La Nouvelle-Zélande décide de supprimer l’autorité sanitaire Māori seulement 18 mois après sa création

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6 mars 2024

Le gouvernement de coalition de Nouvelle-Zélande a lancé un processus urgent d’abolition d’une politique de santé dédiée à la population Māori. Ce projet de loi révèle un plan plus large visant à inverser les politiques progressistes en matière d’environnement et de droits des populations indigènes mises en place par le précédent gouvernement travailliste.

Debbie Ngarewa-Packer, co-leader du Te Pāti Māori, prononce un discours au Parlement sur le projet de loi d'amendement du Pae Ora (désétablissement de l'autorité sanitaire maorie) le 28 février.
La co-dirigeante du Pāti Māori, Debbie Ngarewa-Packer, a accusé le gouvernement de traiter le peuple maori comme un « consommable » | © Parlement Nouvelle-Zélande

La semaine dernière, le gouvernement de centre-droit a initié un changement de loi en urgence pour supprimer l’Autorité de santé Māori en Nouvelle-Zélande, 18 mois seulement après sa création, ce qui a suscité des mouvements d’indignation et des manifestations dans tout le pays. Le projet de loi ayant été adopté en troisième lecture le 28 février par 68 voix contre 54, le système de santé public absorbera l’autorité d’ici le 30 juin.

Le processus accéléré du Pae Ora (Suppression de l’autorité sanitaire Māori) Amendment Bill a entraîné l’exclusion des voix Māori, étant donné que la possibilité pour le tribunal d’évaluer la réforme est reportée à une date ultérieure à sa promulgation. Cela a conduit les critiques du parti travailliste dans l’opposition à dénoncer l’approche du gouvernement comme étant « évasive et lâche ».

La mesure contredit explicitement le traité de Waitangi, le document fondateur de la Nouvelle-Zélande vieux de 180 ans, qui stipule que « les prestataires de soins de santé financés par la Couronne ont la responsabilité de permettre aux Māori d’exercer leur tino rangatiratanga (autorité) sur leur propre santé et leur bien-être ».

Le gouvernement insiste cependant sur le fait que cette mesure permettra de rationaliser la bureaucratie et de rapprocher les soins de santé de toute la Nouvelle-Zélande « du domicile et de la communauté ».

Bien que le gouvernement ait inclus la fin du système de santé Māori dans un plan de 100 jours et que le premier ministre Christopher Luxon, du Parti national de centre-droit, affirme avoir été très clair sur ses objectifs, il réside un flou sur les alternatives pour une population qui fait face à des désavantages sociaux et médicaux criants.

Une population défavorisée

Par exemple, les Māori, qui représentent 17 % de la population néo-zélandaise, ont une espérance de vie inférieure de 7 ans.

L’autorité sanitaire Māori avait pour objectif d’inverser cette tendance en accordant aux Māori une certaine autonomie médicale, surtout si l’on considère la manière dont elle a réussi à administrer les vaccins contre le Covid-19 à sa population en travaillant avec les familles et les communautés.

Cependant, lors de la création de l’Autorité de santé, le Parti national avait déjà exprimé son désaccord, préférant trouver une solution aux inégalités en matière de santé au sein du même système, plutôt que de créer un second cadre de soins de santé.

Le projet de supprimer les soins de santé pour les Māori a donc, sans surprise, suscité des protestations dans tout le pays et provoqué un débat passionné au Parlement.

L’autorité sanitaire représentait un premier pas vers la réalisation du tino rangitiratanga (autodétermination) pour les Māori, qui ont toujours été déçus par le système de santé public.

Debbie Ngarewa-Packer, députée et codirigeante du parti politique ethnique Te Pāti Māori, a exprimé sa déception envers le gouvernement au nom du peuple Māori, en déclarant que « le système de santé a complètement déçu mon kaumatua [aîné Måori], ma propre génération et mes mokopuna [petits-enfants]. Nous n’avons pas échoué. Nous avons dû supporter un système qui nous a été imposé. »

Critiques à l’encontre du nouveau gouvernement

Le gouvernement de coalition composé du parti national et de deux autres partis minoritaires de droite, New Zealand First et Act New Zealand, a pris ses fonctions en novembre à la suite de la démission de Jacinda Ardern du parti travailliste en 2023.

Bien que respectée dans le monde entier pour son leadership progressiste, l’ancienne première ministre a dû faire face à des critiques de plus en plus vives pour les restrictions strictes imposées par son gouvernement en matière de lutte contre le Covid-19 et pour la hausse du coût de la vie, ce qui a poussé les électeurs à se tourner vers le Parti national.

Pourtant, le nouveau gouvernement a provoqué des manifestations dans tout le pays en revenant sur les progrès accomplis grâce à ses politiques conservatrices. La BCC rapporte que mardi dernier, 300 voitures ont bloqué des routes à Aukland, où deux personnes ont été arrêtées. Des manifestants sont également descendus dans les rues de Wellington.

Outre l’abolition de l’autorité sanitaire Māori, le gouvernement s’est engagé à réinterpréter le traité de Waitangi menaçant les droits, l’allocation de fonds et le pouvoir politique attribués au peuple Māori.

Pour financer l’impôt sur le revenu, l’interdiction nationale de fumer est également en passe d’être supprimée, ce qui affectera les Māori de manière disproportionnée.

Les dirigeants Māori ont qualifié le gouvernement d”  »anti-Māori » malgré ses promesses d’agir dans l’intérêt des deux parties de la population néo-zélandaise.

La suppression de l’autorité de santé est considérée comme une tentative de « recolonisation » des Māori, annulant des décennies de progrès. Mme Ngarewa-Packer a exprimé ce point de vue en déclarant que « ce gouvernement nous a appris que les Māori ne sont pas indispensables ». Le premier ministre Luxon a néanmoins justifié l’annulation d’une politique de discrimination positive par la nécessité d’éviter les divisions raciales dans la société.

Claire Rhea

Claire est journaliste pour Newsendip.

Elle a grandi à Londres et possède la double nationalité américaine et française. Elle est diplômée en sciences politiques et économie de l'Université McGill à Montréal. Elle a également vécu en Italie.