La Garde nationale mexicaine, l’organe de l’armée qui exerce des fonctions de police nationale, doit enregistrer les arrestations qu’elle effectue, mais n’est pas tenue d’en informer la police, juge la Cour suprême. Les défenseurs des droits de l’homme critiquent l’opacité des militaires.
La Cour suprême du Mexique a confirmé le 24 janvier que la Garde nationale doit consigner dans un registre les arrestations de civils qu’elle effectue. Mais elle n’est pas tenue d’en informer la police.
La loi nationale du registre des détentions votée en 2019 visait à répondre à la nécessité de disposer d’un registre fiable et actualisé des civils arrêtés. Les institutions de sécurité publique enregistreraient toutes les détentions qui ont lieu dans le pays afin d’améliorer leur transparence, de garantir l’intégrité des personnes détenues et d’éviter les trop nombreuses disparitions mystérieuses.
La loi résulte de la création de la Garde nationale en 2019, groupe de l’armée doté de fonctions de police nationale et d’autorité sur les civils après que le Congrès a dissous la police fédérale. Le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador l’a créée par décret dans le cadre de sa stratégie de lutte contre le crime organisé. La police fédérale fut impliquée dans de nombreuses affaires de corruption tandis que des policiers locaux abandonnent parfois même leur poste par crainte des groupes criminels.
Le président du Mexique a fortement augmenté les moyens, le pouvoir et l’autonomie des militaires. Des tâches traditionnellement réservées aux instances de sécurité civile ont été transférés aux militaires, tels que le maintien de l’ordre dans l’espace public, le contrôle des douanes, de l’immigration clandestine, la gestion de programmes sociaux et l’administration des projets de travaux publics. Les militaires peuvent aussi légalement détenir des civils, prendre en charge les scènes de crime et collecter les preuves. « Confier ces tâches à l’armée a, par le passé, contribué à des violations des droits de l’homme, » alerte Human Rights Watch.
Le Congrès a officiellement transféré en 2022 les fonctions de police fédérale sous l’égide du ministère de la Défense.
Mais la loi sur le registre des détentions avait été contestée en justice par la Commission nationale des droits de l’homme, un organisme public autonome chargé d’enquêter sur les violations des droits de l’homme, souvent critiqué pour son coût et son inefficacité.
Dans l’article 19 de la loi, lorsque les autorités chargées du maintien de l’ordre public procèdent à une arrestation, elles doivent immédiatement en informer les agences de sécurité civile afin qu’elles l’enregistrent. La loi s’applique à la Garde nationale, mais elle ne précise pas que cette dernière doit également se conformer à l’article 19.
En résumé, la Commission des droits de l’homme considère la loi trop vague car on pouvait estimer que les militaires ne sont pas tenus de signaler les arrestations de civils.
Mais la Cour suprême soutient que la loi doit être comprise comme une obligation pour les militaires d’enregistrer les arrestations dans la base de données numérique. Ils ne sont en revanche pas tenus d’informer les autorités civiles mais ils doivent mettre à jour le registre eux-mêmes dans ce cas. Les forces de sécurité civile, telles que la police municipale ou d’État, peuvent alors ne pas être au courant d’une arrestation effectuée par la Garde nationale, les mettant un peu plus de côté et renforçant le pouvoir des militaires.
Le sénateur indépendant Emilio Álvarez Icaza Longoria et ancien secrétaire exécutif de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, a dénoncé dans un tweet que la décision de la Cour suprême laisse l’obligation d’enregistrer les arrestations « au bon vouloir des militaires » et ajoute que « l’opacité militaire pour violer les droits de l’homme a désormais l’aval de la loi ».
Les organisations mexicaines de défense des droits humains rejettent la militarisation du Mexique et critiquent les militaires pour leurs nombreuses irrégularités lors des arrestations. Depuis 2018, le nombre de plaintes de la commission des droits humains contre l’armée et la Garde nationale, qui comptent entre autres des meurtres présumés, des disparitions forcées et des actes de torture, n’a cessé d’augmenter. En 2021, la commission a reçu 940 plaintes, soit le nombre le plus élevé en huit ans. De 2018 à 2020, 10 à 15 civils sont morts pour chaque décès de militaire, « indiquant un abus de la force létale », selon Lethal Force Monitor.
Le Congrès a approuvé en octobre dernier la prolongation des prérogatives de la Garde nationale sur la sécurité civile jusqu’en 2028.