Selon une étude commandée par le ministère de la justice, les violences physiques graves, les violences domestiques et les viols ont augmenté en Norvège au cours des neuf dernières années. Près d’une femme norvégienne sur quatre a déclaré avoir été victime d’un viol au moins une fois dans sa vie. La violence dans un cercle proche est estimée avoir coûté 8,5 milliards d’euros à la société norvégienne en 2021.
Le rapport sur l’Ampleur de la violence et des abus au sein de la population norvégienne, publié par le Centre norvégien d’études sur la violence et le stress traumatique (NKVTS), montre que la présence de la violence reste élevée en Norvège. Par ailleurs, les résultats montrent que le nombre de viols semble avoir considérablement augmenté au cours de la dernière décennie.
Les résultats de la recherche sur la violence et les abus, basés sur du déclaratif, ont été remis le 28 février à la ministre de la justice et de la sécurité publique, Emilie Enger Mehl, car l’étude, faisant partie d’un programme de recherche sur la violence dans les cercles de relations proches, était commandée et principalement financée par le ministère de la justice.
Dans un autre rapport commandé par le ministère et qui sera reçu le 1er mars, les coûts pour la société norvégienne de la violence dans les cercles de relations proches étaient estimés à 92,7 milliards de couronnes norvégiennes (8,5 milliards d’euros) pour 2021.
Dans l’ensemble, la violence est largement présente dans la société norvégienne, puisque environ 40 % des personnes interrogées, et près de la moitié des hommes, ont été exposés à au moins une forme de violence physique grave au cours de leur vie adulte. Mais les femmes sont davantage exposées à des formes de violence de nature domestique, sexuelle, ainsi que de manière répétée.
L’étude révèle que 23 % des femmes et 4 % des hommes ont été violés au moins une fois dans leur vie. Les personnes peuvent avoir été victimes de viols par la force ou la coercition, dans l’incapacité de s’y opposer (pénétration sexuelle non désirée et incapacité de consentir ou de s’opposer à l’acte, par exemple, lorsqu’elles étaient endormies, inconscientes ou sous l’emprise de drogues ou d’alcool), ou soumises à des abus sexuels avant l’âge de 13 ans.
La moitié des personnes déclarées par l’étude comme victimes de viol par la force ou la violence avaient moins de 18 ans au moment des faits. Cinq pour cent des femmes interrogées et trois pour cent des hommes ont eu des rapports sexuels avec une personne nettement plus âgée avant l’âge de 13 ans.
Près d’une femme sur cinq (18%) déclare également avoir subi un abus sexuel autre que le viol au moins une fois dans sa vie. Les données publiées le 20 septembre 2022 par Statistics Norway avancent par ailleurs des chiffres similaires avec pas moins de 15 % des femmes qui ont été forcées ou dont on a tenté de forcer à avoir des rapports sexuels (4 % au cours des 12 derniers mois dans le groupe d’âge 18–24 ans).
Prévalence du nombre de viols parmi les personnes interrogées | Total | Femmes | Hommes |
---|---|---|---|
Viol par la force/violence | 8% | 14% | 2% |
Viol pendant le sommeil/en incapacité de s’y opposer | 6% | 11% | 2% |
Viol d’enfant (<13 ans) | 3% | 5% | 1% |
Au moins un des types de viol ci-dessus (les personnes peuvent être victimes de plus d’un viol) | 13% | 23% | 4% |
Pour élaborer le rapport et obtenir ces résultats, 4 299 personnes âgées de 18 à 74 ans (51% d’hommes et 49% de femmes) ont accepté d’être interrogées entre juin 2021 et juin 2022 et ont répondu à des questions sur leurs expériences de la violence et des abus. Les entretiens ont été réalisés par téléphone par l’institut de sondage d’opinion Ipsos et duraient environ 30 minutes. Le précédent rapport du NKVTS remonte à 2014, c’était alors la première fois qu’une étude de cette ampleur était réalisée en Norvège.
Augmentation significative du nombre de viols en Norvège mais pas de conclusion claire sur les raisons
Les chiffres du rapport de 2023 sont beaucoup plus élevés qu’en 2014 et plus élevés que ce que les responsables de l’étude auraient pensé.
Dans la tranche d’âge 18–29 ans, 19 % des femmes ont été victimes de viols, soit deux fois plus qu’en 2014.
Ces augmentations s’expliquent en partie par les « viols avec incapacité » (ou « viols pendant le sommeil ») qui n’étaient pas inclus dans l’étude précédente. Onze pour cent des femmes ont été soumises à une pénétration sexuelle non désirée et incapables de consentir ou d’arrêter l’acte, par exemple si elles dormaient ou étaient sous les effets de l’alcool.
Néanmoins, 14 % des femmes sont déclarées avoir été victimes d’un viol par la force ou la violence, ce qui représente de près de 50 % de réponses de plus qu’il y a neuf ans (9,4 %).
L’étude ne recherche pas les raisons pour lesquelles ces chiffres ont augmenté. Si les responsables de l’étude notent que leurs analyses « suggèrent que les différences sont susceptibles de refléter les changements survenus dans la société depuis 2014 », ils ne peuvent toutefois pas donner de conclusions définitives pour savoir si une telle hausse est temporaire, si les chiffres vont rester élevés, ni dire si les données étaient sous-évaluées par le manque de déclarations par le passé.
