En Espagne, le « cartel du lait » des industriels s’est entendu sur les prix d’achat du lait pendant des années

3 minutes de lecture
24 février 2024

Un tribunal espagnol a confirmé que les plus grands acteurs de l’industrie laitière avaient formé un « cartel du lait » en s’entendant pour fixer les prix du lait acheté aux agriculteurs pendant plus d’une décennie. Les compensations financières aux agriculteurs lésés pourraient atteindre des centaines de millions d’euros.

Rayon de produits laitiers dans un supermarché à Leioa en Espagne
Rayon de produits laitiers dans un supermarché à Leioa, dans le pays basque espagnol | © Ibán

L’une des plus hautes juridictions espagnoles a confirmé la plainte d’un groupe d’agriculteurs qui affirmait que des entreprises laitières avaient formé un cartel pour contrôler le prix du lait pendant 13 ans. La décision ouvre la voie à de nombreuses demandes de compensations financières.

Le 21 février, l’Audience nationale d’Espagne a confirmé une décision de la Commission nationale des marchés et de la concurrence, l’équivalent de l’Autorité de la concurrence française, selon laquelle neuf entreprises laitières et deux associations ont formé un cartel pour fixer les prix et réduire la concurrence en s’échangeant des informations.

La chambre administrative des contentieux d’un tribunal, dont la compétence s’étend aux crimes les plus graves tels que le terrorisme, le crime organisé ou les crimes financiers causant un préjudice grave à l’économie nationale, a confirmé les amendes qui s’élèvent à 28 millions d’euros pour cinq entreprises et a ordonné le recalcul de quatre autres amendes en raison de la prescription de certains faits.

Diminution du pouvoir de négociation des agriculteurs

La Cour a considéré que les entreprises concurrentes du secteur laitier ont échangé des informations sur les prix et d’autres conditions commerciales, contacté les agriculteurs pour les informer ou les réunir sur les stratégies de marché, et échangé des informations pour gérer les productions de lait excédentaires.

L’Audience nationale a jugé que, grâce à l’échange d’informations, les concurrents « ont réduit le niveau d’incertitude entre eux, réduisant ainsi la concurrence et le pouvoir de négociation des agriculteurs, dans le but de contrôler le marché de l’approvisionnement en lait cru de vache, ce qui constitue une infraction unique et continue, indépendamment du fait que toutes les entreprises n’ont pas participé à l’ensemble des agissements ».

Les juges ont confirmé les amendes de 11,6 millions d’euros à Lactalis Iberia, 8,5 millions d’euros à Calidad Pascual, 6,8 millions d’euros à Nestlé, 930 000 euros à Schreiber Foods Espagne et 53 000 euros à Central Lechera Galicia.

Les amendes infligées à Puleva, leader du marché laitier espagnol, qui s’élèvent à 10,2 millions d’euros, à Comercial Alimentaria Peñasanta (21,8 millions d’euros) et à Danone (20,2 millions d’euros) doivent être recalculées, car les infractions commises avant 2006 étaient prescrites.

Le tribunal a estimé que les amendes étaient proportionnées et suffisamment motivées et a rejeté la plupart des allégations des requérants selon lesquelles les sanctions étaient arbitraires. Il a annulé l’amende de 60 000 euros infligée à l’Association des entreprises laitières de Galice (Empresas Lácteas de Galicia) en raison de l’absence de motivation, bien qu’il ait confirmé qu’elle avait participé à l’entente.

Ces entreprises se sont entendues sur le prix du lait entre 2000 et 2013.

Le prix du lait est une source récurrente de tensions entre les agriculteurs et l’industrie agroalimentaire. L’année dernière, Puleva a dû faire face à une forte opposition de la part des agriculteurs andalous, où l’entreprise se procure un tiers de son lait, lorsqu’elle a voulu diminuer drastiquement les prix d’achat.

En 2015, la Commission nationale des marchés et de la concurrence a infligé une amende de 88 millions d’euros à ce « cartel du lait ».

Les défendeurs ont fait appel, mais la commission a confirmé les sanctions en 2019. L’amende a été réduite à 80,6 millions d’euros, mais les sociétés laitières ont fait appel devant l’Audience nationale.

La voie à de nombreuses autres demandes de compensation

La récente décision pourrait faire l’objet d’un recours devant la Cour suprême, mais elle ouvre surtout davantage la porte aux agriculteurs qui souhaitent obtenir une compensation financière pour les infractions à la législation sur la concurrence.

Eskariam, un cabinet d’avocats spécialisé dans les litiges commerciaux et les actions collectives qui a défendu les agriculteurs espagnols devant le tribunal, affirme avoir recueilli jusqu’à présent plus de 7 000 plaintes dans le cadre de l’action civile conjointe. Le cabinet estime que les agriculteurs peuvent réclamer 10 % de leur chiffre d’affaires pendant la période sanctionnée, que les exploitations soient encore en activité ou non.

Union agrarias, un syndicat d’agriculteurs de Galice à l’origine de l’action en justice, « s’est réjoui qu’après des années de lutte et de revendications, l’Audience nationale reconnaisse l’existence du cartel du lait ».

Le syndicat va maintenant se concentrer à « promouvoir les demandes individuelles des agriculteurs touchés par le cartel » et à déterminer l’indemnisation à laquelle chacun peut prétendre.

Il estime que près de 50 000 agriculteurs pourraient être indemnisés, en se référant au nombre d’exploitations ayant vendu du lait au cours de ces années, ce qui pourrait représenter 1 milliard d’euros de dommages financiers. Les agriculteurs ont jusqu’au mois de juillet pour se joindre à l’action collective.

Le verdict intervient également au milieu des mouvements de protestations des agriculteurs à travers plusieurs pays européens, dénonçant entre autres pour la plupart leurs difficultés financières face aux prix d’achat imposés sur les marchés.

Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.