Le gouvernement israélien a adopté la semaine dernière une loi concernant la présence de la nourriture fermentée, le hametz, dans les hôpitaux pendant Pessa’h, ravivant une question controversée avant le début de la Pâque juive. Le gouvernement avance que le loi n’a pas d’importance, tandis que l’opposition considère qu’elle montre comment il introduit du conservatisme religieux dans la société israélienne.
Pessa’h, la fête de la Pâque juive, commence le 5 avril au soir pendant une semaine.
Et le 28 mars dernier, le Parlement israélien, la Knesset, a adopté en dernière lecture des amendements à la Loi sur les droits des patients concernant l’interdiction du hametz (les aliments fermentés) dans les hôpitaux pendant Pessa’h.
Selon la loi, les directeurs d’hôpitaux ont désormais autorité pour décider des interdictions et des restrictions concernant la présence de hametz dans l’hôpital pendant Pessa’h. Chaque hôpital doit désormais placer des panneaux indiquant les règles dans le bâtiment. Et comme le personnel de sécurité à l’entrée vérifie les sacs pour empêcher l’entrée d’armes à feu et de bombes, ils peuvent maintenant aussi chercher du hametz si on leur en donne l’ordre. Et cela peut s’appliquer aussi bien aux patients et visiteurs qu’au personnel de l’hôpital.
La Halakha (la loi juive) interdit strictement la consommation et la possession d’aliments contenant des céréales levés (hametz) tel que le pain au levain pendant les sept jours (huit en dehors d’Israël) de la fête de la Pâque. Elle célèbre l’exode juif d’Égypte pour échapper à l’esclavagisme, ne laissant pas le temps pour le pain de lever.
De nombreux juifs israéliens, même parmi les non-pratiquants, évitent le hametz pendant cette période. Mais ils doivent également éliminer toute trace de hametz à la maison, ce qui les amène souvent à brûler de la nourriture et à faire un ménage de printemps méticuleux avant le début de la fête.
Le gouvernement a perdu sa majorité l’année dernière après l’envoi d’une note aux hôpitaux
Les cuisines des hôpitaux servent de la nourriture casher, mais le fait d’apporter du hametz pendant la Pâque – et de potentiellement « contaminer » un espace, de la nourriture et des ustensiles avec – dans un bâtiment public où les personnes peuvent difficilement s’abstenir de se rendre, a refait surface au milieu d’un contexte politique et social tendu. Sujet qui revient souvent sur la table, la nourriture fermentée dans les hôpitaux était récemment à l’origine de la chute de la coalition gouvernementale l’année dernière.
En avril dernier, Idit Silman a soudainement démissionné de la coalition gouvernementale du Premier ministre de l’époque, Naftali Bennett, estimant que le gouvernement portait atteinte à « l’identité juive de l’État d’Israël et du peuple d’Israël ». En conséquence, le gouvernement a perdu sa majorité à la Knesset. Mme Silman avait attaqué l’ancien ministre de la santé Nitzan Horowitz quelques jours plus tôt parce qu’il avait envoyé une note à l’administration hospitalière pour leur rappeler d’obéir à une décision de justice selon laquelle les hôpitaux ne pouvaient pas interdire les personnes d’apporter de la nourriture non casher pour Pessa’h.
En effet en 2018, Adalah, le Centre juridique pour les droits des minorités arabes en Israël, avait déposé une requête auprès de la Haute Cour de justice contre les interdictions de hametz, qui relevait selon lui d’une « pratique dégradante consistant à humilier les patients, les employés et les visiteurs qui ne respectent pas les régimes alimentaires juifs ».
Dans une décision finale, la Cour suprême a estimé en avril 2020 que les hôpitaux n’avaient pas le pouvoir d’interdire le hametz dans leurs locaux pendant toute la durée de la Pâque sans violer la liberté de religion d’un individu. Elle a également statué que « les hôpitaux devraient permettre que de la nourriture (y compris du hametz) soit apportée dans leur enceinte pendant la fête de Pessa’h, tout en mettant en place des dispositions appropriées qui permettront de maintenir que de la nourriture casher soit servie par l’hôpital ».
Les juifs ultra-orthodoxes veulent une interdiction totale du hametz dans les hôpitaux pendant Pessa’h
Cette décision avait suscité la colère des partis ultra-orthodoxes qui ont présenté un projet de loi maintenant qu’ils font partie de la nouvelle coalition majoritaire du gouvernement le plus à droite et le plus religieusement conservateur de l’histoire d’Israël.
