La dépendance au spray nasal affecte 700 000 personnes en Norvège

3 minutes de lecture
5 mars 2024

La Norvège est confrontée à une crise sanitaire inattendue : 700 000 personnes se retrouvent sous l’emprise d’une dépendance. Non pas à des substances illégales, mais plutôt aux gouttes dans le nez en vente libre.

Des étagères de médicaments dans une pharmacie en Norvège.
Les sprays nasaux peuvent être achetés sans ordonnance en Norvège | © Gorm Kallestad

Selon l’Institut norvégien de santé publique (FHI), les ventes de vaporisateurs nasaux en vente libre ont connu une augmentation de de 36 % entre 2018 et 2022. Rien qu’en 2022, il y a eu pas moins de 8,8 millions de boîtes de gouttes vendues pour décongestionner les muqueuses nasales.

Et cette dépendance est très coûteuse et perturbante pour des personnes comme Gulla, une jeune femme de 22 ans qui a fait part de ses difficultés au magazine Kvinner og Klær, la plus ancienne publication norvégienne sur la santé des femmes. Elle décrit une sensation de claustrophobie et d’étouffement lorsqu’elle n’utilise pas le spray de manière régulière tout au long de la journée et de la nuit. Les dommages causés à ses muqueuses font qu’elle ne peut pas respirer correctement sans être constamment soulagée par ces gouttes dans le nez.

Sverre Steinsvåg, médecin-chef d’un hôpital du sud de la Norvège et professeur des maladies ORL à l’université de Bergen, surveille de près ce phénomène récent. Il a étudié les effets des sprays nasaux et les raisons pour lesquelles les personnes devenaient accros. Il estime qu’environ 700 000 Norvégiens abusent de leur utilisation, qualifiant la crise d”  »énorme problème de santé publique ».

L’addiction aux sprays nasaux n’est pas exclusive à la Norvège, mais ces sprays s’achètent sans ordonnance, ce qui rend difficile l’enregistrement du nombre de personnes qui les achètent. Et il n’y a pas eu beaucoup d’études en dehors de la Norvège portant sur le nombre de personnes dépendantes.

Pourtant, aux États-Unis, les médecins estiment que le nombre de personnes dépendantes avoisine les 10 millions.

Selon Medical News Today, beaucoup de médecins reprochent à l’industrie de tirer parti de la nature addictive des sprays nasaux pour faire prospérer le business, car il est connu que des sprays nasaux chimiques peuvent créer une dépendance aussi forte que celle causée par la morphine.

Quelles sont les causes de la dépendance ?

La popularité croissante de ces gouttes pour le nez a suscité des interrogations sur les raisons pour lesquelles elles étaient addictives.

Les ingrédients actifs, l’oxymétazoline ou la xylométazoline, attaquent les muqueuses et ralentissent l’afflux sanguin. Agissant comme des décongestionnants localisés et des médicaments vasoconstricteurs, ils provoquent un rétrécissement des tissus nasaux, réduisant ainsi le gonflement et la congestion. Ils apportent un soulagement rapide à la congestion nasale associée aux rhumes et allergies par exemple.

Mais les symptômes réapparaissent quelques heures plus tard, lorsque l’irrigation sanguine atteint à nouveau les membranes nasales, ce qui les fait gonfler. Plutôt que de traiter la cause sous-jacente de la congestion, ces sprays nasaux ne font que masquer les symptômes pendant une courte période.

La recherche du professeur Steinsvåg met en garde contre l’utilisation prolongée de sprays nasaux décongestionnant pour les muqueuses, révélant le risque du retour de la congestion, dit « congestion rebond ». Ce phénomène se produit lorsque les voies nasales se congestionnent davantage après l’arrêt du médicament. Si le spray est utilisé tous les jours pendant plus de 10 jours consécutifs, une inflammation de la muqueuse nasale se produit et l’utilisateur peut devenir dépendant.

Les chercheurs expliquent que le sevrage doit être effectué progressivement. Cela prend six à huit semaines et peut être très pénible pour les patients. CEGLA Medizintechnik, fabricant allemand de technologies médicales, propose une méthode consistant à diluer le spray nasal pendant quelques jours avec une solution saline, permettant ainsi un sevrage progressif.

Sans le spray, Gulla se sent incapable de fonctionner ; elle a du mal à parler, à manger et à faire une activité physique. Elle est dépendante des sprays nasaux depuis l’âge de 10 ans, ayant essayé à plusieurs reprises d’arrêter sans succès.

Quelle est la solution ?

Face à ce phénomène inquiétant, les médecins norvégiens ont cherché des solutions. Les sprays nasaux alternatifs, tels que les sprays salins, peuvent fluidifier le mucus, tandis que les sprays corticostéroïdes (anti-inflammatoires) peuvent réduire l’inflammation sans provoquer d’accoutumance aux médicaments.

Le professeur Steinsvåg mène donc une étude auprès de 200 patients norvégiens afin de comparer les effets des sprays nasaux salins à ceux d’une solution hypertonique d’eau de mer non diluée qui réduira le gonflement de la muqueuse nasale plus efficacement qu’une simple solution saline. L’objectif est de proposer aux patients un processus de sevrage plus facile à gérer que les sprays que Gulla utilise et dont elle n’a à ce jour pas réussi à se passer.

Correction 6 mars : L’article a été modifié pour citer le professeur Steinsvåg pour l’estimation du nombre de Norvégiens abusant de spray nasal et pour clarifier la suggestion de sevrage au produit.

Claire Rhea

Claire est journaliste pour Newsendip.

Elle a grandi à Londres et possède la double nationalité américaine et française. Elle est diplômée en sciences politiques et économie de l'Université McGill à Montréal. Elle a également vécu en Italie.