Le professeur Askwar Hilonga a développé un système de purification d’eau low-cost qui fournit déjà de l’eau potable à plus de 400,000 personnes en Afrique de l’Est et résout des problèmes liés aux taux de fluorure élevés dans la région.
Askwar Hilonga, spécialiste des nanotechnologies à l’Institut africain des sciences et technologies Nelson Mandela en Tanzanie, a grandi au sein d’une famille pauvre dans le petit village agricole de Gongali au Nord du pays, à quelques heures de la ville d’Arusha, auprès de ses neuf frères et sœurs. Les problèmes sanitaires et la mortalité infantile liés au manque d’eau potable dans ces zones rurales l’ont poussé à entreprendre des recherches pour produire un impact concret sur la santé de sa famille et des autres habitants des zones environnantes.
Seuls 61% des ménages tanzaniens ont actuellement accès à un approvisionnement en eau et 32% à un assainissement de base, selon les données de l’Association internationale de développement de la Banque Mondiale. Les maladies engendrées par le manque d’accès à l’eau saine comme la diarrhée, le choléra, la dysenterie, la typhoïde et la polio pèsent plus lourdement sur les femmes et les enfants. Les 31 000 décès annuels dus au manque d’accès à de l’eau saine représentent plus de 10% des décès évitables en Tanzanie.
Conscient du problème, le professeur Hilonga a entrepris des recherches sur des nanomatériaux capables de purifier l’eau, peu de temps après avoir obtenu son doctorat en nanotechnologie en Corée du Sud.
Un système low-cost, low-tech et personnalisable
Le nano-filtre du professeur Hilonga est aujourd’hui utilisé dans de nombreux villages en Tanzanie, Zambie et au Kenya où il fournit de l’eau potable à près de 400 000 personnes par jour. Le système à bas coût est commercialisé aux alentours de 200 dollars pour le plus petit filtre (capable d’alimenter une école d’une quarantaine d’enfants) par Gongali Model, l’entreprise que le chercheur a créée avec son épouse, Ruth Lukwaro, aujourd’hui à la tête de l’entreprise.
Installé dans un village maasaï proche du Mont Meru dans la région d’Arusha il y a quelques semaines, le filtre fournit désormais de l’eau saine à une communauté de plus de 500 personnes. « Nous avons perdu beaucoup d’enfants des suites de maladies résultant d’un manque d’accès à l’eau potable et beaucoup d’entre eux ont développé des malformations, explique Isaaya Olemtoto, un des chefs du village, ce filtre va nous changer la vie ». Le taux de fluorure contenu dans l’eau des environs était de 9 milligrammes par litre, soit 6 fois plus important que le taux recommandé par l’Organisation Mondiale de la Santé de 1,5 milligramme par litre.
Lorsqu’on l’interroge sur la conception du filtre, le professeur Hilonga explique : « Le plus dur a été de passer de la théorie au concret. Pour ça, il fallait de l’argent. Une subvention de près de 9 000 dollars versée par mon université m’a permis de lancer un prototype. »
En effet, le Nanofilter, officiellement commercialisé en 2015 et approuvé par l’OMS en 2021 qui l’a jugé efficace à 99,999%, fonctionne sur le modèle du filtre à sable : son principe est de faire percoler de l’eau à travers un massif de sable. Les grains forment une couche qui est traversée par l’eau et va arrêter par simple effet de tamisage les micro organismes plus gros que les intervalles entre les grains, comme les bactéries et les virus. Dans le cas du Nanofilter, il est associé à des nano-composants capables de retenir les pesticides et métaux lourds comme le cuivre ou le fluorure.
De nombreuses entreprises utilisent déjà les nanotechnologies pour purifier l’eau. En 2010, des chercheurs du Yi Cui Lab de l’université de Stanford ont notamment mis au point un système synthétique composé de deux couches d’argent permettant aux nanoparticules de désinfecter l’eau des bactéries contaminantes.
L’unicité du Nanofilter ? Il est personnalisable et s’adapte aux besoins de chaque communauté. « Étant donné que les polluants de l’eau varient d’une zone géographique à l’autre, en fonction des activités humaines et de la formation géologique du sol et des roches, nous testons l’eau dans nos laboratoires avant installation pour adapter le type de filtre utilisé : si l’eau contient davantage de fluorure, nous pouvons adapter la composition du filtre », explique le professeur Hilonga.
Un problème de fluorure
Des cas de niveaux élevés de fluorure dans les eaux souterraines ont été signalés dans presque toute la région de l’Afrique subsaharienne, mais ils sont plus fréquents dans les pays d’Afrique de l’Est, au Soudan et en Afrique du Sud, selon une récente étude menée par le département d’hydrologie et des ressources en eau de l’université de Venda en Afrique du Sud. Cette même étude révèle que les niveaux généralement plus élevés en Afrique de l’Est résultent des activités volcaniques dans la Vallée du rift.
Absorber un taux de fluorure trop élevé est responsable de nombreuses maladies dont la fluorure osseuse : une condition qui résulte de l’accumulation excessive de fluor dans les os, entraînant des changements dans la structure des os et les rendant extrêmement fragiles et cassants.
Des cas de fluorose dentaire, une affection de l’émail des dents se manifestant par l’apparition de taches blanches ou noires, ont notamment été signalés en Afrique du Sud, en Tanzanie, en Ouganda, en Éthiopie, au Kenya, au Soudan, au Niger, au Nigeria, au Bénin, au Ghana, au Sénégal et au Malawi.
Les personnes les plus touchées par la consommation d’eau riche en fluorure sont les groupes au statut socio-économique peu élevé qui vivent dans les zones rurales. « Les techniques de défloration, comme les nano-filtres, peu coûteuses et durables, restent le meilleur moyen de traiter l’eau contaminée », conclut l’étude.
Le rapport mondial des Nations unies sur la mise en valeur des ressources en eau 2023, publié en début d’année, brosse un tableau sombre de l’énorme fossé qui doit être comblé pour atteindre les objectifs des Nations unies visant à garantir l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement d’ici à 2030. Selon Richard Connor, rédacteur en chef du rapport, le coût de la réalisation de ces objectifs est estimé entre 600 et 1 000 milliards de dollars par an. « Il est nécessaire que les investisseurs, les gouvernements et les communautés de lutte contre le changement climatique établissent des partenariats afin que l’argent soit investi pour préserver l’environnement et fournir de l’eau potable aux 2 milliards de personnes qui n’en ont pas », a déclaré M. Connor.
Prix africain de l’innovation
Le Nanofilter a remporté de nombreux prix dont le prix africain de l’innovation en 2015, décerné par la Royal Academy for Engineering, qui a notamment décrit le filtre comme une innovation susceptible de changer la vie de nombreux Africains et de personnes dans le monde entier.
Lorsqu’on lui parle de ses projets futurs, le professeur Hilonga explique qu’il souhaite lever davantage de fonds pour internaliser la production des filtres et réduire les coûts dans le but de pouvoir fournir des Nanofilter à titre gracieux à un plus grand nombre d’écoles et d’hôpitaux. « J’espère aussi inspirer mes étudiants en leur montrant qu’il est possible de construire de grandes choses en Afrique si l’on s’en donne les moyens », conclut le scientifique.