Des soldats britanniques s’entraînant au Kenya ont organisé des cérémonies d’initiation au cours desquelles les jeunes recrues étaient forcées d’avoir des relations sexuelles non protégées avec des travailleuses du sexe.
Environ 10 000 soldats britanniques sont déployés au Kenya chaque année pour effectuer des exercices à balles réelles pendant huit semaines.
À leur retour il y a quelques mois, neuf soldats de la base d’entraînement BATUK ont été interrogés pour déterminer leur compréhension du dossier sur la santé sexuelle et le recours à des prostituées, dans le cadre d’une étude publiée dans le British Medical Journal Military Health.
L’étude, rédigé par les services médicaux de la Défense britannique, révèle que, bien qu’un guide sur la santé sexuelle soit distribué à l’arrivée dans le pays d’Afrique de l’Est, le nombre de soldats développant des maladies connexes a augmenté par rapport aux troupes basées au Royaume-Uni.
Le document fait état d’un recours croissant aux prostituées à proximité de la base britannique de Nanyuki, située à environ 200 km de Nairobi, précisant que le risque de contracter une maladie sexuellement transmissible auprès d’une travailleuse du sexe peut non seulement réduire l’efficacité opérationnelle de l’unité, mais aussi présenter un « risque global de réputation ».
Selon les informations publiées par le Mail on Sunday, un soldat, dont l’identité n’a pas été révélée, aurait déclaré au ministère de la défense : « Lorsque cette unité se déploie en exercice [à l’unité de formation de l’armée britannique au Kenya], elle organise une cérémonie d’initiation pour tous les nouveaux soldats qui n’ont jamais été déployés au Kenya auparavant. Les soldats les plus gradés tirent à pile ou face – face vous pouvez utiliser un préservatif, pile vous ne pouvez pas. »
En 2022, le ministère britannique de la Défense avait publié un rapport listant les stratégies de l’armée pour sensibiliser à l’impact des délits sexuels et aux achats de services sexuels, ainsi qu’aux sources d’aide disponibles pour ceux qui y sont exposés au sein de la communauté de la défense. « Toute activité sexuelle impliquant un abus de pouvoir, y compris l’achat de services sexuels, que ce soit au Royaume-Uni ou à l’étranger, est interdite. Nous nous engageons à prévenir l’exploitation sexuelle sous toutes ses formes », peut-on lire dans le rapport.
Violation des droits de l’Homme
En juin dernier, le Kenya avait annoncé l’ouverture d’une enquête sur des allégations de meurtres, abus sexuels et dégradations de terres à proximité de la base de Nanyuki commis par des soldats britanniques de la même unité de formation. Suite à cette annonce, la Commission nationale des droits de l’Homme du Kenya (KNCHR) a déclaré avoir reçu 43 plaintes concernant des violations des droits de l’Homme – notamment des meurtres et des viols – qui auraient été commises par l’unité de formation de l’armée britannique à Nanyuki.
Dans une présentation orale à la Commission de la Défense et des Relations Extérieures du Parlement le mois dernier, la KNCHR a déclaré que les crimes présumés, qui comprennent également des mutilations et des agressions, doivent faire l’objet d’une enquête et que les auteurs doivent répondre de leurs actes.
Le professeur Marion Mutugi, qui dirigeait la commission pendant la session, a déclaré aux législateurs : « La justice est retardée ou inexistante pour les victimes d’incidents dans lesquels des soldats britanniques sont impliqués ». Toutefois, la commission parlementaire, dirigée par le député Nelson Koech, a affirmé que le corps législatif se lancerait dans des « enquêtes plus approfondies ». « Nous vous assurons que nous sommes déterminés à traiter cette enquête. Nous souhaitons vivement impliquer toutes les parties prenantes pour répondre à ces préoccupations et protéger les intérêts des Kenyans », a‑t-il déclaré aux responsables de la KNCHR.
« Cela aura de graves conséquences pour l’accord de coopération en matière de défense si nous réalisons qu’il y a eu beaucoup d’activités illégales, cela nous donne la possibilité de réexaminer l’accord », a déclaré Nelson Koech, « et même de s’en retirer ».
Le cas Agnes Wanjiru
Parmi la liste des crimes dans lesquels les soldats britanniques sont impliqués figure le meurtre d’Agnes Wanjiru en 2012, une Kenyane de 21 ans, mère d’un enfant, qui les avait accompagnés à une fête dans un hôtel de Nanyuki. Le corps de Wanjiru avait été retrouvé dans une fosse septique deux mois après sa disparition.
En 2019, la Direction des enquêtes criminelles (DCI) du Kenya a ouvert une enquête sur cette mort, mais ses conclusions n’ont pas été rendues publiques. Après des années de procédure, le dossier de l’affaire Wanjiru est quasi vide. Sur dix accusés, seuls deux ont envoyé les documents requis par la cour lors de la première audience en novembre 2023. L’affaire a été renvoyée au 21 mai prochain.
Lors de la visite du roi Charles à Nairobi en novembre dernier, des défenseurs des droits humains ont été empêchés d’organiser des manifestations pour demander des excuses pour les crimes commis au Kenya par les troupes britanniques.
En 1964, un an après l’indépendance du Kenya, les deux pays ont signé un accord de défense qui autorisait jusqu’à six bataillons d’infanterie britanniques à effectuer deux fois par an des exercices de huit semaines au Kenya. Cet accord a été modifié pour devenir annuel. Le traité de défense entre le Kenya et le Royaume-Uni a été renouvelé en juillet 2021, mais n’a été ratifié qu’en avril de l’année dernière en raison d’une vague d’objections de la part des communautés vivant à proximité de la base militaire.
Dans un communiqué, un porte-parole de l’armée britannique a déclaré : « Nous prenons au sérieux toutes les allégations formulées à l’encontre du personnel des services britanniques, et elles font l’objet d’une enquête rapide de la part des autorités du service ou du pays hôte, avec le soutien approprié des forces armées ».
La Grande-Bretagne consacre chaque année près de 1,2 milliard de shillings kényans (6,5 millions de livres sterling) à son partenariat de défense avec le Kenya et fournit un soutien à la formation à la lutte contre le terrorisme. Ce dernier estime que la présence de BATUK a contribué à hauteur de 5,8 milliards de shillings à l’économie locale depuis 2016.