Singapour veut bloquer l’accès au « contenu étranger hostile » et pourrait interdire des applications mobiles ou priver des médias de revenus publicitaires. Le pays a commencé à travailler sur cette loi après des tensions avec la Malaisie en 2019.

Le 13 septembre, le ministère de l’Intérieur de Singapour a présenté le projet de Loi sur l’ingérence étrangère (contre-mesures) en première lecture au Parlement.
Le gouvernement souhaite s’attaquer aux médias coupables d’une « ingérence étrangère » dans la politique intérieure par des « campagnes d’information hostiles » avec l’objectif de garder un œil sur les personnalités publiques liées à des entités extérieures qui pourraient agir comme des « représentants locaux ».
Le ministère de l’Intérieur de Singapour est responsable de la sécurité nationale, de la défense civile et du contrôle des frontières.
Singapour pourrait demander le retrait de contenu ou des applications mobiles
Si elle est adoptée, la loi donnera au ministère plus de contrôle sur le contenu publié en ligne et restreindra les activités politiques liées à des entités ou des individus étrangers.
Il aurait le pouvoir d’exiger des plateformes de réseaux sociaux, des applications de messagerie en ligne, des moteurs de recherche, des fournisseurs d’accès à Internet, des éditeurs ou des propriétaires de sites internet qu’ils « aident les autorités à enquêter sur les activités de communication hostiles d’origine étrangère et à les contrer ».
Les autorités singapouriennes pourraient aussi exiger des plateformes de réseaux sociaux qu’elles divulguent des informations afin de « déterminer si l’activité de communication préjudiciable est entreprise par ou au nom d’un acteur étranger ».
À l’instar de certaines dispositions de Singapour, la législation indienne peut exiger des plateformes numériques de communiquer aux autorités l’identité de l’auteur d’un message. Faisant partie d’une loi visant à réglementer l’information en ligne, cela a déclenché une action en justice de la part de WhatsApp, car elle obligerait l’entreprise à stocker les données de ses utilisateurs.
En 2020, la Chine a adopté la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong, une loi controversée restreignant les contenus susceptibles de nuire à la sécurité nationale, ce qui a donné lieu à des manifestations de massives de la population.
En conséquence, le tabloïd Apple Daily, l’un des médias les plus populaires auprès des Hongkongais, a été fermé en juin 2021 en raison de « soupçons de collusion avec un pays étranger ou avec des éléments extérieurs pour mettre en péril la sécurité nationale ». La police a affirmé que les articles constituaient une conspiration visant à « imposer des sanctions ou un blocus, ou à se livrer à d’autres activités hostiles » à l’encontre de la Chine ou de Hong Kong.
Le communiqué singapourien précise que les dispositions ne s’appliquent pas aux personnes ou aux publications étrangères, ni aux Singapouriens qui expriment leur opinion sur la politique « à moins qu’ils ne soient des agents d’un donneur d’ordre étranger ».
Supprimer les sources de financement

Dans le projet de loi sur l’ingérence étrangère, Singapour prévoit de restreindre la possibilité de partager du contenu ou de devenir viral, sans détailler les mesures à prendre. Les autorités pourraient toutefois empêcher le téléchargement d’applications mobiles à Singapour.
De plus, elles « veulent être en mesure de paralyser la source de financement des contenus en ligne préjudiciables qui sont entrepris par ou au nom d’un donneur d’ordre étranger ».
Ainsi, les citoyens de Singapour, quel que soit leur lieu de résidence, et les résidents de Singapour seraient tenus de restituer le matériel ou les fonds utilisés pour produire le contenu hostile aux entités étrangères ou aux autorités singapouriennes.
La publicité sur ces médias pourrait également être interdite.
À Hong Kong, l’Apple Daily a fermé ses portes parce que ses actifs financiers furent gelés et dans l’incapacité de continuer à opérer.
Deux ans pour élaborer le projet de loi
Suite aux ingérences étrangères dans les élections présidentielles américaines, le référendum britannique sur le Brexit en 2016 ou dans les élections présidentielles françaises en 2017, Singapour a commencé à travailler sur un projet de loi en 2019.
Le ministre considère que « l’ingérence étrangère constitue une menace sérieuse pour la souveraineté politique et la sécurité nationale » de Singapour et explique qu’elle est vulnérable à l’ingérence étrangère en raison de sa « société très diverse et connectée au numérique ».
Mais elle fait également suite à des tensions entre Singapour et la Malaisie en 2019.
Si la déclaration ne mentionne pas explicitement son voisin du nord, elle explique toutefois que, lors de différends en 2018–2019, Singapour a remarqué un « pic anormal de commentaires en ligne critiques à l’égard de Singapour sur les réseaux sociaux ». Provenant de « comptes anonymes », ils étaient utilisés pour « créer une impression artificielle d’opposition aux positions de Singapour ».
En décembre 2018, la Malaisie a souhaité reprendre le contrôle de l’espace aérien et maritime de Johor, un État du sud de la Malaisie et voisin de Singapour. En effet, la Malaisie avait l’habitude de déléguer l’espace aérien du sud de Johor à Singapour, qui fournissait alors des services de contrôle du trafic aérien.
Pendant cette période, près de la moitié des commentaires relatifs à la congestion du trafic postés sur les réseaux sociaux ou certains « médias alternatifs » provenaient de comptes anonymes, a rapporté Today Online.
Les négociations ont duré plusieurs mois jusqu’à ce qu’un accord entre les deux pays soit conclu en avril 2019.
Singapour a d’abord fait partie de la Malaisie lorsque celle-ci a été créée en 1963 dans le cadre d’une union entre la Fédération de Malaisie et d’anciennes colonies britanniques. Mais la ville est devenue indépendante seulement deux ans plus tard, à la suite de désaccords politiques et économiques ainsi que de tensions ethniques.
Interdiction aux étrangers d’œuvrer pour des activités politiques
Outre les restrictions de contenu, la loi devrait également être plus stricte à l’égard des personnalités politiques recevant des dons en les obligeant à divulguer leur « affiliation à des entités étrangères ». Elle interdirait également aux étrangers de se porter volontaires pour des activités politiques.
Les citoyens de Singapour devront déclarer leur participation à des organes politiques ou législatifs étrangers pour que le gouvernement puisse « exercer un contrôle sur ces personnes », a déclaré le ministère de l’intérieur.
Singapour est connu pour sa politique stricte en matière de liberté d’expression et occupe la 160ème place dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières en 2021. Le projet de loi a de fortes chances d’être adopté, car le parti au pouvoir détient plus de 80 % des sièges au parlement.