Le Brésil instaure une taxe sur les exportations de pétrole brut pour atténuer le sujet sensible de la fin des exonérations de taxes sur le carburant

5 minutes de lecture
1 mars 2023

Le gouvernement brésilien a annoncé la mise en place d’une taxe sur les exportations de pétrole brut pendant quatre mois. Cette mesure vise à compenser les pertes fiscales des taxes sur les carburants, supprimées par Jair Bolsonaro l’année dernière, qui ne sont que partiellement réinstaurées. La sujet est politiquement sensible.

Ministre brésilien des Finances Fernando Haddad
Le ministre brésilien des Finances, Fernando Haddad (droite), lors de la conférence de presse le 28 février sur les taxes sur les carburants. Le ministre des mines et de l’énergie, Alexandre Silveira, était également présent. | © Washington Costa, Ministério da Fazenda

Le gouvernement brésilien a décidé de taxer les exportations de pétrole brut à hauteur de 9,2 % pour les quatre prochains mois, a annoncé le 28 février le ministre des Finances, Fernando Haddad. Cette décision vise à compenser une perte de revenus jusqu’à ce que le pays rétablisse complètement des taxes sur les carburants sur le marché brésilien.

La nouvelle d’une taxe à l’exportation intervient en même temps que l’annonce d’un retour partiel de taxes sur l’essence et l’éthanol pour les consommateurs brésiliens. Ces exonérations fiscales ont été mise en œuvre par l’ancien président d’extrême droite Jair Bolsonaro qui avait baissé les prix de l’énergie dans le contexte d’une inflation élevée et de la prochaine élection présidentielle qu’il a finalement perdue contre le socialiste Luiz Inacio Lula da Silva en octobre dernier.

M. Bolsonaro avait supprimé certaines taxes sur le gaz de cuisine et le diesel en mars 2021, et a appliqué l’exonération à l’essence et à l’éthanol, le bioéthanol étant largement utilisé au Brésil, également en juin dernier. Ces exonérations étaient censées durer jusqu’à la fin de 2022 et la fin du mandat du président sortant.

Le rétablissement des taxes sur les carburants a fait l’objet de débats entre les membres du Parti des travailleurs de Lula, divisés entre intérêts politiques et économiques. Des membres du Parti des travailleurs étaient favorables à la prolongation de l’exonération fiscale, car la popularité du président pourrait être mise à mal par sa suppression, et qu’elle pourrait accentuer l’inflation subie par les consommateurs.

Quelques jours après que des milliers de partisans de M. Bolsonaro ont investi les édifices gouvernementaux du pays le 8 janvier, le président Lula a prolongé l’exonération fiscale sur le diesel et le gaz de cuisson jusqu’en décembre 2023. Le diesel est fortement utilisé par les transporteurs routiers, un groupe social plus proche de la politique de M. Bolsonaro, qui peuvent impacter massivement l’économie brésilienne en bloquant le transport de marchandises du pays. Les exonérations fiscales sur l’essence et le carburant à l’éthanol ont également été prolongées jusqu’à la fin du mois de février.

Gleisi Hoffmann, député et présidente du Parti des travailleurs, a déclaré vendredi dernier qu’elle restait opposée à la reprise des taxes sur le carburant pour le moment, estimant que ce n’était pas le moment de le faire, car cela « pénalise le consommateur et génère davantage d’inflation ».

Reprise partielle des taxes sur l’essence et l’éthanol

Mais le ministre des Finances Fernando Haddad a pour objectif de réduire le déficit du budget fédéral en dessous des 100 milliards de réaux (18 milliards d’euros) pour l’année afin de donner des marges de manœuvre pour financer la politique sociale de Lula et faire baisser les taux d’intérêt par la Banque centrale. Le budget fédéral devrait clôturer l’année avec un déficit de 200 milliards de réaux (36 milliards d’euros).

Le retour des taxes sur l’essence et l’éthanol à partir de mars devait rapporter près de 29 milliards de réaux (5 milliards d’euros) au budget de cette année. Les exonérations fiscales pour le diesel, le gaz de cuisine, ainsi que pour le kérosène, sont maintenues.

Cependant, les taxes sur l’essence et le bioéthanol ne seront que partiellement rétablies pour le moment et ne devraient l’être complètement qu’en juillet. En attendant, le gouvernement veut donc compenser la perte de recettes en taxant les exportations de pétrole brut. Cette mesure devrait permettre de collecter environ 6,7 milliards de réaux (1,2 milliard d’euros) en quatre mois et de combler le trou pour collecter les 28,9 milliards de réaux attendus, selon le gouvernement.

