La Corée du Sud cherche à améliorer ses relations avec le Japon avec un plan d’indemnisation de victimes du travail forcé

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6 mars 2023

La Corée du Sud a annoncé un plan d’indemnisation des victimes coréennes du travail forcé pendant l’occupation japonaise. En ne demandant pas de réparation aux entreprises japonaises, les relations entre les deux pays devraient s’améliorer dans un contexte d’inquiétude pour la sécurité régionale avec la Corée du Nord.

Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol
Le président sud-coréen Yoon Suk-yeol le 1er mars à l’occasion du 104e anniversaire de la déclaration d’indépendance du Japon | © Ministère des affaires étrangères de la Corée du Sud

La Corée du Sud a annoncé le 6 mars un plan visant à indemniser les victimes coréennes qui avaient été contraintes de travailler dans des usines et des mines japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce plan, qui évite aux entreprises japonaises d’indemniser les victimes coréennes, est également considéré comme un moyen d’apaiser les relations entre les deux pays dans un contexte de préoccupations sur la sécurité dans la région.

Le ministre des Affaires étrangères de la Corée du Sud, Park Jin, a déclaré que les anciens travailleurs seraient indemnisés par une fondation publique financée par des dons d’entreprises du secteur privé, sans donner plus de détails sur le mode de financement de cette fondation.

« Le gouvernement japonais apprécie les mesures annoncées par le gouvernement sud-coréen aujourd’hui comme un effort pour rétablir des relations saines entre le Japon et la Corée du Sud », a déclaré le ministre japonais des Affaires étrangères, Yoshimasa Hayashi.

Mais ce plan, qui fut proposé pour la première fois par le gouvernement en janvier, a suscité des critiques de la part des victimes et de leurs familles – les quelques survivants du travail forcé encore en vie ont maintenant plus de 90 ans – parce que les entreprises japonaises impliquées dans le travail forcé ne contribuent pas au plan d’indemnisation. Le Parti démocratique, principale opposition au parti conservateur au pouvoir en Corée du Sud, a considéré ce plan comme une « diplomatie de soumission ».

La Corée du Sud a des sentiments amers envers un pays qui a occupé la péninsule coréenne de 1910 à 1945.

Des milliers de Coréens ont été mobilisés comme travailleurs forcés pour les entreprises japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale. Pendait cette période, l’armée japonaise gérait également des maisons closes et forçait des femmes, principalement du Japon et de Corée mais aussi des Philippines, de Chine, de Taïwan, d’Indonésie et d’autres pays d’Asie, à fournir des services sexuels à l’armée japonaise. Les maisons closes étaient appelées « postes de réconfort » dans lesquelles travaillaient des « femmes de réconfort ». Le Japon a justifié ces lieux comme un moyen de limiter les viols commis par l’armée.

Mais le Japon considère que tous les différends liés à cette période coloniale ont été résolus par un traité bilatéral en 1965. Ce traité prévoyait une aide économique de 300 millions de dollars et des prêts de quelque 500 millions de dollars de la part du Japon pour reconstruire ses infrastructures et son économie dévastées par la guerre de Corée.

À l’époque, la Corée du Sud était dirigée par le président autoritaire Park Chung-hee. L’accord a suscité des manifestations massives et le gouvernement avait déclaré la loi martiale.

Des entreprises comme POSCO, un géant coréen de l’acier qui a bénéficié de l’aide reçue dans le cadre de l’accord en 1965, pourraient devoir donner pour le fonds annoncé ce lundi. Les entreprises japonaises peuvent contribuer volontairement à ce fonds, ce qu’espère le gouvernement coréen.

En 1995, le Premier ministre japonais Tomiichi Murayama a présenté des « excuses profondes » concernant la politique coloniale japonaise.

