Le premier ministre nationaliste québécois François Legault souhaite que la province canadienne n’accueille à l’avenir que des immigrants économiques parlant français. Mais cette ambition est déjà atténuée par son ministre de l’Économie.
Le premier ministre du Québec François Legault a émis le souhait que tous les immigrants économiques parlent français lorsqu’ils sont sélectionnés pour venir travailler dans la province canadienne d’ici 2026.
M. Legault a exposé le 30 novembre ces objectifs pour son deuxième mandat de quatre ans en tant que premier ministre lors du discours d’inauguration de la 43ème législature. Le parti nationaliste Coalition Avenir Québec a largement remporté les élections générales d’octobre.
Et l’une de ses principales préoccupations est le déclin de la langue française au Québec. « Le déclin de la langue française est une question existentielle pour le Québec, au sens propre de l’existence même de notre Nation », a‑t-il affirmé.
C’est pourquoi M. Legault s’est fixé comme objectif que seuls des immigrants économiques francophones s’installent au Québec d’ici 2026. Il a précisé que 80% des immigrants économiques parlaient français lors de son précédent mandat alors que les gouvernements précédents accueillaient 40 à 50% d’immigrants économiques parlant français.
Le Québec est responsable de l’octroi de visas pour environ 65% de l’immigration de la province. Les autres demandes sont gérées par le gouvernement fédéral qui s’occupe des demandes de réfugiés et de regroupement familial. Une telle politique ne s’appliquerait donc qu’aux demandeurs de résidence permanente pour des raisons économiques, mais pas aux réfugiés ni aux visas de travail temporaires.
L’objectif de M. Legault est d’arrêter le déclin du français, en particulier à Montréal, et de renverser cette tendance. Les personnes qui parlent principalement le français à la maison au Québec sont passées de 82,3 % en 2001 à 77,5 % en 2021, explique le premier ministre en citant des données de Statistique Canada. Et sur l’île de Montréal, la région la plus peuplée de la province, la proportion est passée sous la barre des 50%.
Les critiques soutiennent que le premier ministre n’a pas tenu compte des données au travail pour justifier cette politique. Les personnes y parlent en effet davantage le français puisque 80 % des travailleurs québécois utilisent principalement le français au travail, selon le recensement de 2021, tandis que 14 % utilisent principalement l’anglais et 5 % les deux de manière égale.
Néanmoins, la proportion de travailleurs qui utilisent principalement le français ou les deux langues au travail a légèrement diminué par rapport au recensement de 2016 (la comparaison exacte est rendue difficile en raison d’un changement de méthodologie qui a augmenté les réponses concernant l’utilisation d’une seule langue).
Le français est moins dominant dans la région métropolitaine de Montréal, car il y a une importante minorité anglophone et des taux élevés de plurilinguisme. Soixante-dix pour cent des travailleurs utilisent en premier le français et 21 % travaillent principalement en anglais, avec une tendance à la baisse pour le français. Il y a vingt ans, en 2001, près de 73 % des travailleurs de Montréal utilisaient principalement le français au travail.
Mais en ce qui concerne la migration, environ 32% des personnes qui viennent s’installer de façon permanente au Québec déclarent le français comme langue maternelle, un chiffre stable au cours de la dernière décennie et en hausse par rapport aux 27% de 2001 à 2010, selon Statistique Canada.
Stopper le déclin de la langue française au profit de l’anglais : un objectif irréaliste ?
En 2021, le gouvernement québécois a adopté une loi controversée visant à protéger la langue française.
La Loi 96 a inscrit dans la Constitution qu’il n’y a qu’une seule langue officielle dans la province, a limité l’enseignement anglophone dans le système d’enseignement supérieur québécois, introduit le droit d’apprendre le français afin que les personnes, y compris les immigrants, puissent suivre des cours de français. Elle a également imposé le français comme langue principale pour certaines entreprises et le fait que les services doivent être fournis aux clients en français.
Le gouvernement avait proposé qu’un client dans un magasin au Québec avait le droit fondamental d’être servi exclusivement en français, à l’exception de la salutation mi-française mi-anglaise tolérée « Bonjour-Hi », avant de faire rapidement machine arrière suite aux réactions des résidents.
La Loi 69 a été critiquée par le secteur économique. Et le nouvel objectif fixé par le premier ministre a déjà suscité des discussions parmi les membres du gouvernement.
Le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibbon a réagi en disant qu’il faudrait probablement prévoir des exceptions. « Ce serait le fun d’avoir 100%, mais il faut être réaliste, il faut balancer ça avec les besoins », s’est-il exprimé mercredi avant un conseil des ministres. Il a donné l’exemple d’une entreprise coréenne dans le secteur de l’industrie automobile électrique qui aurait probablement besoin de l’expertise de travailleurs coréens qui ne parlent pas français.
Mais la ministre de l’Immigration Christine Fréchette a estimé qu’il n’était pas encore temps de penser à des exceptions spécifiques. « Il y a plus de 320 millions de locuteurs francophones de par le monde. Je ne peux pas croire que dans ces 320 millions, ceux qui voudront immigrer, qu’il n’y en ait pas suffisamment qui correspondent aux besoins », a‑t-elle déclaré.
Mais elle a également ouvert la porte à la possibilité de donner la priorité aux personnes provenant de pays francotropes ou aux migrants pour lesquels les transferts linguistiques vers le français seront plus faciles, si nécessaire. En français québécois, les pays francotropes sont ceux qui ont des affinités avec la langue française. Ils n’ont pas le français comme langue nationale ou officielle mais leur proximité historique, culturelle, linguistique ou géographique rend les personnes plus susceptibles d’apprendre le français en seconde langue comme dans le Maghreb, en Italie, en Roumanie, au Vietnam, à Madagascar, etc.
Mme Fréchette a indiqué que son ministère débutera à débattre du plan d’immigration en 2023.
Justin Trudeau, le premier ministre fédéral du Canada, a annoncé cette semaine que le Canada allait accueillir 500 000 migrants économiques par an au lieu de 400 000 pour combler le manque de main-d’œuvre dans le pays.
« Est-ce que les francophones vont répondre à notre demande ? s’interroge Mme Fréchette. Est-ce qu’il faudra viser des pays francotropes ? C’est ce qu’on va voir à l’usage. »