Le plan « ambitieux » des Pays-Bas pour réduire les émissions d’azote en rachetant des centaines d’exploitations agricoles

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14 octobre 2022

Les Pays-Bas tentent de réduire leurs émissions d’azote entre défiance des agriculteurs d’un côté et mesures inefficaces de l’autre. La dernier plan en date consiste à racheter les plus gros émetteurs d’azote, principalement des centaines d’exploitations agricoles.

Des vaches à Holysloot, un petit village près d'Amsterdam
Des vaches à Holysloot, un petit village près d’Amsterdam | © Ronnie Overgoor, 2019

Les Pays-Bas peinent à réduire leurs émissions d’azote malgré leur objectif de les diviser par deux d’ici à 2030, créant des tensions entre les autorités et des agriculteurs sur la défensive sur le sujet depuis plusieurs années.

Johan Remkes, homme politique de longue date et médiateur du gouvernement sur les problèmes autour de l’azote, a présenté et partagé un rapport pour trouver un moyen de « sortir de l’impasse » à la Chambre des représentants des Pays-Bas le 5 octobre.

Le 14 octobre, le gouvernement a examiné et accepté la plupart du plan, même s’il le trouve « ambitieux » avec un délai d’exécution extrêmement court.

Le rapport signale que les Pays-Bas doivent réduire drastiquement leurs émissions d’azote « à très court terme afin de permettre à la nature de se restaurer ». C’est pourquoi M. Remkes, « le cœur lourd », avait proposé que le pays rachète 500 à 600 grands émetteurs d’azote d’ici un an, tant dans le secteur agricole qu’industriel, pour laisser la possibilité à la nature de se régénérer. La plupart des gros émetteurs seront de grandes exploitations agricoles, mais aucun détail supplémentaire n’a été défini.

Cette proposition radicale était pour M. Remkes le « moindre de tous les maux » et ne devait toucher qu’un pourcent des entreprises agricoles et quelques entreprises industrielles.

Le gouvernement veut agir rapidement et avoir son plan prêt pour novembre afin de trouver un accord avec le secteur agricole pour début 2023.

Mais il n’y aura pas d’expropriation forcée. Les entrepreneurs auront d’abord la possibilité d’adapter ou de modifier leurs activités, en passant du bétail à une exploitation céréalière par exemple. Ensuite, le gouvernement envisagera des rachats en accord avec les exploitants concernés.

Mais le gouvernement doute que cela puisse être réalisé en un an seulement alors que le pays réduit déjà ses émissions d’azote trop lentement.

Réduire les émissions d’azote pour limiter la détérioration de l’environnement

Environ 14 % du territoire néerlandais est classé en zone Natura 2000. Et elles doivent être protégées en vertu de la directive habitats de l’Union européenne de 1992. Mais une grande partie de cette nature se dégrade et est exposée à une trop grande quantité d’azote, selon le rapport.

Les émissions d’azote, et ses précipitations qui rentrent dans le sol, ont deux origines : l’ammoniac, qui provient de l’agriculture et principalement du fumier du bétail, et les oxydes d’azote, qui proviennent des installations industrielles et des transports.

Bien que le fumier puisse être utilisé comme engrais et que certaines plantes comme les mûriers ou les chardons prospèrent dans un sol azoté, un excès de dépôt d’azote détériore l’environnement.

Dans une liste des 100 plus grands émetteurs d’ammoniaque du pays, les trois premiers étaient des entreprises industrielles mais 90% était des exploitations d’élevage. Et l’azote est devenu un problème pour 90 des 162 sites Natura 2000 du pays.

De plus, tout projet autour de ces sites ne peut être mis en place si cela détériore la nature en vertu de la directive Habitat. La situation est si urgente que M. Remkes a même prévu que les Pays-Bas pourraient bientôt être proches d’une situation de blocage, car le pays ne serait pas en mesure de construire des maisons, des routes ou d’exploiter des fermes.

Les tentatives des Pays-Bas ces dernières années pour réduire les niveaux d’émissions d’azote n’ont jusqu’alors pas donné de résultats probants.

En 2019, le Conseil d’État a estimé que le plan néerlandais de réduction des émissions d’azote n’était pas suffisant et qu’il violait la législation européenne en matière de conservation. Il a remis en question dans le même temps la validité juridique de licences d’exploitation accordées par l’État à environ 2 500 agriculteurs qui avaient agrandi leur cheptel. Depuis 2015, un programme exige en effet que les activités entraînant des précipitations d’azote nécessitent un permis d’exploitation.

Avec ce programme de rachat d’exploitations, la marge de manœuvre sera utilisée pour fournir des permis d’exploitation en bonne et due forme à ces éleveurs, à l’autorisation de projets de construction et à la restauration de la nature.

Parmi les plus grandes manifestations d’agriculteurs aux Pays-Bas

La question de l’azote a mis les agriculteurs à cran car ils ne se sentent pas considérés ni soutenus par les autorités.

