En Irlande, une décision de la Cour Suprême agite les consciences à la veille d’un grand référendum sur la famille

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23 janvier 2024

La Cour Suprême a rendu un avis favorable face à une contestation constitutionnelle d’un homme qui s’est vu refuser l’accès à sa pension de veuf, sous prétexte qu’il n’était pas marié à sa partenaire de longue date. La décision intervient quelques mois avant le grand référendum constitutionnel sur la famille, prévu pour le 8 mars 2024.

Un couple dans les rues de Dublin, en Irlande
Un couple dans les rues de Dublin, en Irlande. Le 8 mars, le pays se prononcera par référendum sur la modification de la Constitution et de la définition de la famille. | © Andrea Leopardi

John O’Meara, un homme originaire de la région de Tipperary en Irlande, s’est vu refuser le paiement d’une pension de veuf après le décès de sa compagne de près de 20 ans et mère de ses enfants, Michelle Batey. La raison ? Une législation sur la protection sociale qui stipule qu’un tiers peut bénéficier d’une pension de veuf/veuve uniquement si les deux parties étaient mariés ou pacsés civilement. Mme Batey est décédée en 2021 après avoir contracté le Covid-19, alors qu’elle se remettait d’un cancer du sein.

M. O’Meara a contesté la constitutionnalité de cette législation sur la protection sociale devant la Cour Suprême, composée de sept juges, qui a pris la décision ce lundi d’annuler le refus de l’allocation, jugeant que la décision était invalide au regard de la Constitution.

Ce jugement intervient quelques mois avant l’organisation d’un référendum visant à modifier l’article 41 de la constitution irlandaise. Le gouvernement avait en effet approuvé en décembre dernier un projet de formulation de modifications qui permettront d’élargir la définition et conception de la « famille » au sens large. Les passages sujets à modification concernent notamment l’article 41.3.1 : « l’État s’engage à garder avec un soin particulier l’institution du mariage, sur laquelle est fondée la famille, et à la protéger contre toute attaque. »

Mariage ou « autres relations durables »

Le schéma général du trente-neuvième amendement au projet de loi constitutionnelle propose d’insérer les mots « qu’elles soient fondées sur le mariage ou sur d’autres relations durables » pour définir la « famille » au sens général du terme. La protection actuelle accordée aux familles en vertu de la Constitution, telle qu’elle est actuellement rédigée, ne s’étendant qu’aux familles mariées.

Ce référendum, qui se tiendra le 8 mars 2024 à l’occasion de la Journée internationale de la Femme, « renforcera le fait que l’Irlande est une nation moderne et inclusive qui s’efforce de traiter et de prendre soin de tous ses habitants de manière égale », avait alors déclaré le Premier ministre irlandais Leo Varadkar, comme rapporté par la BBC.

La FLAC (Free Legal Advice Center), une organisation irlandaise de défense des droits de l’homme qui promeut l’égalité d’accès à la justice et représentante de M. O’Meara, a estimé dans un communiqué que le jugement de ce cas renforce les arguments en faveur de ce référendum, arguant que l’affaire a été tranchée sur des bases « d’égalité et de justice », et non sur la base du fait que les O’Meara étaient une « famille » au sens de l’article 41 de la Constitution.

Dans son jugement, le juge en chef Donal O’Donnell a déclaré : « Pour ma part, je ne trouve ni attrayant, ni admirable le concept exclusif de famille contenu dans l’article 41 de la Constitution de 1937, ni bien adapté à une société contemporaine. C’est au peuple de choisir de quelle manière cette disposition doit être modifiée. »

Le juge Donal O’Donnell a déclaré au tribunal que la distinction dans la législation entre un couple marié et un couple non marié était « arbitraire et capricieuse ». S’exprimant après l’audience, M. O’Meara s’est dit ravi de la décision, soulignant qu’elle aiderait de nombreuses autres familles dans des situations similaires.

« La décision du juge confirme que la protection constitutionnelle de la famille en vertu de l’article 41 est limitée à la famille conjugale. La FLAC soutient la réforme constitutionnelle visant à étendre les protections existantes à diverses familles », a commenté Eilis Barry, directeur général de la FLAC, demandant également la publication détaillée du projet de loi décrivant les changements que l’amendement « famille » proposé entraînerait.

Les femmes « pas obligées de travailler au détriment de leurs devoirs domestiques »

D’autres passages de l’article 41 sujets à modification concerne la définition du rôle de la femme au sein du foyer. L’article 41.2.1 stipule en effet que « l’État reconnaît que par sa vie au sein du foyer, la femme apporte à l’État un soutien sans lequel le bien commun ne peut être réalisé », et l’article 41.2.2 que « l’État s’efforcera donc de garantir que les mères ne soient pas obligées, par nécessité économique, de travailler au détriment de leurs devoirs domestiques ».

L’Irlande s’est progressivement éloignée de la vision catholique conservatrice du pays en modifiant sa constitution à plusieurs reprises – d’abord en 1973 en supprimant sa déclaration sur « la position particulière de la Sainte Église catholique apostolique et romaine » ; puis en 2015 en devenant la première nation au monde à voter pour légaliser le mariage homosexuel ; et plus récemment en 2018, en légalisant l’avortement et en supprimant le « blasphème » des listes des crimes.

L’un des amendements proposés remplacera la clause limitant la place des femmes au foyer par un nouvel engagement de l’État à valoriser le travail « de tous les aidants familiaux ».

Au moment de l’annonce, le ministre de l’Intégration et de l’égalité, Roderic O’Gorman, avait alors déclaré via un communiqué publié sur le site de son parti que « la place d’une femme est là où elle veut qu’elle soit. La référence archaïque à la place de la femme au foyer n’a pas été bénéfique pour la vie des femmes dans ce pays. L’essentiel est que les femmes choisissent les rôles qu’elles jouent dans notre société. »

Cependant, contrairement aux recommandations du comité multipartite chargé d’examiner la question, le gouvernement avait décidé de ne pas tenter d’ajouter une nouvelle disposition concernant « l’égalité des sexes » à la Constitution, en partie parce que cela risquait de transformer une simple campagne du « oui » en une « bataille toxique sur les droits des transgenres ». M. Varadkar avait à l’époque déclaré que la coalition tripartite avait décidé que la constitution contenait déjà « un engagement global en faveur de l’égalité » et ne devrait pas détailler davantage ce point.

« Nous pensons qu’en élevant une catégorie particulière, par exemple celle de la discrimination fondée sur le sexe, cela pourrait involontairement en dévaloriser d’autres, comme celles liées au handicap, à la race ou à l’origine ethnique », avait-il alors déclaré.

Julie Carballo

Julie Carballo est correspondante pour Newsendip.

Auparavant, elle a notamment travaillé pour Le Figaro et au bureau de Rome pour l'AFP.