La Turquie a annoncé la suppression de l’exemption de visa pour les citoyens du Tadjikistan. Cette mesure fait écho à l’implication de ressortissants tadjiks dans de récentes attaques terroristes.
Depuis 2018, les citoyens tadjiks peuvent se rendre en Turquie pour une durée maximale de 90 jours sans visa. Cette mesure prendra fin bientôt, les autorités turques ayant annoncé en début de mois qu’un régime de visa serait mis en place à partir du 20 avril.
Bien que la Turquie n’ait pas officiellement expliqué la décision, elle fait suite à une série d’attentats, dont l’attaque de la salle de concert Crocus City Hall, dans la banlieue de Moscou, le 22 mars, au cours de laquelle quatre assaillants ont massacré plus de 140 personnes. Les quatre suspects détenus par les autorités russes sont des citoyens tadjiks.
Le secrétaire de presse du ministère tadjik des affaires étrangères, Shokhin Samadi, a déclaré au média national Asia-Plus que Douchanbé, la capitale du Tadjikistan, n’avait pas été officiellement informée de ce changement. « Selon les pratiques internationales, la partie turque aurait dû informer la partie tadjike à l’avance de la date d’introduction du régime de visa pour les citoyens du Tadjikistan, a‑t-il déclaré. Nous notons que la partie tadjike n’a pas encore reçu cette information par les voies diplomatiques. »
Principe de réciprocité
Le Tadjikistan a invoqué le principe de réciprocité en annonçant l’introduction d’un régime de visa pour les citoyens turcs, comme l’a rapporté l’agence d’État Khovar, citant le ministère des Affaires étrangères du Tadjikistan, le 15 avril. Cette décision, qui a été confirmée par l’ambassadeur turc au Tadjikistan, entrera également en vigueur le 20 avril 2024.
Les détenteurs de passeports tadjiks peuvent actuellement se rendre dans 18 pays sans visa, pour des durées très variables. Parmi ces pays figurent les voisins régionaux tels que le Kazakhstan, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, la Russie et un certain nombre d’autres anciennes républiques soviétiques, ainsi que la Barbade, Haïti, les Philippines, la Malaisie et la Corée du Nord, entre autres.
En janvier dernier, deux assaillants masqués ont ouvert le feu dans une église catholique italienne à Istanbul, faisant un mort. Les autorités turques avaient dans un premier temps estimé que l’attaque semblait viser une personne en particulier, avant que le groupe djihadiste État Islamique ne revendique l’attentat. Les deux assaillants, qui ont été arrêtés, venaient du Tadjikistan pour l’un, de Russie pour le second. La police turque avait perquisitionné 30 sites et arrêté un total de 47 personnes dans le cadre de l’enquête.
Plus récemment, neuf personnes ont été interpellées par les autorités tadjikes pour leurs liens présumés avec les suspects de l’attentat de Moscou. Toutes ces personnes sont décrites comme des habitants de Vakhdat, une ville située à l’est de Douchanbé.
Un million de tadjiks en Russie
Beaucoup de tadjiks se rendent en Russie pour échapper aux bas salaires et au taux de chômage élevé dans leur pays. On estime qu’environ un million de Tadjiks travaillent en Russie, ce qui représente une part importante des 9,9 millions d’habitants du Tadjikistan.
Un villageois de Vakhdat, qui a demandé à ne pas être nommé, a déclaré à la BBC que l’un des suspects de l’attaque avait émigré pour la première fois en Russie il y a six mois. Trois mois plus tard, il s’est rendu en Turquie, avant de revenir 11 jours plus tard, au début du mois de mars. Pendant son séjour, il aurait rencontré un autre assaillant présumé de l’attentat de Moscou.
La Turquie est un point de passage commun pour les travailleurs migrants qui souhaitent renouveler leur permis russe. Lorsqu’ils se rendent en Russie, ils disposent de trois mois pour trouver une résidence et un permis de travail, qui coûte environ 430 dollars. Pour éviter de payer, certains se rendent en Turquie avant la date limite et retournent ensuite en Russie.
La Turquie, « plaque tournante de l’État islamique »
Qasimshah Iskandarov, directeur du Centre d’études sur l’Afghanistan, basé à Douchanbé, estime que les travailleurs migrants d’Asie centrale sont susceptibles d’être recrutés par des groupes radicaux.
La Turquie en particulier est devenue une plaque tournante logistique pour l’État islamique, ajoute-t-il, parce que les Tadjiks et les Russes peuvent s’y rendre sans visa.
De nombreux Tadjiks sont également radicalisés en Afghanistan, explique Qasimshah Iskandarov. Le pays, situé à quelques heures de route au sud de Douchanbé, est devenu la principale base de l’EI depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021.
Le 6 avril dernier, le ministère des Affaires étrangères du Tadjikistan rejetait l’affirmation d’un haut responsable russe de la sécurité selon laquelle l’ambassade d’Ukraine dans la capitale tadjike recrutait des mercenaires pour combattre la Russie. « Nous notons que cette affirmation du responsable russe n’a aucun fondement », a déclaré le porte-parole du ministère tadjik des Affaires étrangères, Shokhin Samadi, cité par les agences de presse russes.
Le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolai Patrushev, un allié de premier plan du président Vladimir Poutine, avait déclaré, sans fournir de preuves, que les « services spéciaux ukrainiens étaient à l’origine de la fusillade meurtrière survenue le mois dernier lors d’un concert près de Moscou et que l’ambassade ukrainienne au Tadjikistan recrutait des combattants », ont rapporté les médias d’État.