Le passeport français s’immisce en Serbie dans un débat politique sur le patriotisme

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7 mars 2023

La citoyenneté française d’un homme politique serbe a été évoquée par la première ministre de Serbie, Ana Brnabić, pour se défendre des critiques politiques des nationalistes serbes sur la perspective d’un accord de normalisation avec le Kosovo. Une ultranationaliste a prétendu que Mme Brnabić était croate afin de miner sa légitimité et décridibiliser son sens patriote.

Miloš Jovanović
Miloš Jovanović est un homme politique serbe nationaliste et eurosceptique qui possède la citoyenneté française | © New SSD

La citoyenneté française s’est immiscé dans la politique serbe dans le cadre de joutes médiatiques et politiques pour définir quels élus serbes sont les plus patriotes.

Le 4 mars, la première ministre Ana Brnabić soulignait que Miloš Jovanović était français et que Zdravko Ponoš était un citoyen croate lors d’une interview télévisée, afin de défendre le président Aleksandar Vučić des accusations de l’opposition selon lesquelles le président n’était pas un Serbe patriote, mais un « traître » à la Serbie.

Miloš Jovanović, 46 ans, est le président du Nouveau parti démocratique de Serbie (Nouveau DSS) et un ancien candidat à l’élection présidentielle de 2022 qui possède également la nationalité française. Lors de l’élection présidentielle remportée par le président sortant Aleksandar Vučić avec 60 % des voix, M. Jovanović a obtenu 6 % des bulletins de vote terminant troisième derrière M. Ponoš qui a recueilli 19 % des voix.

Autrefois parti de centre-droit en faveur d’un rapprochement avec l’Union européenne et l’occident, le Nouveau DSS, qui ne dispose que de 7 sièges sur 250 à l’Assemblée nationale serbe, a évolué vers des opinions nationalistes conservatrices au début des années 2010. Il s’oppose désormais à toute adhésion de la Serbie à l’Union européenne. Il milite fortement pour que le Kosovo continue à faire partie de la Serbie. M. Jovanović a rejoint le parti avant 2010.

De l’autre côté, le président Aleksandar Vučić et le Parti socialiste de Serbie au pouvoir étaient auparavant eurosceptiques, mais sont désormais plus pro-européens, même si le pays est historiquement proche de la Russie. La Serbie est ainsi devenue candidate à l’adhésion à l’Union européenne en 2012, dont le processus reste figé en grande partie à cause de sa relation avec le Kosovo.

Le Kosovo a quant à lui officiellement soumis sa candidature d’adhésion à l’UE en décembre 2022.

Les partis d’opposition serbes contre la signature d’un accord de normalisation avec le Kosovo

Mais des membres de l’opposition ont accusé M. Vučić d’être un « traître » au pays avant que le président ne se rende à Bruxelles, affirmant qu’il signerait la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo, que la province autonome a déclarée unilatéralement en 2008.

Belgrade revendique toujours l’ensemble de la province autonome du Kosovo-Metohija comme faisant partie du territoire serbe. En 2022, M. Vučić a considéré que le premier accord sur la normalisation des relations entre les deux gouvernements, signé en 2013 et plus connu sous le nom des accords de Bruxelles, n’existait plus, reculant les perspectives d’apaisement formel.

Mais M. Vučić et Albin Kurti, le premier ministre du Kosovo, se sont rencontrés la semaine dernière à Bruxelles pour discuter de la nouvelle proposition de l’Union européenne sur un « Accord sur la voie de la normalisation entre le Kosovo et la Serbie », soutenue par la France, l’Allemagne, l’Italie et les États-Unis. L’article 2 stipule notamment que les deux parties « respectent leur indépendance, leur autonomie et leur intégrité territoriale ».

Selon le communiqué du ministère des Affaires étrangères français, la Serbie et le Kosovo ont « donné un accord de principe » à la proposition le 27 février, saluant de ce fait cette « décision courageuse des deux pays ». Les deux parties ont convenu qu’aucune discussion supplémentaire n’était nécessaire sur le texte de la proposition, selon le représentant de l’UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell. M. Kurti a déclaré qu’il avait proposé de signer officiellement l’accord, mais que M. Vučić n’était pas prêt.

Mais le lendemain M. Vučić a déclaré qu’il s’opposerait à l’adhésion du Kosovo aux Nations unies, a tweeté M. Kurti. Pourtant, la proposition de normalisation stipule que « la Serbie ne s’opposera pas à l’adhésion du Kosovo à quelque organisation internationale ».

