La désignation des personnes handicapées dans la Constitution espagnole en passe d’être modifiée

3 minutes de lecture
21 janvier 2024

Ce qui n’est que la troisième réforme visant à modifier la Constitution espagnole a été adoptée à la quasi-unanimité par le Congrès. Depuis 40 ans, les associations espagnoles plaidaient en faveur d’une modification de la formulation de la Constitution pour désigner les personnes handicapées, jugée offensante par les personnes concernées.

Le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez
Le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez s’adressant au Congrès et aux associations représentatives de personnes handicapées le 18 janvier | © Congreso de los Diputados

Jeudi, le Congrès espagnol s’est réuni pour discuter de la modification d’un terme particulier de la Constitution espagnole. En effet, l’article 49 de la Constitution espagnole, en vigueur depuis 1978, utilise le terme « disminuidos » pour désigner les personnes souffrant de handicaps.

Car si l’agence de presse gouvernementale espagnole, BOE, traduit ce terme de la Constitution par « handicapés » en français, mais également « handicapped » en anglais, la signification littérale de ce mot en espagnol correspond bien à « diminués », ce qui est considéré offensant par les groupes juridiques et de défense des personnes handicapées en Espagne.

Les deux principaux partis rivaux en Espagne, le Parti populaire (PP) et le Parti socialiste ouvrier espagnol  (PSOE), se sont mis d’accord pour proposer une modification de cet article, en remplaçant le mot par « personas con discapacidad » pour désigner les personnes handicapés, ce qui pourrait se traduire littéralement par « personne avec un handicap ».

Des mots similaires à « persons with disability » en anglais qui sont recommandés par les Nations Unies afin de favoriser l’inclusivité, en n’omettant pas de faire référence à des personnes et non uniquement à un handicap.

Le vote incluait d’autres modifications dans l’article 49 qui ont également été adoptées à une large majorité. Ce ne sera que la troisième fois que la constitution espagnole sera modifiée depuis sa création.

Débat et raisons de la modification

Le projet de loi a été facilement adopté par le Congrès avec 310 voix en faveur du changement.

Les 33 votes négatifs appartiennent tous au parti d’extrême droite Vox, dont la porte-parole, Lourdes Mendez Monasterio, estime que les changements ne vont pas assez loin, même si elle est d’accord avec la suppression du terme « disminuidos ». Lourdes Mendez Monasterio a déclaré que les changements ne « remboursaient pas la dette du gouvernement » envers les personnes handicapées et que l’ajout de l”  »idéologie du genre » pourrait entraîner une discrimination injustifiée.

Son commentaire fait référence aux dispositions supplémentaires accordées aux femmes handicapées et aux enfants handicapés dans le cadre de l’amendement, dont les besoins devront faire l’objet d’une « attention particulière », conformément aux modifications à apporter à l’article 49.

Néanmoins, la modification a été accueillie à bras ouverts par les groupes représentant les personnes handicapées en Espagne, notamment en raison de la modification du terme « disminuidos ».

Le CERMI, un groupe de défense juridique et sociale des personnes handicapées, avait lancé une campagne de communication pour inciter les partis politiques à supprimer le terme « disminuidos », qu’il qualifie de « terminologie blessante ». L’ONG espagnole COCEMFE, dont l’objectif est d’inclure les personnes handicapées dans la société, s’est jointe à la campagne, demandant que le projet de loi soit adopté à l’unanimité. Plusieurs autres groupes et associations se sont également joints au mouvement.

COCEMFE a également dissuadé le public d’utiliser les termes de « handicapé » ou « invalide » seuls, car la terminologie devrait refléter le fait que ces mots se réfèrent à des personnes au-delà de leur seule condition physique ou mentale, ce qui est également la position de l’Union européenne.

Le « retard » du gouvernement espagnol

La modification devrait intervenir quelques années après une autre mesure législative bénéficiant directement les personnes handicapées.

Depuis 2020, il n’est en effet plus autorisé de stériliser les personnes handicapées de force en Espagne, une pratique qui reste encore légale dans 13 pays de l’UE (Bulgarie, Croatie, Chypre, Danemark, Estonie, Finlande, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Portugal, République tchèque et Slovaquie), d’après le Parlement européen en décembre 2023.

Une loi sur l’euthanasie, adoptée en 2023, permet à tous les Espagnols de demander l’euthanasie en toute légalité s’ils sont atteints d’une maladie grave. Le projet de loi y prévoit des dispositions qui devraient être accordées aux personnes handicapées afin de les aider à prendre des décisions en toute autonomie.

Un projet de loi sur l’avortement, en vigueur depuis 2010 et modifié en 2023, permet également aux femmes enceintes d’avorter si leur enfant présente des « anomalies graves ». Cette législation avait été critiquée comme étant eugénique et inconstitutionnelle. Mais la Cour constitutionnelle a estimé en 2023 que cette loi concernait les anomalies relatives à la santé de l’enfant, et non les handicaps.

Le président du gouvernement de l’Espagne et du PSOE, Pedro Sanchez, a admis que le gouvernement était arrivé « en retard » avec cette modification d’une Constitution vieille de 46 ans et que « changer un mot ne changera pas la réalité ».

Il a ajouté qu’il y a « beaucoup d’autres réformes » que les personnes attendent, mais a défendu la « visibilité, l’inclusion et la diversité » apportées par cet amendement.

Le Sénat doit encore se prononcer sur la proposition de modification avant que la Constitution puisse être officiellement modifiée.

Alexander Saraff Marcos

Alexander est rédacteur pour Newsendip.

Il possède la double nationalité américaine et espagnole et vit entre l'Espagne et la France. Il est diplômé de l'université de Pittsburgh avec une spécialisation en philosophie et en langue française. Il aime regarder et écrire sur l'e-sport sur son temps libre.