Le Pakistan poursuit son expulsion des réfugiés Afghans, avec ou sans papiers

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17 avril 2024

Le Pakistan a désigné le 15 avril comme date limite pour que les ressortissants afghans retournent en Afghanistan, sous peine d’expulsion forcée. Cette décision place des groupes vulnérables, tels que les femmes et les journalistes, dans des positions précaires alors qu’ils risquent la persécution par les talibans.

Afghanistan. Point de passage de Torkham (frontière avec le Pakistan). Novembre 2023.
Des centaines de milliers d’Afghans risquent un retour difficile après leur expulsion du Pakistan | © ONU Femmes Asie et Pacifique

Le gouvernement pakistanais a entamé la deuxième phase d’une campagne nationale contre tous les étrangers illégaux résidant dans le pays, ciblant désormais quand même ceux qui détiennent des titres de séjour valides. Le plan de rapatriement rend plusieurs centaines de milliers de ressortissants afghans vulnérables au retour sous le régime taliban, en plus des 1,7 million d’Afghans sans papiers.

Après le renvoi de plus de 500 000 Afghans lors de la première phase de rapatriement qui a commencé en novembre, le gouvernement cible désormais ceux qui détiennent des cartes de citoyenneté afghanes (ACC).

La troisième phase du plan de déportation devrait expulser ceux qui détiennent des cartes de Preuve d’enregistrement (PoR) émises par le HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, bien que ces deux groupes furent initialement exemptés du plan de rapatriement.

Pourquoi le Pakistan expulse-t-il les réfugiés afghans ?

Les relations entre le gouvernement pakistanais et les autorités talibanes sont mises à l’épreuve alors que les tensions frontalières et les activités terroristes ont considérablement augmenté depuis que le groupe fondamentaliste islamiste est revenu au pouvoir en août 2021.

Le Pakistan a connu le plus grand nombre d’incidents terroristes dans le monde en 2023, avec 490 attaques signalées. Cette augmentation a incité le gouvernement à adopter une politique plus sévère avec son voisin.

Ignorant les recommandations des organisations internationales et les avertissements sur des risques de radicalisation accrue, le Pakistan insiste sur le fait que sa nouvelle politique d’expulsion est nécessaire pour mettre la pression sur Kaboul afin de mettre fin aux activités terroristes à sa frontière.

Ce n’est pas la première fois que le Pakistan mène une campagne pour chasser les Afghans du pays. En 2016, Human Rights Watch a rapporté « le plus grand retour forcé illégal et massif de réfugiés au monde dernièrement » lorsque les autorités ont expulsé près de 365 000 réfugiés.

Une population désormais sans protection

Les cartes PoR, un document d’identité délivré aux ressortissants afghans en 2007 pour garantir leur droit légal de rester au Pakistan, ont expiré le 31 mars 2024. Pour aider davantage d’Afghans à obtenir une un titre de séjour, le gouvernement du Pakistan avait accordé des permis ACC en 2017 et 2018, mais aucun document n’a été délivré depuis.

Le gouvernement pakistanais estime qu’il y a 1,3 million de réfugiés afghans inscrits avec des permis PoR et 800 000 titulaires de cartes ACC, désormais exposés au risque d’être détenus s’ils ne partent pas d’eux mêmes.

Forcés de fuir, forcés de revenir

L’ordre d’expulsion impose le retour dans leur pays d’origine de tous les « étrangers non enregistrés » restant dans le pays à compter du 1er novembre 2023.

Mais nombre de ces réfugiés considèrent le Pakistan comme leur maison, leur famille y ayant trouvé refuge dans les années 1980, et seront confrontés à une multitude de défis s’ils sont déracinés et renvoyés en Afghanistan.

Alors que le « plan de rapatriement » entre dans sa deuxième phase, les titulaires de cartes ACC sont également expulsés du pays, bien qu’ils ne soient pas des immigrants illégaux.

L’expulsion de ceux qui détiennent une documentation légale valide a été dénoncée comme étant forcée et illégale par Amnesty International. L’organisation a également signalé un « manque complet de transparence, de procédure régulière et de responsabilité », ainsi qu’une augmentation du « harcèlement et de l’hostilité » envers les Afghans.

Human Rights Watch a décrit l’environnement coercitif pour les réfugiés afghans au Pakistan depuis la mise en œuvre de cette politique en signalant des détentions effectuées en masse, la saisie de biens et la destruction de documents d’identité.

Des centaines de milliers d’Afghans sont confrontés à des conditions déplorables pour éviter l’arrestation. Selon Al Jazeera, l’aide humanitaire aux réfugiés fuyant le pays est limitée ; ils manquent d’accès à un toit, à de la nourriture et à l’eau, et se voient même refuser leurs propres effets personnels.

À la merci des talibans

Les talibans ont imposé de sévères restrictions à la liberté des femmes et des filles et sont le seul pays au monde à interdire leur éducation après leur sixième année, une mesure imposée en 2021. Les filles qui ont cherché à compléter leur éducation au Pakistan sont maintenant confrontées aux restrictions pour apparaître dans l’espace public.

La politique met également en danger les journalistes et ceux qui ont aidé les États occidentaux, cibles potentielles des talibans. Bien que les États-Unis aient promis de reloger environ 20 000 Afghans en danger après leur départ en 2021, la lenteur du processus les a forcés à fuir au Pakistan, et sont maintenant exposés à une expulsion.

Un rapport de la Banque mondiale indique que la moitié de la population du pays vit déjà au seuil de pauvreté et 15 millions de personnes sont confrontées à l’insécurité alimentaire. L’arrivée de centaines de milliers de réfugiés en provenance du Pakistan devrait mettre davantage de pression sur l’économie fragile du pays.

L’Afghanistan a déjà perdu plus de 700 000 emplois depuis 2021 et les organisations internationales et les États-Unis sont confrontés à des dilemmes sur la fourniture d’aide du fait des sanctions imposées au gouvernement des talibans.

Claire Rhea

Claire est journaliste pour Newsendip.

Elle a grandi à Londres et possède la double nationalité américaine et française. Elle est diplômée en sciences politiques et économie de l'Université McGill à Montréal. Elle a également vécu en Italie.