Ils considèrent également que les zones rurales sont pointées du doigt injustement et doivent payer pour l’azote émis par la Randstad, la zone urbaine comprenant les quatre plus grandes villes du pays : Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht.

En juin, Christianne van der Wal, ministre de la nature et de la politique de l’azote, a publié une carte détaillée des zones où les émissions d’azote devaient être réduites. Certaines zones rurales devaient réduire leurs émissions de plus de 90 %. La carte a suscité une vive réaction de la part de l’industrie agricole qui s’est sentie offensée.

Elle a donné lieu à l’une des plus grandes manifestations d’agriculteurs que les Pays-Bas aient jamais connues cet été. Un groupe d’agriculteurs s’est également rendu en pleine nuit au domicile de la ministre en juin pour exprimer sa colère.

Après la présentation du rapport de M. Remke, la ministre Van der Wal a déclaré qu’elle était désolée que son plan ait provoqué des troubles et des inquiétudes parmi les agriculteurs et a estimé que la carte n’était plus d’actualité. Elle pourrait être remplacée par une carte régionale avec moins de détails.

Le ministre de l’agriculture Henk Staghouwer a démissionné en septembre, estimant qu’il n’était pas la bonne personne pour gérer la situation, sans solution pour apporter une meilleure perspective aux agriculteurs. Piet Adema a été nommé ministre début octobre pour le remplacer.

Dans un contexte de forte méfiance envers les autorités, le rapport Remke fut accueilli avec un sentiment mitigé par les organisations d’agriculteurs.

Agractie Nederland, un groupe d’action né de l’organisation d’une manifestation d’agriculteurs en octobre 2019, a estimé que les rachats forcés constitueraient une ligne rouge à ne pas franchir. Farmers Defence Force, un groupe de soutien de l’agriculture créé en mai 2019, a déclaré après le rapport Remke qu’il n’accepterait « jamais l’expropriation de 500 familles d’agriculteurs innocents pour créer une solution factice temporaire ».

ZLTO, une organisation professionnelle représentant 12 000 agriculteurs et horticulteurs, a demandé à ses membres leur avis sur le rapport. Les 2 500 personnes interrogées étaient divisées entre une forte approbation et un fort rejet des propositions. Toutefois, conformément à l’opinion du gouvernement, ses membres étaient tous sceptiques quant à la possibilité pour les autorités de mener à bien les rachats en un an.

L’efficacité des rachats volontaires en question

Le 3 octobre, l’Agence néerlandaise d’évaluation environnementale a signalé que les rachats volontaires d’exploitations agricoles au cours des 25 dernières années n’avaient donné que de maigres résultats.

Ils représentaient surtout une opportunité pour les agriculteurs proches de la retraite et sans successeur. D’un autre côté, les expropriations peuvent prendre des années avec les procédures d’appel.

En février 2020, 350 millions d’euros ont déjà été alloués par le gouvernement à un programme de rachat volontaire pour les éleveurs. Pourtant, seule une petite partie de cette somme a été dépensée pour acheter 20 fermes sur le territoire national jusqu’à présent. Certaines conditions de rachat ont changé en cours de route. Mais les propositions ne semblaient pas non plus suffisamment attrayantes.

Pour la région de Gelderland, qui ambitionne de réduire les émissions d’azote de 40 % dans le secteur agricole d’ici 2025, le problème réside davantage dans le budget disponible pour les rachats que dans le nombre de volontaires. Entre 5 et 10 exploitations agricoles font une demande de rachat chaque semaine dans la région mais seules 13 d’entre elles ont été rachetées par la région, jusqu’à présent.

Ces rachats ont permis une réduction de 57 tonnes d’azote, bien loin de l’objectif de la région de 1 000 tonnes d’ici 2025. Avec la fin de ces 13 entreprises, la région a récupéré 20 hectares de terrain. Mais elle a aussi dépensé 32 millions d’euros. Et la région n’a que 100 millions d’euros de budget pour 2022 et 2023 pour atteindre son objectif.

Pour Greenpeace Pays-Bas, les mesures du rapport n’avaient pas répondu à ses attentes car M. Remke s’en est tenu à un objectif de réduction pour 2030, l’objectif maintenu par le gouvernement, au lieu de 2025. Greenpeace a également souligné que les rachats serviraient à légaliser certaines activités agricoles déjà existantes et à permettre la construction d’autoroutes au lieu de réduire radicalement les émissions d’azote.

Pendant ce temps, un nombre restreint mais croissant d’agriculteurs décide de quitter les Pays-Bas pour l’Allemagne, le Danemark, la Suède ou même le Canada en raison des réglementations qui leur sont imposées, de la question de l’azote, des restrictions d’utilisation du phosphate ou de la fin des quotas laitiers, selon les médias locaux.

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.

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