Dans la lignée de l’initiative gouvernementale « Green Transport” qui a pour objectif d’accroître l’e‑mobilité dans le pays, le Kenya a introduit de nouvelles réglementations pour les importations de véhicules électriques d’occasion, une première en Afrique.
Dans un communiqué publié la semaine dernière, le Kenya Bureau of Standards (KEBS), organisme de régulation des importations dans le pays, a annoncé qu’aucun véhicule
électrique d’occasion dont la durée de vie de la batterie est inférieure à 80 % ne sera autorisé à l’importation dans le pays. A titre de comparaison, les constructeurs garantissent généralement les batteries sur une durée de 8 ans, lorsque celles-ci atteignent une autonomie inférieure à 70%.
Dans le cadre de cette nouvelle directive, la KEBS a ciblé les voitures électriques en provenance du Japon, des Émirats arabes unis, de Thaïlande, de Singapour, d’Afrique du Sud et du Royaume-Uni, les principaux exportateurs de véhicules d’occasion vers le Kenya. Ces pays sont désormais soumis à un processus rigoureux d’inspection préalable, mené par Quality Inspection Services Inc (QISJ), l’agent d’inspection désigné par le KEBS pour les véhicules à moteur.
Cette mesure fait partie de l’initiative gouvernementale « Green Transport » du président William Ruto, qui vise à diminuer considérablement les émissions de carbone : le Kenya s’est donné comme objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 32 % d’ici à 2030 en encourageant le développement et l’utilisation de véhicules électriques.
En seulement quelques années, le pays d’Afrique de l’Est s’est imposé comme un leader mondial en matière d’énergies renouvelables : près de 90 % de son électricité provient de sources vertes. Depuis les années 1980, le gouvernement s’est concentré sur la géothermie, qui génère aujourd’hui un tiers de l’électricité du pays.
Selon l’Autorité nationale des Transports et de la Sécurité, on estimait à 1 350 le nombre de véhicules électriques immatriculés au Kenya en février 2023, un chiffre que le gouvernement voudrait faire croître le plus rapidement possible.
« Nous avons besoin d’une réglementation stricte »
En septembre dernier, BasiGo, un fournisseur de bus électriques, affirmait avoir empêché l’émission de 217,4 tonnes de dioxyde de carbone en seulement deux ans. Fredrick Mutitika, responsable du marketing produit et des opérations chez BasiGo, interrogé il y a quelques mois par le quotidien kényan Nation, expliquait que la société a mis en place une structure de financement innovante pour les bus électriques, avec un prix d’achat de 7,5 millions de shillings (un peu plus de 51 000 dollars) et un service de location de 40 shillings par kilomètre (0,27 dollars), qui couvre les services de recharge et d’entretien fournis par BasiGo.
Il y a quelques semaines, Roam Electric, une start-up kényane spécialisée dans les motos électriques, a levé 24 millions de dollars afin d’augmenter sa production. La moto électrique Roam Air est commercialisée au prix de 1 500 dollars pour un modèle à batterie unique et 2 050 dollars pour un modèle à double batterie, qui permet une autonomie de 140 kilomètres.
Comme l’explique Jesse Forester, fondateur de Mazi Mobility, concurrent direct de Roam Electric, les motos électriques pourraient devenir plus populaires parmi les conducteurs si le gouvernement offrait les incitations promises. « La simplification du processus d’importation de pièces pour les entreprises d’e-mobilité serait utile. Les motos à essence sont actuellement plus abordables, avec des prix avoisinant les 600 dollars », a‑t-il noté lors d’une interview accordée au quotidien kényan Nation.
L’un des principaux défis que prévoit Jesse Forester réside dans le gaspillage mécanique qui, selon lui, augmentera lorsque de plus en plus d’utilisateurs de véhicules passeront à l’électrique. « Très peu de pays africains disposent d’une politique en matière de véhicules d’occasion. Le Kenya en a une qui interdit l’importation dans le pays d’une voiture âgée de plus de huit ans à compter de la date de sa première immatriculation. La situation sera différente pour les véhicules électriques, car la batterie se dégrade plus rapidement. Nous avons besoin d’une réglementation stricte sur les véhicules électriques d’occasion qui doivent être autorisés à entrer dans le pays », expliquait-il en septembre dernier.