La France, l’Allemagne et la majorité des États membres de l’Union européenne reconnaissent le Kosovo comme un État souverain, mais pas l’Union européenne et les Nations unies.

Les partis d’opposition serbes rejettent fermement toute signature d’accord, estimant que le président reconnaîtrait le Kosovo comme un pays indépendant. Le président de la Serbie pousse pour que la proposition de l’UE soit considérée comme une simple normalisation des relations avec le gouvernement du Kosovo et non comme une reconnaissance de son indépendance.

La présence de la citoyenneté française comme sujet de joute politique et médiatique n’était quant à elle pas encore terminée.

M. Jovanović, dans une publication sur Instagram il y a trois jours, a souhaité répondre à un tabloïd serbe, l’Informer, qui soutenait qu’il devrait rendre son passeport français. Portant un pull avec la carte serbe incluant le territoire du Kosovo, il a déclaré qu’il rendrait son passeport français si Aleksandar Vučić rejetait la « proposition d’accord franco-allemand ». Mardi, il a également écrit qu’il déposerait une plainte pour atteinte à l’honneur et à la réputation contre un autre tabloïd et dit refuser d’être accusé d’être un « mercenaire français ».

Miloš Jovanović, un ancien étudiant à l’université de la Sorbonne à Paris

Le Parti socialiste de Serbie estime que les critiques utilisant le patriotisme sont fausses et uniquement destinées à faire de l’autopromotion parce que ces mêmes personnes n’avaient pas défendu les intérêts de la Serbie dans le passé.

Mme Brnabić, dans une interview accordée à Happy TV mardi, a expliqué qu’elle n’avait rien contre la double nationalité, mais qu’elle voulait souligner « l’hypocrisie » des nationalistes concernant les critiques sur le patriotisme et le manque de légitimité dans la défense des intérêts des Serbes.

La première ministre a souligné qu’elle avait mentionné la double nationalité de M. Jovanović parce que Milica Stamenkovski, députée d’extrême droite et porte-parole du Parti serbe des gardiens du serment, un parti ultranationaliste et pro-russe allié du Nouveau SSD, avait prétendu que Mme Brnabić était croate. Cette fausse affirmation était utilisée dans le but de saper la légitimité de Mme Brnabić et montrer qu’elle n’était pas une vraie patriote.

Même s’il n’est pas interdit de posséder une double nationalité pour se présenter à l’élection présidentielle en Serbie, Mme Brnabić a avancé que les citoyens n’auraient pas voté pour M. Ponoš ou M. Jovanović l’année dernière s’ils avaient su qu’ils possédaient une double nationalité. Elle a ajouté que le Parti socialiste de Serbie s’était abstenu d’utiliser ce type d’argument pendant la campagne présidentielle. « Nous aurions pu utiliser ces faits dans notre bataille politique, mais nous ne l’avons pas fait », a‑t-elle déclaré.

Elle a également rappelé qu’elle n’était pas croate – son grand-père l’était – et qu’elle n’avait pas de double nationalité. Le président Vučić n’est lui aussi que citoyen serbe.

Outre la citoyenneté française de M. Jovanović, c’est aussi la période pendant laquelle il a vécu en France qui fut source de critiques.

Il vivait en France lorsque l’OTAN, dont la France est membre, est intervenue en 1999 dans la guerre du Kosovo qui opposait les troupes yougoslaves aux rebelles albanais du Kosovo. Justifiée par l’OTAN pour des raisons « humanitaires », cette intervention, qui comprenait des frappes aériennes à l’extérieur du Kosovo ayant tué des centaines de civils, constitue toujours une rancoeur profonde de Belgrade à l’égard de l’Alliance de l’Atlantique Nord.

M. Jovanović a étudié à Paris et a obtenu un diplôme en droit en 1999, puis en sciences politiques en 2000 à la Sorbonne à Paris, selon le site internet du New SSD. Il fut ensuite enseignant Département de Science Politique de la Sorbonne, Université de Paris I, de 2001 à 2005 tout en préparant son doctorat en sciences politiques.

Sa thèse de doctorat, soutenue en 2010 à la Sorbonne, portait sur les relations internationales de l’après-guerre froide. Il y défend l’hypothèse que les interventions d’États restaient fondées sur la politique de puissance et de la loi du plus fort malgré l’émergence d’un nouveau cadre idéologique pronant des valeurs morales et de justice.

Pour ce faire il faisait une étude de cas de l’intervention de l’OTAN dans la guerre du Kosovo où il y développait l’idée qu’elle était une intervention illégitime de la force derrière une « façade idéologique de bonnes intentions proclamées ».

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.