Des enregistrements audio de membres du Tribunal militaire durant la dictature au Brésil discutent des actes de torture commis par les forces de l’ordre.
Ce sont 10 000 heures, soit près de 417 jours, d’enregistrements audio du Tribunal militaire supérieur (STM) entre 1975 et 1985. Lors de séances publiques et secrètes pendant la dictature, des membres militaires et civils de la cour, appelés ministres, commentent, débattent et discutent d’actes de torture commis par les forces de l’ordre.
Dans un enregistrement, un ministre parle d’une personne qui a déclaré avoir été frappée avec un marteau pour avouer le braquage d’une banque. Dans un autre, un amiral admet que la torture a lieu mais qu’elle n’est pas généralisée. Le général Rodrigo Otávio, un officier de l’armée qui s’est élevé contre la torture lors de la dictature, mentionne aussi une prisonnière politique opposée au régime qui a avorté après avoir reçu des décharges électriques sur ses organes génitaux pendant sa grossesse.
Tous ces enregistrements ont été recueillis et compilés par Carlos Rico, un historien de l’Université fédérale de Rio de Janeiro. Le STM avait difficilement rendu les enregistrements disponibles après une décision de la Cour suprême fédérale il y a quelques années.
Les informations ont été publiées par Miriam Leitão, une journaliste de O Globo. Cette dernière a également été faite prisonnière en 1976 pendant la dictature militaire. Elle était à l’époque membre du parti communiste. Elle a été frappée, a dû rester nue devant des policiers, ou a encore a été enfermée seule dans une pièce avec un boa constrictor. Elle était enceinte d’un mois.
Début avril, Eduardo Bolsonaro, membre du Congrès et fils du président brésilien Jair Bolsonaro, s’en était moqué en disant qu’il avait de la peine pour le serpent, doutant de l’histoire de la journaliste par manque de preuves.
Ce sont les moqueries et les doutes émis contre la propre histoire de la journaliste qui ont motivé l’historien à lui remettre les enregistrements sur lesquels il travaillait depuis 2018.
Jair Bolsonaro et les partisans de la dictature louent les militaires pour avoir évité que le pays tombe dans le communisme et considèrent que des excès ont été réalisés des deux côtés dans une société fracturée. Le 1er avril dernier, 58 ans après le coup d’État militaire, le président Bolsonaro a fait l’éloge des forces armées pour être « le dernier rempart contre le socialisme au Brésil ». Au cours de sa présidence, Bolsonaro a également souhaité que le coup d’État militaire soit qualifié de Révolution au baccalauréat, réfutant toute controverse car « personne ne se préoccupe plus de ces questions absurdes du passé ».
Le vice-président du Brésil et ancien général Hamilton Mourão a réagi aux publications et a disqualifié l’importance de l’information. Les militaires et les policiers qui ont pratiqué des séances de torture « sont tous morts, a‑t-il déclaré en riant. Allez-vous les faire sortir de leurs tombes ? » Il a ajouté que cela faisait désormais partie de l’histoire. Que des actes de torture ont été perpétués durant la dictature militaire du Brésil en place de 1964 à 1985 n’est en effet pas une nouveauté.
Mais la Commission des droits de l’homme du Sénat a demandé les enregistrements à la STM pour effectuer une « enquête rigoureuse ». « Nous ne pouvons pas normaliser la torture et les absurdités commises pendant la dictature militaire. Ce sont des cicatrices profondes qui doivent être réparées, afin que cette barbarie ne se reproduise plus jamais », a écrit le sénateur Humberto Costa, président de la Commission des droits de l’homme du Sénat, partisan de Lula Da Silva et figure d’opposition à Jair Bolsonaro.
Le président du Tribunal militaire supérieur, le général Luiz Carlos Gomes Mattos, a réagi sur Twitter que « nous n’avons pas de réponse à donner, nous ignorons simplement des informations biaisées comme celles-ci », considérant qu’elles ne visent qu’à nuire aux forces armées. Le général a commencé sa carrière en 1964, l’année du coup d’État.
À ce jour, les enregistrements ne donneront probablement lieu à aucune poursuite pénale. En 1979, la Loi d’Amnistie adoptée pendant la dictature amnistiait des dissidents politiques, mais protégeait également les militaires et les fonctionnaires pour leurs crimes.