Les conclusions peuvent indiquer qu’il y a eu à la fois une augmentation réelle des faits et une sensibilisation plus forte envers la violence et aux abus, ainsi que des attentes accrues à l’égard de la police et du système judiciaire, selon Maria Teresa Grønning Dale, chercheuse et chef de projet de l’étude du NKTVS.
« L’augmentation par rapport à la précédente enquête de 2014 est inquiétante et douloureuse à entendre », a réagi la ministre de la Justice Emilie Enger Mehl. « NKVTS conclut que la violence et les abus sont assez courants en Norvège. C’est triste », a ajouté Mme Mehl.
« The increase from the previous survey in 2014 is worrying and painful to hear, » reacted Minister of Justice Emilie Enger Mehl. « NKVTS concludes that violence and abuse are fairly common in Norway. This is sad, » reacted Ms. Mehl.
En 2021, 2 581 viols dans un pays de 5,4 millions d’habitants ont été signalés à la police norvégienne, selon les statistiques officielles de la police. Une augmentation de 7,5 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes.
Un écart important entre l’étude et les signalements à la police
Mais selon le rapport du NKVTS, quatre personnes sur cinq victimes de viol et/ou d’abus sexuels en ligne (partage de films ou d’images à contenu sexuel, ou incitation d’autres personnes à accomplir des actes sexuels contre leur gré avec l’usage d’outils numériques) ont déclaré que la police n’était pas au courant de leur cas.
De plus, seule une personne sur dix s’est rendue à un examen médical quelques jours ou semaines après avoir été exposée à des violences graves. Le ou les auteurs ont été condamnés dans quatre pour cent des viols ou agressions déclarés dans l’étude.
Un tel écart entre le nombre d’actes violents dans l’étude et les déclarations à la police était déjà présent dans le rapport de 2014.
Les personnes ont répondu qu’ils n’avaient pas voulu impliquer la police ou ne sont pas allés voir un médecin parce qu’ils pensaient que ce n’était pas assez grave, ou par crainte de conséquences négatives pour eux-mêmes ou leurs proches.
Dans de nombreux cas, la victime de violence ou de viol connaît l’auteur des faits, qui peut être un partenaire, un ancien partenaire, un amant, un ami ou une connaissance.
Une femme sur dix a répondu avoir déjà été exposée à des violences physiques graves de la part de son partenaire actuel ou précédent, qui peuvent consister, entre autres, à être frappée par un poing serré ou un objet, à recevoir des coups de pied, à être étranglée, à être battue ou menacée avec une arme.
De nombreuses femmes ont déclaré avoir ressenti de la culpabilité ou de la honte, tandis que près de la moitié des femmes qui ont été violées ont également répondu qu’elles avaient eu peur d’être tuées ou gravement blessées pendant l’agression.
Néanmoins, le nombre de signalements de violences sexuelles à la police a considérablement augmenté ces dernières années, en particulier depuis 2014. Par conséquent, près de deux fois plus de délits sexuels ont été signalés à la police en 2021 (7 989) qu’au début des années 2010, selon Statistics Norway. Les signalements de viols et de tentatives de viols ont augmenté de 50 % entre 2014 et 2021.
Au début du mois, le ministre a nommé un comité spécial contre le viol qui se penchera sur les causes des viols et sur les raisons pour lesquelles si peu de personnes les signalent. Le ministère prévoit de présenter des propositions pour renforcer la loi autour du consentement. Une commission sur les homicides entre partenaires sera également mise en place à partir de janvier 2024.
Présence élevée de la violence contre les femmes en Norvège, le « paradoxe nordique »
Le rapport du NKVTS est critique des actions passées du gouvernement pour lutter contre les abus et les violences sexuelles affirmant que les différences entre les deux rapports montrent « qu’il y a des indications que les mesures et les plans d’action qui ont été introduits dans ce domaine n’ont pas eu l’effet souhaité sur l’étendue des viols et des violences graves ».
« La violence et les abus constituent toujours un grave problème social en Norvège. L’ampleur de la violence reste élevée dans la population norvégienne, et les résultats de cette enquête mettent en évidence d’importants domaines à privilégier en matière de prévention et de traitement de la violence et des abus en Norvège », ajoute le rapport.
La violence signalée provient presque toujours d’autres hommes (80 % des cas). Les hommes sont exposés à la violence le plus souvent de la part d’une personne qu’ils ne connaissent pas, et contrairement aux femmes, souvent dans des espaces publics.
Dans l’ensemble, la majorité des femmes victimes de viols ont été victimes de plus d’un viol dans leur vie. Un rapport publié aux Pays-Bas en 2021 a également montré que les victimes d’abus et de violence sont plus susceptibles d’être à nouveau victimes d’abus.
Les données concernant les femmes exposées à la violence physique sont proportionnellement similaires aux moyennes européennes, selon le rapport. Mais le Danemark, la Finlande, la Suède et la Norvège ont tendance à afficher des taux particulièrement élevés de violence envers les femmes alors qu’ils obtiennent généralement de bons résultats en matière d’égalité des sexes. Cette situation est souvent considérée comme le « paradoxe nordique », souligne le rapport.