Deux fromages français traditionnels sont menacés par un manque de diversité génétique dû à des années de reproduction asexuée. Les consommateurs devront s’habituer à des variations de texture, de goût et de couleur pour que ces fromages puissent survivre.

Les chercheurs du CRNS, la plus grande agence de science fondamentale d’Europe, ont découvert un défi important pour la production de fromage de Camembert et de Roquefort.
Dans le but de créer des fromages visuellement et gastronomiquement agréables, exempts de mycotoxines, la sélection par les fabricants des champignons essentiels à ces fromages a entraîné une réduction considérable du matériel génétique des micro-organismes.
La pratique courante de la reproduction asexuée des micro-organismes, favorisée par les industriels, a démontré sa non-viabilité à long terme. Ce processus fait que les micro-organismes manquent de nouveau matériel génétique et accumulent par conséquent de nombreuses mutations. Ils sont donc incapables de produire des spores asexuées, les cellules des champignons utilisées à la fois pour la production asexuée et la production sexuée.
Depuis 1902, la production de la croûte du camembert repose sur la reproduction asexuée d’une seule souche, le penicillium camemberti. Cette souche albinos mutante est à l’origine de la couleur blanche et de la texture particulière du camembert.
Les conséquences de la standardisation de la production
Cependant, les conséquences de la standardisation de l’espèce vont au-delà de l’esthétique, entraînant une dégénérescence de la souche qui conduit à l’infertilité et à son extinction potentielle. La reproduction sexuée est le seul moyen de compenser les gènes mutés, car elle permet l’introduction de nouveau matériel génétique.
La possibilité d’extinction du P. camemberti a suscité l’inquiétude de certains industriels. Dans une interview accordée à France Info, Charles Bréand, producteur à Bermonville (Seine-Maritime) de la société 5 Frères, a déclaré : « Si je n’ai plus ça, je ne fais plus de camembert !… C’est un composé qui ne représente que 2 ou 3% du fromage, mais qui est indispensable ».
De même, la formation de moisissures sur les bleus comme le roquefort est due à une souche spécifique de champignon, le penicillium roqueforti, qui est surproduite de manière asexuée par des générations de clones.
Bien que la population de la souche utilisée par l’appellation d’origine protégée (AOP) du Roquefort conserve une diversité génétique suffisante pour survivre, les fabricants de tous les autres fromages bleus exercent une telle pression sur leur souche de P. roqueforti qu’elle est « appauvrie au point d’être devenue quasi infertile. »
Cependant, malgré le ton alarmiste du rapport, la chercheuse Tatiana Giraud, qui a dirigé l’étude, a assuré au Parisien que la situation est plus un problème à long terme qu’un danger immédiat, affirmant que l’industrie du camembert ne sera pas menacée dans les cinq à dix prochaines années.
Selon le magazine du CRNS, le Termignon Bleu, un fromage relativement peu connu originaire de Savoie pourrait potentiellement sauver les fromages bleus de l’extinction. Ce fromage produit naturellement sa propre souche de P. roqueforti et pourrait donc offrir la diversité génétique dont les fabricants ont désespérément besoin, même s’ils doivent s’attendre à de légères variations dans le produit final dû à l’utilisation de la reproduction sexuée.
L’avenir du camembert est en revanche plus incertain. L’AOP Camembert, après avoir imposé la souche albinos de P. camemberti, a de plus en plus de mal à se procurer de grandes quantités de cette souche qui perd sa capacité à se reproduire.
La solution résiderait dans l’introduction du Penicillium biforme, une espèce génétiquement similaire à P. camemberti, mais dont la couleur est gris-vert et non d’un blanc pur. Si l’inoculation de ces deux espèces permet de sauver l’avenir du camembert, les consommateurs devront s’adapter à d’éventuels changements de couleur et de texture du fromage, ce que les fabricants tentent d’éviter depuis 1902.
Autres obstacles : la réglementation et les risques de contamination
Cette menace génétique n’est pas le seul obstacle à la production de camembert en France.
Un rapport du Journal of Dairy Science a mis en avant le risque de contamination au cours du processus de production du camembert. Le processus d’affinage se déroulant à l’air libre à 15 degrés Celsius, le fromage est exposé à un risque accru de contamination par des agents pathogènes environnementaux tels que la Lysteria monocytogenes.
Depuis 2016, les États-Unis appliquent une réglementation stricte sur l’importation de produits au lait cru tels que le camembert. L’authentique camembert de Normandie est fabriqué avec du lait non pasteurisé, dont 50 % doit provenir de vaches normandes, et est donc interdit par l’agence américaine de régulation des aliments (FDA).