Une mystérieuse station spatiale chinoise en Argentine inquiète les États-Unis

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10 avril 2024

Le président Javier Milei envisage d’inspecter une installation spatiale chinoise alors que l’influence du gouvernement chinois sur le territoire argentin suscite de plus en plus d’inquiétudes. Pékin insiste sur le fait que sa base en Patagonie poursuit des objectifs purement pacifiques, mais des doutes subsistent quant à la possibilité d’une surveillance militaire.

Le président argentin Javier Milei et Laura Richardson, chef du commandement américain lors de la cérémonie de donation du Hercules C-130 en Argentine.
Le général Richardson avec le président Milei et les dirigeants de la défense en Argentine lors de la cérémonie de don américain d’un avion Hercules C‑130H | © Ambassade des États-Unis en Argentine

La station Espacio Lejano a commencé à fonctionner en 2018 dans une zone reculée de la Patagonie, dans la province de Neuquén, comme convenu dans un accord entre Pékin et Buenos Aires en 2012.

Mais le 2 avril, Laura Richardson, commandante du United States Southern Command, s’est rendue à Buenos Aires pour rencontrer Javier Milei et a exprimé des préoccupations concernant la station spatiale, destinée à la radioastronomie, aux observations radar et aux missions des engins spatiaux chinois.

Dans une déclaration devant le Congrès américain le mois dernier, Mme Richardson a souligné l’urgence de la situation, affirmant que les États-Unis sont « engagés dans une compétition géopolitique » avec la Chine. Elle a déclaré que la station fournit à l’Armée populaire de libération (APL) des capacités de suivi et de surveillance qui « pourraient se traduire par des capacités militaires à l’échelle mondiale ».

Cette rencontre, qui a eu lieu quelques jours seulement après la visite de William Burns, le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA), témoigne d’un approfondissement des relations entre les États-Unis et l’Argentine, qui cherchent tous deux à limiter l’influence de la Chine en Amérique latine.

Démontrant sa volonté de renforcer les relations américano-argentines, le président Javier Milei envisage d’inspecter l’installation spatiale en réponse aux récentes appréhensions de M. Richardson.

L’Argentine interdite sur son propre territoire

Située sur un terrain de 200 hectares et entourée d’une clôture de 2 mètres de haut, la station spatiale a suscité toutes sortes de spéculations, car elle n’est pas régulièrement inspectée par les autorités argentines et son accès est fortement limité.

L’accord désigne l’Agence nationale chinoise comme l’unique opérateur de la station pour le lancement, le suivi et le contrôle général des satellites (CLTC) de l’APL. Il lui octroie la juridiction sur la zone pendant 50 ans, avec des exemptions fiscales et douanières. Les termes mis à jour en 2014 ont renforcé l’impossibilité de l’Argentine à intervenir, toute interruption devant être « dûment anticipée ».

Le manque de transparence et de contrôle de l’Argentine sur son territoire a suscité un malaise parmi les locaux et déclenché des controverses aux niveaux national et international. Des inquiétudes ont été soulevées quant à la possibilité que la Chine utilise la station secrète pour développer un système de navigation par satellite alternatif au GPS, BeiDou, avec des applications doubles à des fins civiles et militaires.

Bien que les amendements apportés en 2016 soulignent l’interdiction d’utiliser la station à des fins militaires, il est difficile de s’assurer que la Chine respecte les conditions contractuelles en l’absence de contrôle.

L’ambassade de Chine en Argentine a défendu la station ce week-end comme étant une « installation de coopération technologique spatiale » à laquelle les scientifiques argentins et chinois ont accès pour la recherche scientifique. Mais l’accord entre les deux pays stipule que seulement 10 % des ressources peuvent être utilisées par le pays d’Amérique latine.

Pourquoi l’Argentine a‑t-elle accepté ces concessions ?

La présence d’une opération secrète chinoise en pleine Patagonie soulève des questions sur les concessions faites par l’Argentine.

Le projet a débuté sous la présidence de Cristina Fernández de Kirchner, qui avait noué un partenariat stratégique avec Pékin à un moment où l’Argentine cherchait désespérément des investissements et fut alors impliquée dans l’initiative chinoise de la nouvelle route de la soie.

La crise économique qui a frappé le pays après 2009 a rendu attrayante l’invitation de Pékin à nouer des liens commerciaux. Confronté à une forte inflation et à des milliards de dollars de dettes, le gouvernement Kirchner a accepté un échange de devises de 10,2 milliards de dollars pour stabiliser le peso, formant ainsi une nouvelle alliance qui a permis à la Chine d’entamer des projets d’exploration spatiale en Argentine, à la station Espacio Lejano.

Cependant, d’énormes dettes se sont accumulées dans les pays d’Amérique latine. La Chine a octroyé un total de 136 milliards de dollars de prêts à des pays de la région en difficulté financière entre 2005 et 2022, principalement par le biais d’investissements directs étrangers, selon Bloomberg.

L’Argentine, confrontée à une dette de 17 milliards de dollars envers la Chine, fut contrainte de solliciter l’aide du FMI l’année dernière pour rembourser une partie de ses obligations liées à l’échange de devises.

En témoignage des relations bilatérales durables entre les États-Unis et l’Argentine, une cérémonie marquant le transfert du don d’un nouvel avion de transport militaire Hercules C‑130 par les États-Unis a également eu lieu pendant la visite de Mme Richardson. Cette décision a porté un coup aux aspirations de la Chine, qui espérait asseoir son influence dans la région en fournissant des équipements militaires au pays latino-américain.

Une alliance fluctuante

Javier Milei, président de l’Argentine depuis décembre 2023, a d’abord envisagé une approche dure à l’égard de la Chine, affirmant qu’il ne ferait pas d’affaires avec la Chine ou « tout autre pays communiste », selon CNBC News.

Mais il semble que le président ait désormais adopté une approche plus pragmatique des relations avec la Chine, admettant dans une interview avec Bloomberg que « renoncer à la Chine est difficile, même pour l’anarcho-capitaliste argentin ».

Pour l’instant, les liens commerciaux avec la Chine n’ont pas changé de manière significative sous le gouvernement de Milei et la Chine reste l’un des principaux partenaires commerciaux de l’Argentine.

Il n’est pas certain que M. Milei continuera à autoriser la Chine à mener des activités secrètes d’exploration spatiale à Neuquén.

Claire Rhea

Claire est journaliste pour Newsendip.

Elle a grandi à Londres et possède la double nationalité américaine et française. Elle est diplômée en sciences politiques et économie de l'Université McGill à Montréal. Elle a également vécu en Italie.