Des MBA délivrés par une université privée en Pologne ont été acheté pour pouvoir devenir membres de conseils de surveillance d’entreprises publiques et ainsi contourner les examens d’État. Mais les récentes accusations contre le recteur de l’université ont aussi mis en lumière des accusations de crime organisé et de corruption avec les politiques.
En Pologne, une loi obligeant les nouveaux membres des conseils de surveillance des entreprises publiques à passer un examen fut discrètement modifiée en 2017. La loi acceptait ainsi les diplômes de Master of Business Administration comme une certification suffisante pour être éligible, facilitant ainsi l’accès à des postes de haut niveau au sein d’entreprises publiques.
La décision facilitait ainsi le processus de nomination aux différents boards des entreprises d’État à la suite d’une baisse constante du nombre de personnes réussissant l’examen. En 2014, seules 302 personnes sur 681 avaient réussi l’examen. En 2015, ce chiffre était tombé à 285 sur 886 ; il n’était plus que de 375 sur 966 en 2016.
En 2017, pour résoudre ce problème, le gouvernement de Beata Szydo a introduit la possibilité de se passer de l’examen précédemment requis. Cette décision a eu un impact immédiat : le nombre de personnes passant l’examen a diminué de façon spectaculaire, atteignant un niveau record en 2023 avec seulement 90 candidats, dont seulement 14 ont réussi.
Les candidats au conseil de surveillance ont plutôt obtenu leur MBA auprès du Collegium Humanum, une université privée de Varsovie, plutôt que de passer le test d’État. Cependant, un commerce massif du diplôme s’en est suivi, ce qui a donné lieu à des accusations de corruption pour des certificats invalides.
Rzeczpospolita, un quotidien économique et juridique polonais, a même rapporté hier que le précédent gouvernement de Droit et Justice (PiS), un parti populiste de droite, avait utilisé les entreprises détenues par le Trésor public pour renforcer son pouvoir politique, choisissant des candidats loyaux aux autorités pour siéger dans les conseils de surveillance publics.
Ces postes de direction dans les entreprises publiques requièrent normalement au moins un doctorat en économie, en droit ou en sciences techniques. Mais l’achat de certificats frauduleux d’études supérieures soulève donc des questions quant à l’efficacité des nominations à des postes aussi importants.
Diplômes d’un groupe criminel organisé supposé
Paweł Czarnecki, fondateur et ancien recteur du Collegium Humanum, a été arrêté par le Bureau central anticorruption le 22 février pour 30 chefs d’accusation, dont l’acceptation d’un pot-de-vin d’un million de złoty (233 000 euros) en échange de la distribution de plus d’un millier de MBA.
Czarnecki, accusé d’être à la tête d’un groupe criminel, doit également répondre de persuasion de faux témoignages, d’exploitation du pouvoir à des fins sexuelles, et de maltraitance.
Outre le recteur, sept autres personnes soupçonnées de faire partie du groupe criminel organisé opérant au Collegium ont été arrêtées.
En réponse, le Centre d’information du gouvernement a annoncé il y a quelques jours que le Conseil des entreprises avec participation du Trésor public ne reconnaîtra plus les MBA du Collegium Humanum lors de la nomination de nouveaux membres aux conseils d’administration de ces entreprises publiques.
La gestion de ce scandale est supervisée par le département silésien du bureau du procureur national. Et la récente décision de M. Czarnecki de coopérer avec le bureau a révélé l’ampleur de ce commerce à grande échelle, les certificats étant obtenus en 48 heures seulement pour un programme d’au moins trois semestres.
Un « diplôme de pacotille »
Des témoignages sur les expériences vécues dans cette université illustrent la nature frauduleuse des diplômes. Krzysztof, un étudiant du Collegium Humanum, a déclaré à WP Finance qu’il n’avait « jamais vu une université aussi étrange » et a qualifié sa formation comme un « diplôme de pacotille ».
Bien que 25 000 étudiants soient officiellement inscrits à l’université, les journalistes de WP Finance ont visité des lieux déserts, où les étudiants ne viennent qu’une fois par jour pour recevoir un tampon sur leur carte d’étudiant.
Ils ont constaté que les exigences imposées aux étudiants étaient minimales, la plupart des cours étant dispensés en ligne et les professeurs faisant peu d’efforts pour s’engager de manière significative avec les étudiants.
Un tournant pour la politique polonaise
L’université a notamment formé de nombreux membres de PiS mais aussi des membres du nouveau gouvernement de coalition.
Les journalistes de Gazeta Wyborcza, un quotidien national polonais basé à Varsovie, ont exigé une liste complète des membres du gouvernement diplômés du Collegium Humanum. Mais le maire de Wejherowo refuse de divulguer ces informations et a repoussé la date au 30 avril, c’est-à-dire après les élections municipales.
Après 8 années à la tête d’un gouvernement très conservateur, le parti Droit et Justice a finalement perdu sa majorité en décembre 2023 où la forte participation à l’élection montrait le mécontentement de la population envers la gestion du pays caractérisée par une érosion des processus judiciaires et démocratiques.
Furieux de la tache que ce scandale risque d’imposer à son gouvernement centriste de la Coalition civique, le nouveau Premier ministre Donald Tusk a annoncé que les certificats du Collegium Humanum ne seront pas reconnus pour les postes dans les entreprises publiques.
M. Tusk avait pris ses fonctions avec la promesse de restaurer les normes démocratiques dans le pays et l’intention de dépolitiser les entreprises publiques.