Les Pays-Bas sont en proie depuis des années à une crise liée aux émissions d’azote provenant du fumier, ce qui détruit les écosystèmes du pays selon les écologistes. La dérogation de l’Union européenne permettant aux agriculteurs néerlandais d’utiliser davantage de fumier que leurs pays voisins prendra fin l’année prochaine.
Les Pays-Bas sont l’un des plus petits pays d’Europe mais, malgré leur petite taille, ils sont le deuxième exportateur mondial de produits agricoles en valeur, derrière les États-Unis. En 2023, les exportations agricoles néerlandaises se sont élevées à 124 milliards d’euros, selon l’office national des statistiques.
Mais l’agriculture intensive a laissé ce petit pays avec des niveaux d’oxyde d’azote plus élevés que ne le permettent les réglementations de l’Union européenne. Ces émissions aggravent le changement climatique et peuvent nuire à la biodiversité.
Depuis plus de cinq ans, ce que les Néerlandais appellent la crise du Stikstof – la crise de l’azote – oppose les écologistes, armés des réglementations européennes, aux groupes d’agriculteurs et à l’industrie agroalimentaire. Lassés de supplier le gouvernement d’agir, les écologistes ont fait valoir devant la Cour européenne de justice et le Conseil d’État néerlandais, la plus haute juridiction du pays, que le gouvernement ne respectait pas les règles de l’UE qui obligent les États membres à protéger la biodiversité.
En mai 2019, le Conseil d’État a rendu son arrêt, donnant le coup d’envoi de la crise du Stikstof. Le tribunal a donné raison aux groupes environnementaux qui ont porté l’affaire, ordonnant au gouvernement de cesser de délivrer des permis pour les projets émettant de l’azote jusqu’à ce qu’il ait élaboré un plan pour réduire rapidement les émissions. Du jour au lendemain, 18 000 projets de construction, y compris des infrastructures essentielles et des projets de développement de logements, ont été mis en veilleuse jusqu’à ce qu’une nouvelle stratégie puisse être élaborée.
Les agriculteurs néerlandais sont descendus massivement dans la rue pour protester contre les objectifs du plan gouvernemental de réduction drastique des émissions d’azote, dont les élevages sont la principale source. La colère suscitée par une proposition du gouvernement visant à atteindre les objectifs de l’Union européenne en matière de pollution azotée en réduisant les troupeaux de bétail a contribué à propulser un nouveau parti politique populiste à la première place lors des élections provinciales l’année dernière : le BoerBurgerBeweging (BBB) ou mouvement agriculteur-citoyen.
Dérogation de l’Union européenne
En 2020, les agriculteurs néerlandais ont obtenu une dérogation de la part de l’UE, les autorisant à épandre plus de fumier que les agriculteurs des pays voisins en raison de l’exiguïté de leur territoire. Mais cette position exceptionnelle expire en 2025 et les agriculteurs vont bientôt être confrontés à des sanctions, s’ils ne respectent pas les nouvelles mesures.
La semaine dernière, Piet Adema, actuel ministre de l’Agriculture du gouvernement sortant – toujours au pouvoir faute de coalition – a présenté au Parlement un ensemble de mesures visant à résoudre ce problème. Il s’agit notamment d’un nouveau programme de rachat d’un milliard d’euros des terrains des agriculteurs, d’une augmentation des subventions pour les prairies, d’aliments contenant moins de protéines et d’une limitation du nombre maximal de vaches par hectare.
Caroline van der Plas, chef du parti agricole BBB, a déclaré ce lundi qu’il était « inacceptable » que le gouvernement sortant « dépense soudainement des milliards pour un plan de rachat ». Le ministre sortant a récemment précisé qu’il avait essayé à plusieurs reprises de faire changer d’avis Bruxelles, sans succès.
Lorsque le gouvernement néerlandais a annoncé son intention de racheter les fermes proches des réserves naturelles et de réduire le bétail du pays d’un tiers en mai dernier, les agriculteurs se sont révoltés, organisant des manifestations massives et déstabilisant la politique aux Pays-Bas.
Un problème qui ne date pas d’hier
Le problème de l’azote n’est pas nouveau et sa cause n’est pas non plus un mystère.
Les vaches et les porcs, qui constituent la base de l’industrie de la viande et des produits laitiers aux Pays-Bas, consomment beaucoup de concentrés de soja, comme les tourteaux de soja, importés de pays comme les États-Unis et le Brésil, cultivés avec des engrais synthétiques pour lui fournir de l’azote et du phosphore, les nutriments sur lesquels repose le système agricole mondial.
Lorsque le bétail mange ce soja, une partie de ces nutriments est absorbée par son corps. Cependant, une plus grande quantité est excrétée via le fumier et l’urine. Lorsque les deux se mélangent, ils produisent de l’ammoniac, une forme gazeuse d’azote, qui s’évapore ensuite dans l’atmosphère.
Dans les années 1980, la croissance constante du bétail néerlandais avait généré un nuage d’ammoniac à travers le pays. Combiné aux émissions de dioxyde de soufre des usines, cela a créé des pluies acides. “Vous pouviez sentir l’ammoniac, c’était un problème pour les gens », a déclaré Roland Bobbink, un expert néerlandais en science des dépôts d’azote à l’université de Radboud, interrogé par le média écologiste Mongabay, « ainsi, à la fin des années 80, le gouvernement a lancé un programme d’atténuation pour contrôler les émissions d’ammoniac ».
Les mesures du gouvernement comprenaient de meilleurs filtres sur les cheminées industrielles, qui ont considérablement réduit les émissions de dioxyde de soufre, ainsi qu’une technologie qui a aidé les éleveurs à séparer le fumier de l’urine. Ajoutées à la mise en place de quotas laitiers imposés par l’UE, le nombre de vaches laitières aux Pays-Bas a ensuite chuté de 600 000 têtes au cours des 25 années suivantes, réduisant ainsi de près de moitié les dépôts d’azote dans l’environnement.
14 zones protégées à risque
Cette baisse était suffisante pour stopper les pluies acides, mais pas suffisante pour empêcher une surcharge en azote dans les écosystèmes voisins. L’ammoniac produit par le bétail dérive dans l’air et finit par se poser sur des surfaces situées dans un rayon de 20 à 30 km. Avec le temps, il s’accumule, notamment dans les sols, drainant les nutriments vitaux et déséquilibrant les chaînes alimentaires de la faune et de la flore.
Selon une étude rédigée par Bobbink et publiée par Greenpeace en 2022, 118 des 161 zones néerlandaises protégées étaient mises à rude épreuve sous le poids des dépôts d’azote ; 14 d’entre elles étaient en « phase finale avant l’effondrement ».
Alors que la société néerlandaise prend conscience de la dure réalité selon laquelle son environnement ne peut plus survivre à son système alimentaire, la « crise de l’azote », qui ne semble pas s’approcher d’une résolution, soulève des questions difficiles sur la manière de réformer les systèmes non durables et offre un aperçu de ce qui attend certainement d’autres pays.