Avec le rétablissement partiel des taxes, l’essence (qui est ensuite mélangée avec 27 % d’éthanol) coûtera 0,47 réal (8 centimes d’euros) de plus par litre et le carburant éthanol coûtera 0,02 réal de plus par litre au cours des quatre prochains mois. En collaboration avec M. Haddad, la compagnie pétrolière brésilienne Petrobras détenue par l’État a déclaré avoir réduit les prix de l’essence aux distributeurs de 0,13 réal par litre, passant d’un prix de vente moyen de 3,31 réaux (60 centimes) à 3,18 réaux à partir du 1er mars, de sorte que le prix de l’essence ne sera augmenté au final que de 0,34 réal par litre. Les distributeurs peuvent toutefois fixer leurs prix librement.

Le Congrès devra décider dans un délai de 120 jours s’il valide le régime fiscal. Ensuite, la taxation complète pourrait ajouter 0,69 réal par litre pour l’essence, et 0,24 réal par litre pour l’éthanol à partir de juillet.

Petrobras perd près de 3 milliards de dollars de valorisation boursière en une journée

Une taxe sur les exportations est cependant rarement perçue positivement par les acteurs du secteur touchés par une telle mesure. Le secteur agricole craignait par exemple que le gouvernement n’applique une taxe sur les exportations de soja, ce qui fut finalement écarté par le ministère de l’agriculture.

L’Institut brésilien du pétrole et du gaz (IBP) a ainsi indiqué dans un communiqué qu’il avait accueilli la nouvelle d’une taxe sur les exportations de pétrole brut avec « une grande inquiétude ».

L’industrie pétrolière est l’un des principaux moteurs de l’industrie brésilienne. Elle devrait générer plus de 445 000 emplois directs et indirects par an au cours de la prochaine décennie au Brésil, selon l’IBP.

Le pétrole brut est une composante de plus en plus importante des exportations du Brésil au cours des dix dernières années. En 2022, le pays a exporté 68,7 millions de tonnes de pétrole brut alors qu’il en exportait moins de 20 millions de tonnes en 2013, selon les statistiques du commerce extérieur du ministère de l’Économie.

Le pétrole est le troisième produit le plus important pour la balance commerciale du Brésil, ayant généré plus de 65 milliards de dollars de revenus d’exportations pour le pays au cours des quatre dernières années soutient l’IBP, le principal groupe représentant l’économie du secteur dans un pays aux prises avec la dette et l’inflation.

Cette taxe à l’exportation « peut avoir un impact sur la compétitivité du pays à moyen et long terme, en plus d’affecter la crédibilité nationale en ce qui concerne la stabilité des réglementations », a déclaré l’IBP qui considère également que la perception négative de la taxe durera plus de quatre mois avec des conséquences sur le marché international et les plans d’investissement.

« Ce que nous faisons, c’est corriger une distorsion faite à partir d’une mesure électorale du gouvernement précédent », s’est défendu le ministre de l’Énergie Alexander Silveira sur Twitter. Les exonérations fiscales de Jair Bolsonaro « pénalisaient la population brésilienne, en prenant l’argent de l’éducation, de la sécurité, du logement et de la lutte contre la faim et l’extrême pauvreté pour distribuer des dividendes aux grandes compagnies pétrolières », a‑t-il ajouté. Il a également estimé que la taxe encouragerait que le raffinage du pétrole soit effectué au Brésil.

Selon M. Haddad, la taxe sur les exportations de pétrole brut devrait affecter environ 1 % des bénéfices de Petrobras. Mardi, Petrobras a perdu 14,9 milliards de réaux (2,7 milliards d’euros) de valorisation boursière (-4,39%) en une journée après les annonces du ministre.

Découvrez plus d’actualités sur le Brésil

Clément Vérité

Clément est le rédacteur en chef et fondateur de Newsendip.

Il a démarré dans l'univers des médias en tant que correspondant à 16 ans pour un journal local après l'école et ne l'a jamais quitté depuis. Il a ensuite pu travailler pendant 7 ans au New York Times, notamment en tant que data analyst. Il est titulaire d'un Master en management en France et d'un Master of Arts au Royaume-Uni en stratégie marketing et communication internationale. Il a vécu en France, au Royaume-Uni et en Italie.