La démission de Mme Silman, aujourd’hui membre du Likoud de Benjamin Netanyahu et ministre de la protection de l’environnement, l’année dernière était perçue comme n’étant qu’un prétexte pour se retirer lorsqu’elle déclarait alors que M. Horowitz avait franchi une « ligne rouge », rapportait le Times of Israel. L’ancien ministre des affaires religieuses Matan Kahana avait estimé que la réaction était disproportionnée car, malgré la décision de justice de 2020, les hôpitaux continuaient de demander aux personnes de ne pas apporter de hametz, pas plus qu’ils n’en auraient servi.
M. Kahana a réagi au projet de loi récemment adopté en déclarant qu’il « aurait été largement adopté en temps normal », considérant que les directeurs d’hôpitaux sont ceux qui devraient décider des règles de leurs établissements. Mais il a affirmé que « la façon dont le projet de loi a été adopté ne fait que jeter de l’huile sur le feu » et a appelé à éviter les « provocations inutiles ».
Les amendements, qui rappellent la loi controversée sur le hametz introduite en 1986, ont été adoptés avec 48 membres de la Knesset pour et 43 contre, en plein milieu d’un mouvement de protestation sociale inédit en Israël et un jour après que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a décidé de retarder une réforme judiciaire controversée.
Le gouvernement affirme que la loi ne changera rien en l’état et qu’elle n’est que la conséquence d’une décision de justice. Pour Moshe Gafni, membre de la Knesset et chef du parti ultra-orthodoxe Judaïsme unifié de la Torah, « ce projet de loi est superflue. […] Après plus de 70 ans de gestion paisible et sans problème des hôpitaux du pays, les [tribunaux] nous ont mis en colère [en décidant] qu’un directeur d’hôpital n’avait pas le pouvoir d’intervenir dans ce domaine.… [et] ont décidé que l’octroi d’une telle autorité devait être inscrit dans la loi », a‑t-il déclaré au Jerusalem Post.
L’opposition voit dans cette loi un moyen pour le gouvernement d’introduire du conservatisme religieux dans la société israélienne. Gilad Kariv, du parti travailliste, a tweeté mardi dernier qu’elle portait atteinte à « la liberté de religion et de conscience ». Il affirme qu’il n’y a pas d’obligation d’empêcher les autres de manger du hametz, et que le hametz doit être caché de la vue uniquement dans l’espace personnel d’une personne. Il craint qu’une telle loi finisse par se répandre à d’autres espaces publics.
Le hametz uniquement interdit que dans les espaces publics pendant la Pâque juive
De nombreux responsables d’hôpitaux déclarent qu’ils ne fouilleraient pas les sacs à la recherche de hametz ni ne l’interdirait. Mais dimanche, la sécurité d’un hôpital de Netanya, une ville dans le centre d’Israël, aurait confisqué des cookies qui n’étaient pas casher pendant Pessa’h à une femme enceinte qui venait effectuer un examen de contrôle selon Mako, l’un des sites d’information les plus lus d’Israël. Il n’est pas déterminé si la personne a reçu des instructions spécifiques de la part de la direction de l’hôpital.
Selon un récent sondage réalisé par l’Institut israélien pour la démocratie auprès de 608 personnes en hébreu et 173 personnes en arabe, 48 % des personnes interrogées pensent que l’on devrait être autorisé à apporter du hametz dans les hôpitaux pendant les jours intermédiaires de Pessa’h (du 2ème au 6ème jour), tandis que 44 % s’y opposent.
Une grande majorité (76 %) s’oppose à ce que le personnel soit autorisé à fouiller les sacs des visiteurs à la recherche de hametz pendant les jours intermédiaires de la fête, et une majorité de répondants juifs (59 %) est favorable à la création d’aires spécifiques dans les hôpitaux pour les personnes qui mangent du pain au levain, une possibilité autorisée par la loi. Mais les partisans de la coalition gouvernementale soutiennent largement (72 %) l’interdiction totale du hametz dans les hôpitaux pendant la Pâque juive.
La loi sur le hametz, introduite en 1986, stipulait qu’un propriétaire d’entreprise ne pouvait pas exposer publiquement un produit levé pour la vente ou la consommation pendant la Pâque, afin d’éviter de blesser les personnes. En 2008, un tribunal de Jérusalem a statué qu’un magasin ou un restaurant n’était pas un lieu public et pouvait vendre du hametz pendant Pessa’h. Les ultra-orthodoxes ont tenté en vain de supprimer la mention de l’espace public et ont voulu interdire complètement la vente de hametz. À l’inverse, plusieurs tentatives d’abrogation de la loi ont également échoué.