Un rapport publié par l’Institut du dialogue stratégique (ISD) analyse comment la désinformation et les conspirations ont infiltré les comptes de médias sociaux irlandais sur de multiples plateformes, des messages souvent diffusés par des comptes d’extrême droite. Alors que ces comptes propagent des informations fausses, une rhétorique violente et menaçante est également souvent utilisée à l’encontre des groupes marginalisés.
Le 20 novembre, un rapport intitulé Uisce Faoi Thalamh (expression irlandaise signifiant « complot ») a été publié par l’Institut du dialogue stratégique (ISD), un groupe de réflexion qui se consacre à la haine, à l’extrémisme et à la désinformation.
Selon l’ISD, l’objectif de cette recherche était de comprendre, dans le contexte irlandais, comment la croyance dans les théories du complot et la diffusion de fausses informations et de désinformations rassemblent des communautés spécifiques, radicalisent certaines personnes dans des systèmes de croyances extrêmes et motivent les personnes à prendre des mesures concrètes, qui peuvent parfois déboucher sur la violence.
En Irlande, plus de 13 millions de messages provenant de 1 640 comptes ont été analysés sur 12 plateformes entre janvier 2020 et avril 2023 dans le cadre de l’étude. La recherche a révélé que les fausses informations et les théories du complot diffusées en ligne peuvent conduire à des actions directes dans la vie réelle, qui peuvent inclure des actes de violence.
L’étude montre également que les entreprises de la tech n’appliquent pas les directives de l’Union européenne visant à freiner la diffusion de contenus faux, trompeurs et préjudiciables sur ces plateformes de médias sociaux. Les chercheurs ont constaté que X, anciennement Twitter, était la plateforme où l’on trouvait le plus d’activités de désinformation et de mésinformation. Telegram continue également à se développer en tant que plateforme où de nombreuses informations trompeuses sont partagées.
L’analyse a montré que certains comptes qui diffusent des informations erronées ont en revanche du mal à se faire connaître sur TikTok : soit ils ne parviennent pas à créer une communauté, soit, dans la plupart des cas, leur compte est suspendu. Certaines de leurs vidéos parviennent tout de même à être visionnées plus d’un million de fois.
La montée du complotisme et de la désinformation a commencé en 2020 avec la pandémie de Covid-19 et les programmes de vaccination, mais elle s’est poursuivie en se concentrant sur des sujets tels que l’anti-immigration, la guerre en Ukraine, la rhétorique anti-LGBTQ+, le déni du changement climatique et les idéologies haineuses. En Irlande aussi, les politiques ont aussi été régulièrement la cible de fausses informations.
L’analyse du contenu a montré que « les idéologies haineuses se répandent facilement, le soutien au nationalisme blanc, à l’antisémitisme et à l’islamophobie étant observé sur des plateformes comme Telegram et Instagram, tandis que le déni de l’Holocauste et la promotion de contenu nazi par des Irlandais sont constants sur des plateformes alternatives comme Gettr et Gab ». Gettr et Gab sont toutes deux des plateformes de médias sociaux américaines de technologie alternative (alt-tech) connues pour leurs bases d’utilisateurs conservateurs et d’extrême droite.
En Irlande même, les médias alternatifs irlandais sont très populaires dans les groupes qui diffusent des fausses informations. Le rapport a constaté que Gript.ie, un site médias alternatif conservateur irlandais, avait beaucoup de partages dans les groupes dits fringe (des groupes qui se définissent politiquement comme des organisations avec des idéologies en dehors des idées dominantes). Le rapport fait état de plus de 78 000 partages d’articles de Gript, souvent sur des sujets tels que la santé, l’immigration et les questions LGBTQ+.
En mars 2023, l’organisation nationale irlandaise des LGBT a relayé des statistiques publiées par An Garda Síochána, la police nationale et la sécurité de l’Irlande, selon lesquelles les crimes de haine contre les personnes LGBTQI+ ont augmenté de 30 % en 12 mois.
Pour la deuxième année consécutive, les personnes LGBTQI+ ont été le deuxième groupe de personnes le plus visé, après les messages à caractères racistes, en Irlande. Pádraig Rice, responsable de la politique et de la recherche chez LGBT Ireland, a déclaré que « les plateformes de médias sociaux doivent elles aussi répondre aux questions. Il est de plus en plus évident que la haine et les abus en ligne débordent sur la vie réelle. Facebook et Twitter, en particulier, doivent prendre des mesures et cesser de permettre à leurs sites d’être utilisés par des personnes qui maltraitent les autres. »
L’analyse des données montre comment la désinformation a explosé sur les médias sociaux, en particulier depuis 2020. Les communautés et les forums de discussion qui discutaient de conspirations au sujet de la pandémie de Covid-19 sont maintenant devenus des espaces de haine liés aux immigrés et à la communauté LGBTQ+. Selon les résultats de l’étude, les conversations et les mots-clés relatifs à la santé se recoupent le plus avec la politique irlandaise (6,4 %), suivie par les complots (2,9 %) et l’immigration (1,9 %).
L’ISD recommande aux plateformes de mieux appliquer leurs propres lignes directrices et de modérer les contenus publiés, afin de lutter contre la diffusion de contenus préjudiciables sur ces plateformes. Il est également recommandé d’examiner pourquoi et quels algorithmes permettent la diffusion de ces contenus. Aoife Gallagher, l’une des auteurs du rapport, estime qu’il est difficile de savoir à quel point ces idéologies sont répandues, mais que leur impact reste très sérieux, car les membres de ces groupes n’ont pas besoin d’avoir un pouvoir ou une représentation politique pour nuire aux personnes.