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Concert de Taylor Swift et ingérences étrangères : le grand écart de Singapour cette semaine

4 minutes de lecture
28 février 2024

Coldplay, Ed Sheeran ou encore Taylor Swift : Singapour mise sur l’économie du spectacle pour attirer les touristes… mais la tâche d’équilibrer une économie ouverte et la sécurité nationale est parfois délicate.

Taylor Swift sur scène.
Taylor Swift donnera six spectacles à Singapour en mars | © AMC Theatres

Le phénomène Taylor Swift a encore frappé. La popstar qui aurait le pouvoir d’influencer les élections américaines sera ce weekend en concert à Singapour. Une aubaine pour le pays dont les réservations d’hôtels ont bondi de 10 % après l’annonce de l’événement, selon les données de la société d’analyse hôtelière Smith Travel Research. La demande de vols vers Singapour a également grimpé en flèche, en particulier en provenance d’Asie du Sud-Est.

Et pour cause, Taylor Swift, dont la tournée Eras aurait généré 4,6 milliards de dollars de dépenses de consommation l’année dernière aux États-Unis, ne se produira que dans deux pays d’Asie : le Japon et Singapour.

Les raisons de ce choix ? Le 16 février dernier, le Premier ministre thaïlandais Srettha Thavisin avait déclaré avoir été informé que le gouvernement de Singapour avait offert à la chanteuse des subventions allant jusqu’à 3 millions de dollars américains pour chaque concert – en échange de l’accord de Taylor Swift de ne se produire dans aucun autre pays d’Asie du Sud-Est pendant la durée de la tournée Eras.

L’Office du tourisme de Singapour (STB) et le ministère de la Culture, de la Communauté et de la Jeunesse (MCCY) avaient répondu en déclarant dans un communiqué commun que les secteurs du tourisme tels que l’hôtellerie, la vente au détail, les voyages et la restauration bénéficieraient probablement de l’événement, tout comme ils l’ont fait dans d’autres villes dans lesquelles la popstar s’est produite.

« Les concerts de Swift devraient générer entre 350 et 500 millions de dollars singapouriens (entre 260 et 372 millions de dollars) de recettes touristiques, en supposant qu’environ 70 % des spectateurs viennent de l’étranger », explique Erica Tay, directrice de la recherche à Maybank, interrogée par des médias locaux.

Plus de touristes… et moins d’ingérence étrangère

Alors qu’une partie du pays se réjouit de l’arrivée des touristes (et des capitaux) pour le concert de la star américaine, certains ne voient pas tous les flux de visiteurs d’un très bon œil. C’est le cas des sympathisants d’une loi sur l’ingérence étrangère, votée en 2021.

Chan Man Ping Philip, un citoyen naturalisé de 59 ans, a été le premier à faire les frais de cette législation ce lundi, ayant été désigné comme « personne politiquement significative » dans des faits d’ingérence étrangère. Le ministère de l’Intérieur de Singapour a déclaré que Chan, né à Hong Kong, avait fait preuve de « susceptibilité à se laisser influencer par des acteurs étrangers et d’une volonté de promouvoir leurs intérêts ».

Bien que le gouvernement n’ait pas précisé les intérêts de quel pays Chan aurait tenté de promouvoir à Singapour, l’homme d’affaires, originaire de Hong-Kong, est bien connu pour défendre le point de vue de la Chine. Le résident singapourien est désormais tenu de divulguer chaque année les dons politiques de 10 000 dollars Singapourien (environ 7 400 dollars) ou plus qu’il reçoit, les affiliations étrangères et les avantages liés à l’immigration dont il bénéficie. En 2019, la police lui avait déjà adressé un avertissement pour avoir facilité une discussion sur un projet de loi controversé à Hong Kong, en violation des restrictions strictes imposées par Singapour.

Singapour a adopté la loi sur les interférences étrangères ou FICA il y a trois ans, dans un contexte de vives critiques de la part des associations de défense des droits de l’Homme comme Amnesty International, qui craignait que la législation puisse être utilisée à des fins autoritaires ou « constituer une attaque brutale contre les droits à la liberté d’expression et d’association, car elle offre un nouvel instrument susceptible d’être utilisé de manière arbitraire par les autorités pour museler les détracteurs du gouvernement et écraser la dissidence dans le pays ».

Le commerce international, 300% du PIB

Les autorités avaient expulsé en 2017 l’universitaire sino-américain Huang Jing après l’avoir considéré comme un « agent d’influence d’un pays étranger ». Le professeur à l’école de politique publique Lee Kuan Yew, s’était vu retirer sa résidence permanente pour avoir prétendument travaillé avec des agences de renseignement afin d’influencer la politique gouvernementale et l’opinion publique. Il avait nié être un agent étranger à l’époque, qualifiant ces affirmations d’« absurdes ».

Les immigrants non permanents représentent environ 30% des 5,92 millions d’habitants du pays et près de 75,9 % de la population est d’origine chinoise, ce qui en fait le groupe ethnique le plus important de Singapour.

La valeur totale des importations et des exportations de Singapour représente plus de 300% de son produit intérieur brut (PIB), le ratio le plus élevé de tous les pays. De plus, Singapour a connu une augmentation de 115 % du nombre de visiteurs l’année dernière, passant de 6,3 millions en 2022 à 13,6 millions en 2023, dans un pays qui compte moins de 6 millions d’habitants.

Les résultats d’une stratégie qui a payé puisque, pendant des décennies, Singapour s’est présentée comme l’une des économies les plus ouvertes au monde pour attirer les touristes et expatriés afin de compenser son territoire restreint et son manque de ressources naturelles. Aujourd’hui, la cité-État d’Asie du Sud-Est est confrontée à un nouveau défi : conserver les ingrédients de son succès tout en se prémunissant contre l’ingérence étrangère qu’une telle ouverture peut susciter.

Julie Carballo

Julie Carballo est correspondante pour Newsendip.

Auparavant, elle a notamment travaillé pour Le Figaro et au bureau de Rome pour l'AFP.