En 2015, un nouvel accord a été signé entre le Japon et la Corée du Sud, Tokyo fournissant 1 milliard de yens (environ 7,5 millions d’euros en 2015) pour soutenir les victimes des maisons closes. Mais l’accord était controversé parce que la compensation était considérée comme insuffisante et que le Japon n’avait pas reconnu sa responsabilité légale pour les atrocités commises pendant son occupation coloniale. De nombreuses victimes ont refusé l’accord et de recevoir un paiement.

Un moine bouddhiste de 64 ans est mort en janvier 2017 en s’immolant par le feu pour protester contre l’accord.

Et l’ancien président sud-coréen Moon Jae-in a dissous en 2018 la fondation financée par le Japon, considérant que les victimes n’étaient pas d’accord.

La même année, la Cour suprême de Corée du Sud a ordonné aux entreprises japonaises Nippon Steel et Mitsubishi Heavy Industries de verser des réparations, entre 80 millions et 150 millions de wons chacun (62 000 à 115 000 euros en 2018), à 14 victimes du travail forcé. Elles n’ont rien versé, et plusieurs victimes sont décédées depuis.

Ces tensions entre les deux pays se sont également étendues au domaine économique. Considéré comme une mesure de rétorsion officieuse aux ordonnances de la Cour suprême, le Japon de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe a restreint en juin 2019 les exportations vers la Corée du Sud de composants essentiels à la confection des semi-conducteurs et les écrans de smartphones. Trois éléments sont alors passés sous des licences d’exportation individuelles, nécessitant des examens individuels pour chaque projet d’exportation. La Corée du Sud a également été exclue d’une liste préférentielle qui simplifiait les procédures d’exportation, comme pour les contrôles pour des raisons de sécurité par exemple.

En septembre 2019, la Corée du Sud a déposé une plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce, estimant que les restrictions à l’exportation du Japon étaient injustes.

Mais le ministère japonais de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie a déclaré lundi que le Japon et la Corée du Sud allaient discuter sur la politique de contrôle des exportations. Le gouvernement coréen a temporairement suspendu les procédures soumises à l’OMC pendant ces consultations.

Le premier ministre japonais, Fumio Kishida, a déclaré lundi, lors d’une session parlementaire, que le rétablissement des liens commerciaux était une question distincte des compensations aux victimes du travail forcé.

L’apaisement des tensions initié par la Corée du Sud, qui éprouve également un certain ressentiment à l’égard des revendications territoriales du Japon sur des îles occupées par la Corée du Sud, intervient alors que la Corée du Nord devient plus menaçante avec ses capacités et ses essais nucléaires et balistiques.

Le président conservateur Yoon Suk-yeol, dans son discours du 1er mars lors des célébrations du 104e anniversaire de la déclaration d’indépendance du Japon, a estimé que « le Japon s’est transformé d’un agresseur militariste du passé en un partenaire qui partage les mêmes valeurs universelles que nous. Aujourd’hui, la Corée et le Japon coopèrent sur les questions de sécurité et d’économie. Nous travaillons également ensemble pour faire face aux défis mondiaux. »

Élu en 2022, M. Yoon a plaidé pour une alliance plus forte avec les États-Unis et une ligne plus dure à l’égard de la Corée du Nord pendant sa campagne présidentielle. Il s’est également engagé à améliorer les relations avec Tokyo.

« La coopération trilatérale entre la République de Corée, les États-Unis et le Japon est devenue plus importante que jamais pour surmonter les crises de sécurité, notamment les menaces nucléaires croissantes de la Corée du Nord et les multiples crises mondiales », a ajouté M. Yoon.

Le président des États-Unis, Joe Biden, qui a rendu visite à M. Yoon 11 jours après l’entrée en fonction de ce dernier, a salué cette initiative qui conduit à un renforcement des relations entre deux de ses plus proches alliés en Asie. La Corée du Sud et le Japon « franchissent une étape cruciale pour forger un avenir plus sûr, plus sécurisé et plus prospère pour les peuples coréen et japonais », a déclaré M. Biden dans un communiqué.

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Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.