L’Allemagne est confrontée à une pénurie de main d’œuvre qualifiée et le Parti libéral-démocrate plaide pour que l’administration publique soit plus accueillante pour les travailleurs qui ne parlent pas allemand en utilisant l’anglais. Ce n’est pas si simple.
La semaine dernière, le secrétaire général du Parti libéral démocrate (FDP), Bijan Djir-Sarai, a déclaré aux médias bavarois régionaux que le FDP souhaitait que l’anglais devienne la deuxième langue administrative du pays après l’allemand.
« Quiconque parle anglais ne doit pas échouer à cause des autorités allemandes », avançant que l’administration rend difficile l’arrivée de travailleurs qualifiés dans le pays dans un contexte de « concurrence mondiale pour les esprits les plus brillants ».
Avec cette volonté de faciliter les procédures administratives et le premier contact avec l’Allemagne pour les aspirants immigrés, Bijan Djir-Sarai réagit aux dernières prédictions de pénurie de main‑d’œuvre qualifiée. D’ici 2026, le gouvernement fédéral s’attend à une pénurie d’environ 240 000 travailleurs qualifiés.
Les entreprises « sont ouvertes aux candidats anglophones », estime le secrétaire général du FDD, « alors on peut aussi s’attendre à ce que nos autorités et administrations soient en mesure d’offrir à ces personnes un service complet en anglais ».
Avec une population vieillissante qui quitte le marché du travail, la pénurie de la population en âge de travailler est un problème majeur pour l’Allemagne aujourd’hui et dans les années à venir.
L’Institut de recherche de l’Agence fédérale pour l’emploi (IAB) prévoit que 400 000 personnes venant en Allemagne chaque année seraient nécessaires pour compenser la pénurie de travailleurs. « Étant donné que l’augmentation du taux d’emploi est en train d’atteindre ses limites, une immigration nette pouvant atteindre 400 000 personnes par an est nécessaire pour maintenir le potentiel de main-d’œuvre constant à long terme. »
L’immigration économique en Allemagne est actuellement limitée à 60 000 personnes par an. Mais pour Bernd Fitzenberger, le directeur de l’IAB, « l’immigration économique en provenance de pays tiers devrait augmenter afin de couvrir la pénurie croissante de travailleurs qualifiés », ajoutant que « les propositions de réforme du gouvernement fédéral sont bonnes, mais elles ne sont pas suffisantes ».
Une enquête menée par la Chambre de commerce et d’industrie allemande (DIHK) auprès de 22 000 entreprises allemandes en fin d’année dernière a montré que 53 % d’entre elles sont impactées par la pénurie de main‑d’œuvre. Le DIHK suppose que 2 millions de postes sont vacants en Allemagne, ce qui coûterait près de 100 milliards d’euros en potentiel de création de valeur perdu à l’économie allemande.
Le personnel qualifié est celle que les entreprises allemandes cherche le plus à recruter et beaucoup d’entre elles n’hésite plus à recruter de jeunes talents diplômés qui ne parlent pas allemand mais anglais.
« Nous devrions être ouverts aux travailleurs qualifiés qui ne parlent pas allemand dès le début mais qui parlent bien l’anglais. Cela augmenterait clairement les chances de succès d’une politique d’immigration de travailleurs qualifiés », souligne Peter Adrian, président de la DIHK, en faveur de l’anglais comme langue administrative officielle, tout en soulignant que connaître l’allemand est utile pour l’intégration dans la société à long terme.
Les représentants des entreprises allemandes préféreraient que l’usage de l’anglais soit plus répandu comme dans les pays nordiques tels que la Suède, la Norvège ou le Danemark, où la langue pourrait également constituer un frein à l’attractivité auprès des étrangers.
En juillet dernier, faire de l’anglais la deuxième langue administrative du pays faisait partie des 10 propositions du FDP, le parti de centre-droit en faveur du libéralisme écononique et membre du gouvernement de coalition, pour rendre l’Allemagne plus attrayante pour les travailleurs étrangers, avec notamment qu’une délivrance plus rapide des visas numériques et d’un système à points pour l’immigration économique. Jusqu’à présent, seul le FDP, dont le site internet est uniquement rédigé en allemand, pousse pour introduire l’anglais comme langue administrative officielle.
En revanche, la Fédération allemande de la fonction publique (DBB), deuxième plus grand organisation syndicale d’Allemagne, a réagi négativement à cette proposition. La porte-parole Britta Ibald a fait valoir en juillet que l’introduction de l’anglais comme deuxième langue officielle partout dans le pays, indépendamment des spécificités et spécialités régionales, ne semble pas très efficace par rapport à l’effort supplémentaire requis, avec le risque d’ajouter beaucoup de bureaucratie.
Bien que la constitution allemande ne prévoie aucune langue officielle, l’allemand est la base de toutes les lois fédérales et des décisions de justice dans le pays et nécessiterait une traduction précise. Et les administrations des États fédérés devraient également adopter l’anglais comme deuxième langue.
L’association allemande des villes et municipalités a également avancé qu’un tel changement prendrait des années à mettre en œuvre, car il faudrait embaucher du personnel anglophone. L’association plaide pour plus d’efficacité et de numérisation, car les bureaux publics sont et seront également touchés par la pénurie de travailleurs. Au cours des dix prochaines années, les municipalités perdront 500 000 personnes, soit environ un tiers de leur personnel, selon l’association.
Bettina Stark-Watzinger, ministre fédérale de l’éducation et membre du FDP, avait reconnu que « le bilinguisme dans l’administration ne peut pas être mis en œuvre immédiatement ».
Mais les appels du FDP concernant cette idée d’un pays anglophone datent d’il y a plusieurs années. En 2014 déjà, Alexander Graf Lambsdorff, membre du FDP et élu au Parlement européen à l’époque, dans une tribune plaidait pour que l’anglais devienne une des langues administratives de l’Allemagne.