L’une des plus grandes usines à trolls démantelée par Facebook gérée par le gouvernement du Nicaragua

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5 novembre 2021

Facebook et Instagram ont supprimé l’un des plus grands réseaux de contenus trompeurs ayant opéré à ce jour, moins d’un mois avant les élections présidentielles au Nicaragua. Directement gérée par des agences gouvernementales, certains comptes influençaient la population depuis 2018.

Daniel Ortega, président du Nicaragua, en 2016
Facebook et Instagram ont démantelé une usine à trolls exploitée par le gouvernement nicaraguayen. Daniel Ortega, président du Nicaragua, 2016

En octobre, Facebook et Instagram, ont supprimé une « usine à trolls gérée par le gouvernement du Nicaragua ».

L’entreprise a déclaré qu’il s’agissait de l’une des plus grandes opérations de trolling intergouvernementales qu’ils aient démantelé à ce jour.

De multiples agences gouvernementales étaient impliquées dans la manipulation de l’information sur les réseaux sociaux. Cela allait des employés de l’Institut nicaraguayen des télécommunications et des postes (TELCOR), à l’Institut nicaraguayen de sécurité sociale en passant par la Cour suprême, explique le rapport.

En octobre, 937 comptes Facebook et 363 comptes Instagram, 140 pages et 24 groupes qui tentaient tous d’influencer les Nicaraguayens ont été supprimés. Alors que les faux comptes du gouvernement ont commencé à fonctionner en 2018, cette suppression intervient alors que les prochaines élections présidentielles auront lieu le 7 novembre.

Les pages supprimées étaient suivies par 585 000 comptes, 74 500 ont rejoint ces groupes et les comptes Instagram ont accumulé 125 000 followers. De plus, ils avaient dépensé environ 12 000 dollars en publicité sur Facebook.

Les campagnes trompeuses ont dépassé les plateformes de Meta et ont touché Tiktok, Twitter, YouTube ainsi que des sites web liés à des médias d’information.

L’usine à trolls a été fermée quelques semaines seulement avant une élection présidentielle qui n’a « aucune crédibilité »

Dans son rapport, Facebook a classé le réseau comme un exemple typique d’usine à trolls, « un effort coordonné par des opérateurs localisés au même endroit pour corrompre ou manipuler le discours public en utilisant de faux comptes pour construire des personas à travers les plateformes et tromper les gens sur qui se cache derrière ».

Cette activité a commencé en avril 2018 comme un moyen de critiquer les dirigeants de l’opposition et de discréditer les manifestants protestant contre une réforme sociale. Elle s’est ensuite complexifiée fin 2019 avec une participation plus large à travers le gouvernement pour vanter ses actions.

Le 7 novembre, le président du Nicaragua Daniel Ortega cherche à se faire élire pour un cinquième mandat, le quatrième consécutif depuis 2007. Son épouse Rosario Murillo se présente à la vice-présidence pour un second mandat.

Toutefois, il n’y a guère de suspense quant aux résultats du vote.

Le président du Nicaragua, Daniel Ortega, entre son épouse et vice-présidente Rosario Murillo et le président de l'Organisation des États américains en 2011
Le président du Nicaragua, Daniel Ortega, entre son épouse et vice-présidente, Rosario Murillo, et le président de l’Organisation des États américains en 2012. Le président se présente pour un quatrième mandat consécutif le 7 novembre mais s’est assuré de ne pas avoir d’opposition. | © OEA

Aucun observateur international ne surveillera la régularité des élections. L’Organisation des États américains regroupant 35 pays a condamné le « manque de garanties pour les droits et de liberté dans le cadre des élections ». Le Département d’État américain considère que le « processus électoral a perdu toute crédibilité ». Josep Borrell, représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, a déclaré que les élections n’étaient « pas légitimes ».

En août dernier, le principal parti d’opposition au Nicaragua s’est vu interdire la participation aux élections de novembre parce que le président du parti possède la double nationalité américaine et nicaraguayenne.

Au cours des 7 derniers mois, 37 opposants au président ont été arrêtés, parmi lesquels des personnalités du monde des affaires, des syndicats, des étudiants ou des politiques. Miss Nicaragua 2017 et 6 autres candidats potentiels à l’élection présidentielle ont été interdits de se présenter.

Le Nicaragua a intensifié la répression depuis les manifestations de 2018

Depuis avril 2018, Daniel Ortega a renforcé son autorité, écrasant toute forme d’opposition et réduisant la liberté. Ce mois-là, des milliers de Nicaraguayens sont descendus dans la rue pour protester contre les réformes de l’Institut nicaraguayen de sécurité sociale.

Avec un système de sécurité sociale proche de la faillite, le gouvernement voulait faire des coupes dans les pensions et augmenter les cotisations sociales payées par les employeurs et les employés. M. Ortega a violemment répondu aux manifestations jusqu’à finalement révoquer le projet de loi adopté par le parlement. La Commission interaméricaine des droits de l’homme, organe de l’Organisation des États américains, avait estimé que la répression du mouvement social avait entraîné la mort de 328 personnes – dont 24 enfants et adolescents.

Depuis septembre 2020, le régime a encore resserré l’étau en mettant en œuvre une douzaine de lois répressives. Les autorités « définissent de manière large et ambiguë les infractions pénales, ce qui a facilité par la suite l’inculpation d’individus pour toutes sortes d’accusations sans fournir aucune preuve », dénonce l’Association interaméricaine de presse.

Avec la loi sur la réglementation des agents étrangers, 45 organisations non gouvernementales sont devenues illégales.

La loi sur la cybercriminalité a également contraint à l’exil de nombreux journalistes. L’article 30 stipule que « quiconque publie ou relaie des informations fausses et/ou déformées provoquant la panique, la peur ou l’anxiété au sein de la population […] encourt 2 à 4 ans de prison et une amende de 300 à 500 jours de salaire ».

À l’approche des élections, les forces de police ont perquisitionné les installations d’une chaîne de télévision et une salle de rédaction en mai dernier. Le directeur général du journal La Prensa et deux membres du conseil d’administration ont été arrêtés en août. Une équipe de journalistes honduriens a récemment été expulsée du pays. Une autre équipe s’est vu refuser l’entrée à la frontière avec le Honduras. Le gouvernement a également refusé l’entrée au correspondant du journal Le Monde plus tôt en octobre et à un reporter du New York Times en juin.

À l’approche des élections, la vente d’alcool, le port d’armes et le transport de substances chimiques ont été suspendus.

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.