Seuls neuf pays africains disposent d’un cadre réglementaire
Le parc mondial de véhicules utilitaires légers devrait au moins doubler d’ici 2050, selon un rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement. Environ 90 % de cette croissance aura lieu dans les pays non-membres de l’OCDE qui importent un grand nombre de véhicules usagés. Malgré le rôle critique qu’ils jouent dans les accidents de la route, la pollution de l’air et les efforts pour atténuer le changement climatique, il n’existe actuellement aucun accord régional ou mondial sur le commerce et les flux de véhicules d’occasion.
Alors que 60 % des immatriculations annuelles en Afrique concernent des véhicules d’occasion, seuls neuf pays sur 54, soit environ 17 %, disposent d’un cadre réglementaire « bon » ou « très bon » pour les importations de ces véhicules. Le rapport de l’UN rappelle que les pays ayant mis en place des mesures d’incitation à l’importation de véhicules électriques d’occasion comme le Kenya, ont nettement favorisé le passage vers un transport plus propre, avant de conclure que les réglementations devraient être progressivement renforcées au cours de la décennie à venir et que les véhicules d’occasion à faibles émissions ou sans émissions devraient être encouragés en tant que moyen abordable pour les pays à faibles et moyens revenus d’accéder aux technologies de pointe.
Le gouvernement kényan a récemment annoncé une liste de mesures incitatives pour promouvoir la fabrication locale de produits d’e-mobilité et la mise en place 1 000 stations de recharge à travers le pays. Lors de son discours à l’occasion des célébrations du 60ème Madaraka Day, date anniversaire de l’indépendance du Kenya, le président William Ruto s’est notamment engagé à garantir un financement à faible coût pour l’achat de véhicules électriques et l’installation de stations de recharge.
Des véhicules électriques… sans électricité
L’initiative « Green Transport », initiée par William Ruto, se heurte cependant à un défi de taille : la faiblesse des réseaux électriques.
Bien que le Kenya se soit efforcé d’améliorer l’accès au réseau électrique, ayant plus que doublé le taux d’accès à l’électricité, qui est passé de 32 % en 2013 à 75 % des ménages en 2022, des pannes d’électricité importantes frappent régulièrement le pays. La dernière en date, en décembre dernier, avait paralysé une grande partie du pays, affectant de nombreuses installations vitales comme l’aéroport principal de la capitale. Le ministre des Transports avait demandé l’ouverture d’une enquête à la suite de cette troisième panne nationale en trois mois.
Lors d’une panne similaire survenue en novembre dernier, il avait fallu plus de 12 heures aux ingénieurs pour rétablir le courant dans la plupart des régions du pays.
Mais c’est le 25 août dernier que la panne a été la plus importante. La cause reste mystérieuse, la compagnie d’électricité accusant une défaillance du plus grand parc éolien d’Afrique, qui, lui, rejette la responsabilité sur le réseau électrique. Dans certaines régions du pays, notamment à Nairobi, il a fallu près de 24 heures pour que le courant soit rétabli.
Sur les réseaux sociaux, les Kényans interpellent régulièrement la compagnie d’électricité Kenya Power concernant les fréquentes coupures de courant au niveau local, tandis que d’autres se moquent de l’agence, affirmant que le pays est en passe de devenir comme le Nigéria et l’Afrique du Sud, où le rationnement d’électricité est monnaie courante.
Ces pannes d’électricité surviennent alors que le pays est confronté aux prix élevés du carburant, que beaucoup accusent d’être à l’origine de millions de dollars de pertes pour les entreprises et l’économie dans son ensemble, qui connaît en ce moment de graves difficultés.