires alors que la Serbie poursuit son bras de fer avec le Kosovo, refusant de reconnaître le pays après sa déclaration unilatérale d’indépendance en 2008. Selon les données de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires serbes ont connu une hausse significative, passant de 710 millions de dollars en 2016 à 1,4 milliard de dollars en 2022.

Ces changements dans les dépenses de défense coïncident avec un effacement des valeurs démocratiques dans le pays. Freedom House, une organisation à but non lucratif axée sur la défense de la démocratie, a indiqué que la Serbie avait connu le plus grand déclin de la démocratie en Europe au cours de la dernière décennie, le Parti progressiste serbe (SNS) au pouvoir violant régulièrement les libertés politiques et civiles.

L’ONG a fait état d’une manipulation des résultats électoraux en décembre et d’une augmentation de la « pression sur les médias indépendants, l’opposition politique et les organisations de la société civile ».

Novica Antić avait décrié les menaces du président et du ministre Vučević à l’encontre des syndicats militaires comme une « attaque sérieuse contre la démocratie et les droits du travail. » La VSS, avec Antić à sa tête, n’a cessé de souligner la nécessité d’une transparence et d’une responsabilité accrues en réponse aux récentes fraudes électorales.

Claire Rhea

Claire est journaliste pour Newsendip.

Elle a grandi à Londres et possède la double nationalité américaine et française. Elle est diplômée en sciences politiques et économie de l'Université McGill à Montréal. Elle a également vécu en Italie.