En Autriche, des chercheurs appellent à lutter contre l’impact des réseaux sociaux sur la démocratie

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29 février 2024

Des chercheurs interdisciplinaires en Autriche ont discuté de la menace que représentent les médias sociaux pour la démocratie lors d’un forum de dialogue devant le Parlement, exigeant un « rappel à l’ordre numérique » et des plates-formes de service public. Cependant, les avis restent partagés sur l’obligation d’utiliser sa vraie identité en ligne.

Moniteur avec le titre de l'événement du forum de dialogue du 26 février, intitulé "Les médias sociaux comme menace pour la démocratie" en allemand.
« Les réseaux sociaux, menace pour la démocratie » | © Parliamentary Directorate/Thomas Topf

Lundi, un groupe de chercheurs de l’Académie autrichienne des sciences (ÖAW) a examiné la menace des médias sociaux pour la démocratie et a demandé aux députés d’apporter des changements juridiques à la gestion des réseaux, publiant six recommandations dans leur rapport.

Dirigée par l’expert en communication Matthias Karsmin, l’équipe de recherche s’est plongée dans une analyse approfondie de plus de 100 études internationales sur le rôle des médias sociaux. Leurs résultats les ont amenés à la conclusion qu’une approche à multiples facettes est nécessaire pour atténuer les effets négatifs qu’ils imposent à la démocratie en Autriche.

6 recommandations

Les recommandations proposent que les politiques jouent un rôle actif dans la surveillance du discours politique en Autriche, ainsi que du contenu politique en ligne et du comportement des utilisateurs. Les chercheurs ont préconisé la mise en œuvre d’un « code de conduite » pour les membres du Conseil national. La violation de ces directives entraînerait ce que les chercheurs appellent un « rappel à l’ordre numérique », qui peut être « émis par analogie avec les règlements de la session plénière ». En outre, un conseil éthique autonome devrait être créé pour la publicité politique.

En 2022, l’Union européenne a adopté la loi sur les services numériques (DSA) afin de protéger les droits fondamentaux des utilisateurs en ligne et d’établir des règles claires contre les discours haineux et la désinformation. Cette loi prévoit des amendes élevées en cas de non-respect des réglementations strictes. Cependant, les chercheurs de l’ÖAW restent insatisfaits.

Pour démocratiser l’espace numérique, ils appellent à la création de plateformes numériques publiques pour éviter les quasi-monopoles et garantir que le public dispose d’informations fiables et vérifiées. La création de plateformes numériques européennes permettrait de contrer l’influence croissante des géants des médias sociaux tels que Meta et TikTok. Ce projet est jugé d’une « importance capitale » dans le rapport.

Le rapport plaide aussi pour une réforme du financement des médias et de l’allocation de la publicité. Il souligne l’importance de renforcer la surveillance démocratique des plateformes numériques européennes en introduisant de nouvelles règlementations de transparence pour les algorithmes. Cette initiative compléterait la DSA existante et la loi sur les marchés numériques (DMA).

L’Agence de presse autrichienne (OTS) a rapporté que l’obligation d’utiliser sa véritable identité sur les médias sociaux a été discutée lors du forum au Parlement, mais n’a pas été publiée dans le rapport. Cela a réveillé un débat qui a commencé en 2019 lorsque le gouvernement de coalition de droite entre le Parti populaire autrichien et le Parti de la liberté d’Autriche avait proposé cette obligation dans un projet de loi controversé.

Selon l’OTS, Magdalena Pöschl, professeure à l’Institut de droit constitutionnel et administratif de l’Université de Vienne, n’était pas favorable à la mesure, estimant que cela contredirait le règlement général sur la protection des données de l’Union européenne et contribuerait aux quantités inquiétantes de données collectées auprès des utilisateurs.

La menace des médias sociaux pour la démocratie

Les médias sociaux jouent un rôle de plus en plus important dans le débat politique. L’année dernière, les plateformes sociales étaient déjà la première source d’information pour plus de 38 % des jeunes (jusqu’à 24 ans). En Autriche, cette tendance s’est étendue à 12 % des personnes de plus de 45 ans, reflétant une augmentation par rapport aux 8,9 % de 2019.

Pourtant, étant donné que les informations publiées sur les plateformes numériques ne suivent pas nécessairement les mêmes processus de production journalistique, le discours politique en ligne est pollué par la désinformation. Avec l’ajout d’algorithmes axés sur le profit, les voix de ceux qui sont en marge de la politique sont amplifiées, provoquant une « polarisation et émotivité » politique.

Mais les chercheurs ont également conclu que les utilisateurs eux-mêmes sont conscients des effets négatifs des médias sociaux et en sont critique. Le rapport soulève une dissonance entre les utilisateurs qui sont conscients du problème de la désinformation alors qu’ils continuent à consommer l’information sur les plateformes sociales. Dans l’Eurobaromètre standard 96 de 2022, 68 % des Autrichiens ont répondu que les fausses informations constituaient une menace pour la démocratie, alors que la moyenne de l’UE est de 82 %.

Les opinions exprimées lors du forum sont restées divisées. Dagmar Belakowitsch du Parti de la liberté d’Autriche, un parti populiste conservateur, ne considère pas les réseaux sociaux comme une menace, mais se félicite plutôt de la pluralité des opinions offertes.

Bien que principalement axé sur l’Autriche, le rapport a examiné de nombreuses études internationales. Comme l’a fait remarquer Magdalena Pöschl, la menace que les médias sociaux font peser sur la démocratie est une question transfrontalière qui nécessite des solutions transfrontalières plutôt qu’une dépendance étroite à l’échelle des réglementations nationales.

Claire Rhea

Claire est journaliste pour Newsendip.

Elle a grandi à Londres et possède la double nationalité américaine et française. Elle est diplômée en sciences politiques et économie de l'Université McGill à Montréal. Elle a également vécu en Italie.